jeudi 22 janvier 2015

Les galaxies ensemencent l’univers en métaux

Deux études différentes viennent de paraître et arrivent à la même conclusion : le milieu situé entre les galaxies (le milieu intergalactique) est rempli d’atomes lourds, sous forme de gaz ou grains de poussières, alors que ces atomes sont produits au cœur des étoiles qui sont elles situées à l'intérieur des galaxies…


Illustration du phénomène d'ensemencement en métaux et
la méthode d'observation (Nature)
Tous les éléments plus lourds que l’hélium : carbone, oxygène, azote, silicium, fer et au-delà sont appelés par les astrophysiciens des métaux même si ce ne sont pas tous à proprement parler des éléments métalliques. Ils sont produits lors des réactions de fusion nucléaire qui alimentent les étoiles, puis lors des explosions des étoiles les plus lourdes en supernovas. Comme les étoiles se trouvent dans les galaxies, on peut s’attendre très logiquement à trouver quantité de métaux à l’intérieur des galaxies. Mais ce qu’ont montré les études d’une part de Michael Shull et al. parue dans The Astrophysical Journal fin décembre et celle de Joshua Peek et al. soumise également à The Astrophysical Journal, c’est qu’il n’en est rien : il y a également beaucoup de métaux en dehors des galaxies, et parfois très loin, à la fois sous forme de gaz ionisé et de molécules complexes, petits grains de poussière.

Joshua Peek
Dès la fin des années 50, lorsqu’on a compris que tous les éléments lourds étaient produits par les étoiles, les astronomes ont pensé qu’ils pourraient utiliser ces éléments lourds, ces métaux comme ils disaient, comme des traceurs de la formation d’étoiles et des flux de gaz à l’intérieur des galaxies. En effet, il est relativement aisé d’observer ces gaz à l’intérieur d’une galaxie : ils y sont denses et les étoiles brillent fortement, ce qui permet d’observer facilement la lumière réémise par les nuages gazeux en question et déterminer leur nature par l’étude de leur spectre de lumière. Mais c’est tout différent en dehors des galaxies ; là, les nuages ‘métalliques’ sont très peu denses, très diffus, et on ne peut plus observer leur émission propre. Ce que l’on peut observer, c’est l’absorption qu’ils produisent sur la lumière d’objets situés en arrière-plan, bien plus lointains.

Non seulement cette atténuation est très ténue, mais il se trouve que ces ions absorbent essentiellement des longueurs d’ondes dans l’ultra-violet. Or notre atmosphère aussi absorbe les rayonnements ultra-violet. Pour observer les spectres d’absorption provenant du milieu intergalactique, il faut donc nécessairement utiliser des télescopes en orbite. Et le télescope spatial Hubble fait ça très bien. Michael Shull, de l'université du Colorado, et ses collègues, ont étudié des données spectrales du milieu intergalactique concernant certains ions de carbone, azote, oxygène et silicium et sont remonté ensuite, à partir de la densité d’ions dans des états ionisés particuliers, à la valeur de la densité des éléments considérés. Ils concluent que pas moins de 5% à 15% de tous les métaux produits depuis l’apparition des premières galaxies, se trouvent complètement en dehors des galaxies, dans le milieu intergalactique, les 90% restant se trouvant bien à l’intérieur mais aussi à l’extérieur proche, à proximité immédiate des galaxies.
Michael Shull

L’équipe menée par Joshua Peek, à l'université de Columbia, elle, plutôt que de s’intéresser au gaz ionisé et à son absorption UV, s’est intéressée aux métaux sous forme moléculaire, des petits grains de poussière nano ou micrométrique, formés notamment de carbone et de silicium (silicates), qui produisent un effet de rougissement de la lumière située en arrière-plan. Ils ont ainsi traité des données du Sloan Digital Sky Survey sur un peu plus de 140 000 galaxies d’arrière-plan pour en extraire des profils de densité de poussière au voisinage de galaxies d’avant-plan.
Avec ces profils de densité de poussières, ils calculent ensuite la masse de poussière située au voisinage de ces galaxies d’avant-plan. Leur conclusion en est que la majorité de ces molécules riches en carbone et en silicium se trouve non pas à l’intérieur des galaxies, mais à l’extérieur.

Lorsque l’on met côte à côte ces deux études, une nouvelle image apparaît, celle d’un univers où les galaxies expulsent dans l’immensité du vide en grande quantité une matière très riche, celle-là même qui forme tout ce que nous connaissons sur notre planète, à commencer par nous-même.
Il était suspecté depuis pas mal d’années que les galaxies ne contenaient pas tous les métaux qu’elles produisent dans leurs étoiles ; nous parvenons aujourd’hui à les localiser et à les quantifier. Il reste désormais à mieux comprendre les phénomènes physiques à l’origine de ce grand ensemencement cosmique ainsi que depuis combien de temps il a lieu.


Références :
Tracing the cosmic metal evolution in the low-redshift intergalactic medium
J. M. Shull et al.
The Astrophysical Journal Vol. 796 Number 1 (2014)

Dust in the Circumgalactic Medium of Low-Redshift Galaxies
J. E. G. Peek et al.
Soumis à the Astrophysical Journal


Astronomy: Cosmic fog and smog
M. Peeples
Nature 517, 444–445 (22 January 2015)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour,
Ces études sur les métaux extragalactiques sont à rapprocher de celles sur les étoiles extragalactiques estimées autour de 10% pour les petits amas, 30% pour les gros amas, voire proches de 50% selon les données récentes de la mission Ciber sur le fond infra-rouge ; que ces étoiles aient été expulsées avec les queues de marée ou formées dans des filaments gazeux, il ne parait dès lors plus très étonnant d'observer une telle métallicité de la matière extragalactique. Je suppose que les métaux peuvent aussi être directement expulsés d'une galaxie (supernovae, trou noir central...)