lundi 25 juillet 2016

Le halo de gaz de notre galaxie tourne avec elle


Voilà une belle découverte qu'on n'attendait pas : la halo de gaz chaud de notre galaxie tourne à la même vitesse que le disque galactique. On pensait jusqu'ici qu'il était quasi statique... On doit cette découverte à trois astrophysiciens américains qui ont exploité des données enregistrées par le télescope spatial européen XMM-Newton.



Edmund Hodges-Kluck, Matthew Miller, et Joel Bregman, travaillent tous les trois à l'Université du Michigan, ils ont exploré la dynamique du halo de gaz chaud entourant notre galaxie grâce à l'effet Doppler apparaissant sur une raie d'absorption très spécifique, la raie de l'oxygène ionisé six fois (la raie O VII). Cette raie se situe dans le domaine des rayons X de faible énergie, à 570 eV (ou 2,16 nm exprimée en longueur d'onde). XMM-Newton a été utilisé pour étudier cette raie d'absorption, en scrutant de très distantes galaxies (et surtout leur noyau actif). Or la lumière de ces galaxies lointaines, avant de nous parvenir, doit traverser ce qui entoure le disque de notre propre galaxie, son halo de gaz. La lumière des galaxies lointaines en rayons X est alors absorbée à certaines longueurs d'ondes caractéristiques dont celle de cette raie O VII.
L'effet Doppler, ou décalage spectral, apparaît lorsque la source d'émission (ou d'absorption) se trouve en mouvement par rapport à l'observateur ; l'ensemble du spectre est décalé vers le rouge (les plus grandes longueurs d'ondes) lorsqu'il y a éloignement, et inversement vers le bleu (les plus petites longueurs d'ondes) lorsque l'observateur se rapproche de la source. Le plus important est que ce décalage spectral est directement proportionnel à la vitesse d'éloignement (ou rapprochement). En mesurant avec précision ce décalage, les astronomes peuvent alors en déduire la vitesse de la source d'émission ou d'absorption.

Pour essayer de mesurer la vitesse du gaz chaud de notre galaxie et tenter de montrer l'existence d'une rotation, il faut donc observer plusieurs sources identiques (la raie d'absorption O VII du gaz) dans différentes directions du ciel. C'est ce qu'ont fait nos trois chercheurs grâce à de nombreuses galaxies lointaines leur servant de phares dans la nuit... Ils ont publié leur jolie découverte dans The Astrophysical Journal il y a quelques semaines déjà.

Le gaz chaud qui entoure notre galaxie en formant un vaste halo sphérique est très chaud : 2 millions de degrés. Jusqu'à maintenant, les astrophysiciens pensaient que cette très grande masse de gaz (plusieurs fois plus grande que le disque d'étoiles) était pratiquement statique et que le disque de notre galaxie y tournait en son centre. Mais  Hodges-Kluck, Miller et Bregman montrent non seulement que le gaz est en rotation, mais qu'il tourne dans la même direction que le disque de la Galaxie, et que en plus, il le fait avec une vitesse qui est très proche de la vitesse qui est celle des étoiles dans le disque. La vitesse de rotation du halo de gaz chaud mesurée vaut 183 +- 41 km/s, à comparer avec les 250 km/s du disque d'étoiles. 

Cette découverte apporte une information cruciale sur l'histoire de la Voie Lactée : elle dit que c'est très probablement cette "atmosphère" de gaz chaud qui est l'origine de la majorité de la matière composant le disque galactique. Elle ouvre dans tous les cas une nouvelle porte de compréhension de la formation des galaxies.

Suite à cette première mesure cinématique du genre, première mesure systématique, la rotation du halo de gaz chaud de notre galaxie va devenir à n'en pas douter, dans les années qui viennent, un sujet d'étude très prisé dans la communauté astrophysique...


Source : 

THE ROTATION OF THE HOT GAS AROUND THE MILKY WAY
Edmund J. Hodges-Kluck, et al.
The Astrophysical Journal 822, 21 (27 april 2016)


Illustrations :

1) Vue d'artiste du halo de gaz chaud englobant la Voie Lactée et ses galaxies naines satellites (NASA/CXC/M.Weiss/Ohio State/A Gupta et al.)

2) Le télescope spatial XMM-Newton (ESA)

9 commentaires :

Yves a dit…

Bonjour,
Cette découverte ne doit-elle pas conduire à une nouvelle estimation de la masse du halo de gaz (et donc de la masse totale de la galaxie)?
En effet, dans un modèle de halo quasi-statique, on déduit sa masse de la condition d'équilibre hydrostatique, où la "force" de gravitation est contrebalancée par le gradient de pression, comme dans une atmosphère.
Si le halo est en rotation, l'effet centrifuge vient s'ajouter à celui de la pression, et permet donc de contrebalancer une force de gravitation plus importante, correspondant à une masse plus importante du halo.
La masse du halo de gaz étant du même ordre de grandeur que celle de l'ensemble des étoiles de la galaxie (cf. votre article de mai 2015 sur le halo de gaz autour de la galaxie d'Andromède), une ré-estimation à la hausse de cette masse ne pourrait-elle pas répondre en partie à la question de la matière manquante ?

Cordialement,
Yves

Dr Eric Simon a dit…

Votre remarque est extrêmement pertinente! Les auteurs du papier n'en parlent pas, et je ne sais pas quel effet cela pourrait induire sur l'estimation de la masse. Une piste certainement très intéressante à suivre! Pour solutionner complètement la masse manquante, il faudrait que la masse de gaz soit réévaluée au moins d'un facteur 10, ce qui fait a priori beaucoup, mais bon, on va laisser les spécialistes faire leur travail, en se contentant de surveiller et de relayer ce qu'ils en disent...

nours77 a dit…

J aurai juste deux questions dans ce cas,
Si il tourne sur lui même, serait il ionisé ?
Si oui le fond diffus cosmologique ne serait il pas une mesure de cette ionisation ?

Yves a dit…

Bonjour,
Je n'espère pas "solutionner complètement" le problème de la masse manquante avec cette idée. Peut-être qu'elle permettrait cependant de solutionner (partiellement ou complètement) celui de la masse baryonique prévue par le modèle standard, mais dont seule une partie est observée aujourd'hui.
J'ai essayé de faire le calcul, en utilisant un modèle de halo sphérique analogue à celui utilisé dans la publication de Hodges-Kluck, Miller et Bregman (en prenant une valeur de beta permettant de trouver une solution analytique simple). Mais je bloque sur une question:
dans l'hypothèse de l'équilibre hydrostatique, j'ai cru comprendre que, grâce à l'équation dP/dr=-rho g, on pouvait déduire la masse du halo ou son profil de densité. Dans le cas d'un halo en rotation, en tenant compte de l'accélération centrifuge, cette équation deviendrait dP/dr=-rho g + rho v^2/r, où v est la vitesse linéaire de rotation (~180 km/s), apparemment uniforme selon la publication citée.
Cela suppose donc de connaître la valeur de P(r) ou de son gradient. Mais je n'ai pas compris comment (à partir de quelles observations) on calcule cette valeur.
Pouvez-vous me l'expliquer simplement, ou me donner un lien vers un document?

Dr Eric Simon a dit…

Desolé, je ne peux pas vous apporter de réponse, je suis en vacances loin de tout...

Yves a dit…

En fait j'ai trouvé là (http://lapth.cnrs.fr/pg-nomin/taillet/dossier_matiere_noire/matiere_noire3a2.php) l'explication qui me manquait (je n'aurais pas pensé que l'équation des gaz parfaits s'appliquait dans ce cas):
" on peut calculer la pression du gaz pourvu qu'on connaisse la température et la densité (dans le cas des gaz parfaits, souvent adapté dans ce contexte, la pression est proportionnelle à la densité de masse et à la température). Ces deux grandeurs peuvent être mesurées en étudiant le rayonnement thermique émis par ce gaz, qui se trouve principalement dans la gamme des rayons X à ces températures. On peut en tirer deux sortes d'information : d'une part les propriétés spectrales (la décomposition en longueurs d'onde) révèlent la température T du gaz, alors que l'intensité du rayonnement (la quantité totale d'énergie reçue) permet de remonter à la densité de gaz émetteur."

Bonnes vacances !

Yves a dit…

Bonjour,
J'ai poursuivi mon calcul, et j'arrive à un résultat surprenant: pour tenir compte de l'accélération centrifuge correspondant à une vitesse de rotation uniforme de 183 km/s, il faudrait revoir à la hausse l'estimation de masse du halo de 1,5 10^42 kg. Trop beau pour être vrai?
Je ne peux pas reproduire ce calcul en commentaire sur votre blog (trop long, et nécessitant d'écrire des formules de manière peu lisible). Mais je l'ai mis en pièce jointe ici: http://forums.futura-sciences.com/astronomie-astrophysique/746227-rotation-halo-de-gaz-chaud-de-lactee-impact-masse.html
Je ne pense pas m'être trompé dans le calcul. Mais peut-être dans les hypothèses: choix de la valeur du paramètre beta du modèle de halo en [1+(r/r_c)^2]^(-3beta/2), voire même utilisation erronée de ce modèle (auquel les auteurs de la publication font pourtant référence), utilisation de l'équation des gaz parfaits...
A votre retour de vacances vous aurez peut-être le temps d'y jeter un coup d'oeil pour me dire ce que vous en pensez.

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Il y a deux choses que je ne comprend pas trop dans cet article:
- Comment un halo sphérique peut tourner selon un axe de rotation? Le gaz qui se situe près du "pôle" décrit de petits cercles autour de l'axe?
- Comment peut-on mesurer la vitesse de rotation d'un objet par l'effet Doppler alors que l'observateur se situe lui-même près de l'axe de rotation? Si on l'observait dans le halo de la galaxie d'Andromède, je comprendrais... Mais la nôtre???

Dr Eric Simon a dit…

1) Comment le halo peut-il tourner autour d'un axe ? Et ben, il tourne! Imaginez une boule qui tourne... Effectivement, dans la zone exactement sur l'axe, le mouvement serait très réduit, de même que les étoiles les plus proches de Sgr A*, celles-ci ne parcourent pas des très grandes distances.

2) les auteurs mesurent l'effet Doppler sur des raies d'absorption en regardant des AGN lointains. L'astuce c'est qu'ils regardent dans plusieurs directions quasi opposées. La différence de décalage Doppler observée entre ces différentes directions permet de déduire le mouvement du gaz.