mercredi 1 février 2017

Une explication magnétique pour l'étoile à neutrons la plus énigmatique


Il existe une étoile à neutrons pas comme les autres. Elle est nommée MXB1730-335, et surnommée le Rapid Burster (ou RB). Ce qui la rend unique et mystérieuse depuis sa découverte il y a quarante ans, c’est sa capacité à produire des bouffées de rayons X très erratiques et très intenses autant que brusques. On appelle ce type de bouffées des bouffées X de type II.  Il n’existe que deux étoiles à neutrons connues qui possèdent cette caractéristique. Mais aujourd’hui, des astrophysiciens pensent avoir compris l’origine de ces bouffées de rayons X atypiques.




Le Rapid Burster est une étoile à neutrons particulière à plus d’un titre, car elle montre non seulement des bouffées X de type II mais aussi des bouffées X de type I, qui sont des émissions X moins intenses et différentes dans leurs caractéristiques, et beaucoup plus communes chez les étoiles à neutrons.
Les astronomes néerlandais menés par le chercheur doctorant Jakob van den Eijnden  (Anton Pannekoek Institute for Astronomy , Amsterdam) ont observé le Rapid Burster avec  trois télescopes spatiaux différents : tout d’abord avec l’américain Swift pour suivre son activité et repérer l’apparition d’une bouffée de type II, puis NuSTAR et l’européen XMM-Newton durant l’une de ces bouffées atypiques observée en octobre 2015. Ils ont détecté l’émission X provenant à la fois de la surface de l’étoile à neutrons mais aussi celle du disque de gaz l’entourant en formant un disque d’accrétion. La très grande qualité de leurs observations leur a permis de « voir », après modélisation, comment la raie d’émission K du Fer se réfléchit sur le gaz entourant l’étoile à neutrons. Ces mesures montrent que le disque de gaz qui entoure  MXB1730-335 s’arrête brusquement à une distance de 41,8 fois le rayon gravitationnel de l’étoile à neutrons, ce qui fait environ 87 km ! Le disque de matière se trouve donc tronqué, et ce phénomène est associé par les chercheurs à une action du champ magnétique de l’étoile à neutrons. L’observation les conduit au calcul de la valeur de ce champ magnétique, qui vaudrait pas moins de 6,2 ± 1,5 108 Gauss (5 fois plus intense que les champs magnétiques rencontrés classiquement dans les étoiles à neutrons au sein de systèmes binaires, et 1 milliard de fois plus que le champ magnétique terrestre).
Le vide existant entre l’étoile à neutrons et le bord interne du disque d’accrétion permet d’expliquer l’origine des bouffées de rayons X atypiques de type II. Le processus, tel qu’il est décrit par Van den Eijnden  et ses collaborateurs serait le suivant : l’étoile à neutrons se trouve liée avec une étoile compagne de faible masse dans un système binaire et lui arrache du gaz qui s’accréte peu à peu autour d’elle en formant un disque avant de spiraler vers l’étoile à neutrons.  Cette situation est classique mais ce que montrent les astrophysiciens, c’est que l’intensité du champ magnétique qui est en rotation, lié à la surface de l’étoile à neutrons, empêche la matière de s’approcher trop près de l’étoile à neutrons, conduisant à une accumulation de gaz de plus en plus importante. La forte accumulation finit quand même par « pousser » le gaz petit à petit vers la surface de l’étoile à neutrons et ce faisant la vitesse de rotation du gaz augmente. Mais arrivé à une certaine distance de la surface, la vitesse de rotation du gaz accumulé devient telle que l’effet du champ magnétique en rotation de l’étoile à neutrons n’est plus efficace pour le contenir et il se met alors à littéralement tomber en masse à la surface provoquant de brutales réactions nucléaires associées à ces énormes émissions de rayons X. Une fois « vidé », le disque d’accrétion recommence à se reformer en accumulant du gaz repoussé temporairement par le champ magnétique de l’étoile à neutrons et formant cette césure caractéristique.
Le Rapid Burster se trouve avoir des caractéristiques communes avec la seconde étoile à neutrons connue pour produire des bouffées de type II, la dénommée Bursting Pulsar découverte dans les années 1990 : un champ magnétique très élevé et une étoile compagne de faible masse et qui semblait elle aussi montrer un gap dans son disque d’accrétion.

Ce résultat est un pas important dans la résolution d’une énigme vieille de quarante ans. Cette étude permet également de révéler de nouveaux détails sur les interactions entre les champs magnétiques et les disques d’accrétion qui façonnent ces objets astrophysiques exotiques

Réference

A strongly truncated inner accretion disc in the Rapid Burster
J. van den Eijnden  et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (2016) 466 (1): L98-L102


Illustrations

1) Vue d'artiste du phénomène expliquant les bouffées de type II (ESA/ATG medialab)

2) Courbe de luminosité X d'une bouffée du Rapid Burster observée par le télescope NuSTAR, le temps en abscisse est exprimé en kilosecondes (van den Eijnden et al. (2017))

4 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

Le bord interne du disque d'accrétion, 87 km, représente 42 fois le "rayon gravitationnel" -gravitational radius de l'abstract-(=GM/C²) soit environ 2 km ; ce n'est pas le rayon véritable de l'étoile à neutron, difficile à mesurer, mais en tout cas supérieur au rayon de Schwarzschild, =2GM/c² soit vers 4 km pour une masse vers 1.35 Mo, sinon elle s'effondrerait en trou noir (en négligeant la rotation) ; le rayon des EN est probablement de l'ordre de 10 km.

Bonne soirée

Popaul a dit…

Bonsoir

Explication remarquable !
A-t-on aussi à votre connaissance expliqué pourquoi les masses observées des étoiles à neutrons sont fortement groupées autour de la limite de Chandrasekhar soit environ 1,4 fois la masse solaire, alors que la théorie prévoit que leur effondrement en trou noir n'interviendrait qu'aux alentours de 3 à 4 masses solaires ?

Dr Eric Simon a dit…

Merci Pascal pour ce rappel

@Popaul : il apparaît que la masse des étoiles à neutrons dépend un peu de leur environnement, celles qui se trouvent dans des systèmes binaires pulsar-pulsar sont les plus légères, entre 1,2 (J1829+2456) et 1,55 masses solaires, celles qui se trouvent en couple avec une naine blanche sont un peu plus massives : entre 1,25 et 1,97 (J1614−2230) et celles qui sont dans des amas globulaires, encore plus massives : entre 1,26 et 2,10 (B1516+02B). Il semble exister une coupure vers 2 masses solaires dans la distribution des masses, et il semble que cette limite observée soit plutôt associée à des contraintes d'évolution et aux théories de physique nucléaire (l'équation d'état de l'étoile à neutron, reliant pression et densité qui n'est pas encore du tout bien connue et maîtrisée, surtout quand il y a un certain nombre de bosons dans l'EN qui ne participent pas à la pression de Fermi) plutôt qu'à la Relativité Générale qui fixe dans tous les cas une limite infranchissable de 3,2 masses solaires.
(je tire les données sur les masses de pulsars d'ici : https://arxiv.org/abs/1011.4291)

Pascal a dit…

Merci vivement Eric pour ces précisions et la référence de l'article sur les distributions de masse des EN en fonction de leur type évolutif. Cela rejoint le fait que tous les objets physiquement possibles n'existent pas dans la nature, car ils sont soumis à des contraintes de formation et d'évolution, par exemple des planètes en or massif, des EN de masse < 1.2 Mo, ou des trous noirs < 3 Mo...jusqu'à la mise en évidence de TN primordiaux, ou la formation de microTN dans un futur collisionneur !
En biologie, seule une infime fraction de l'espace des possibles est réalisée sur terre, mais là, il y a une dimension de plus, la complexité, et on sort un peu du sujet :-)