jeudi 30 août 2018

COSMOS-AzTEC-1, la galaxie très lointaine qui fabrique 3 étoiles par jour


Une équipe d'astronomes japonais vient d'établir la cartographie la plus détaillée d'une galaxie suractive située dans l'Univers âgé de 1,4 milliards d'années. Sa flambée de formation d'étoiles semble liée à une très forte instabilité de ses nuages de gaz moléculaire, et l'origine de cette instabilité est pour le moment un mystère.



1000 étoiles par an, c'est le taux de formation stellaire que montre cette déjà grosse galaxie nommée COSMOS-AzTEC-1. C'est 1000 fois plus que ce que produit notre Galaxie aujourd'hui. Cette lointaine galaxie avait été découverte par le James Clerk Maxwell Telescope à Hawaï puis peu de temps après, le Large Millimeter Telescope (LMT) mexicain avait trouvé d'énormes quantités de monoxyde de carbone dans COSMOS-AzTEC-1 en plus de mesurer sa distance via son redshift.
Ken-ichi Tadaki (National Astronomical Observatory of Japan) et son équipe ont utilisé le réseau ALMA pour observer avec une très bonne résolution la structure de la galaxie-monstre. La configuration des antennes du réseau ALMA, avec la base maximale de 16 km, a permis d'atteindre une résolution spatiale de seulement 550 parsecs (1800 années-lumière) !
De telles galaxies sont estimées être les précurseurs des grosses galaxies elliptiques de l'Univers actuel. Pour comprendre pourquoi COSMOS-AzTEC-1 a un tel taux de formation d'étoiles, les chercheurs japonais ont cherché à étudier l'environnement proche des nurseries stellaires. Et ils n'ont pas été déçus. Dans leur étude qu'ils publient dans Nature aujourd'hui, Tadaki et ses collègues tracent une cartographie très précise des nuages de gaz moléculaire qui peuplent la galaxie, en terme de localisation mais aussi de vitesse. Les astronomes japonais montrent qu'il existe deux énormes nuages de gaz distincts qui sont séparés de plusieurs milliers d'années-lumière de part et d'autre du centre de la galaxie, et qui sont dynamiquement très instables. Cette découverte est surprenante car dans la grosse majorité des cas, les étoiles, dans ces galaxies à flambées d'étoiles, sont activement formées au centre de la galaxie.  
Dans une configuration normale, les nuages de gaz sont à l'équilibre, leur pression interne tendant à les étendre contrebalançant leur force de gravité qui tend à les condenser. Jusqu'au moment où une instabilité fait gagner la gravité et fait s'effondrer le nuage de gaz sur lui-même, produisant de nombreuses étoiles très rapidement. Puis des étoiles massives explosent au bout de quelques millions d'années en supernova, ce qui a pour effet d'apporter une nouvelle source de pression interne, et donc rééquilibre partiellement les forces à l'oeuvre dans le nuage de gaz, ce qui ralentit sensiblement la production stellaire. 
Mais chez COSMOS-AzTEC-1, il en va tout autrement : l'auto-régulation ne semble pas avoir lieu. Au contraire, on assiste à une sorte d'emballement de la formation d'étoiles, comme si elle n'allait jamais pouvoir s'arrêter... 
Tadaki et ses collaborateurs estiment que COSMOS-AzTEC-1 aura ainsi consommé tout son gaz dans seulement 100 millions d'années! Ce taux est juste 10 fois plus grand que ce qui est classiquement observé sur des galaxies à cette époque cosmique.
L'origine de cette forte instabilité gravitationnelle des nuages de gaz dans COSMOS-AzTEC-1 n'est aujourd'hui pas bien comprise. Un phénomène de fusion de galaxies est une cause possible selon les chercheurs. En effet, lors d'une collision-fusion de galaxies, de grandes quantités de gaz auraient pu se retrouver concentrées dans une zone donnée et être sujettes aux instabilités sources d'étoiles qui sont observées. Avant de conclure définitivement sur l'origine de cette particularité de COSMOS-AzTEC-1, il faudra observer des galaxies similaires avec des outils aussi performants que ALMA, seuls à même de déterminer la structure interne de galaxies aussi lointaines avec autant d'acuité. 


Source

The gravitationally unstable gas disk of a starburst galaxy 12 billion years ago
Tadaki et al.
Nature volume 560 (30 August 2018)


Illustration

La galaxie monstre COSMOS-AzTEC-1 imagée par ALMA (distribution du gaz moléculaire à gauche et de la poussière à droite; deux nuages denses apparaissent en plus du nuage dense central) (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), Tadaki et al.)

mercredi 29 août 2018

La croissance perturbée de Jupiter


Lors de sa formation, comment se fait-il que Jupiter ait pris 2 millions d'années pour grossir de 20 à 50 fois la masse de la Terre alors qu'il ne lui avait fallu auparavant qu'un seul million d'années pour atteindre 20 masses terrestres ? Une équipe d'astronomes suisses vient de trouver une explication.



Yann Alibert (Université de Berne) et ses collègues de Zürich  ont tenté de comprendre l'histoire de la formation de Jupiter, qui l'a amené à la planète géante gazeuse que nous connaissons aujourd'hui avec sa masse 300 fois plus grande que celle de la Terre. Ils se sont pour cela penchés sur des données de composition d’astéroïdes obtenues il y a quelques années. Elles montraient qu'il devait exister deux populations distinctes de petits corps durant les deux premiers millions d'années du système solaire. Il était donc fort probable que Jupiter agissait à l'époque comme une sorte de barrière séparant la zone externe et la zone interne du système solaire, au moment où Jupiter passait de 20 à 50 masses terrestres.
Les astronomes suisses ont construit un modèle de formation de Jupiter qui est cohérent avec les données des astéroïdes. Dans leur article que publie Nature Astronomy cette semaine, Yann Alibert et ses collaborateurs montrent comment Jupiter a du grossir en plusieurs étapes. D'après ce modèle, Jupiter est née tout d'abord en accrétant de la poussière et des petits "cailloux" d'une taille centimétrique en grande quantité, durant 1 million d'années. Cette phase de grossissement rapide lui a permis d'atteindre une masse déjà très importante de 20 masses terrestres. Mais cette phase s'est arrêtée pour être suivie par une deuxième phase avec un taux d'accrétion plus faible, et surtout des morceaux beaucoup plus gros, cette fois-ci des petits corps d'une taille de l'ordre du kilomètre, des planétésimaux. D'après les chercheurs, le fait qu'il s'agisse dans cette phase de corps de grande taille a certes apporté à nouveau de la masse à l'embryon de planète géante, mais il a surtout apporté de l'énergie. Cette deuxième phase aurait duré deux millions d'années, pour laisser ensuite la place à la troisième phase de grossissement, à T0+3 millions d'années, cette fois-ci par une forte accrétion de gaz qui a conduit Jupiter jusqu'aux 300 masses terrestres que nous lui connaissons aujourd'hui. 

Ce qu'expliquent les chercheurs, c'est que la Jupiter naissante aurait fortement perturbé le disque de poussières entourant le Soleil, en créant une zone de surdensité qui aurait confiné les petits cailloux à l'extérieur de son orbite. Les matériaux des régions extérieures n'auraient alors pas pu se mélanger avec ceux des régions internes du système solaire, jusqu'à ce que la protoplanète atteigne une masse suffisante pour perturber et diffuser des corps de taille moyenne de l'extérieur vers l'intérieur du système solaire. 
D'après Yann Alibert et son équipe leur nouvelle modélisation indique que c'est l'apport d'énergie par les planétésimaux qui aurait retardé le grossissement de Jupiter. En effet, les collisions avec des blocs de l'ordre du kilomètre aurait apporté suffisamment d'énergie à l'atmosphère gazeuse de la planète sous forme de chaleur pour l'empêcher de se refroidir rapidement et de se contracter, et d'enclencher une forte accrétion de gaz. Cette dernière a ensuite pu se déployer lorsque le réservoir de planétésimaux s'est tari. 
Les astronomes pensent avoir trouvé une explication pertinente pour expliquer l'histoire de la formation de Jupiter, et poussent même leur raisonnement vers le processus de formation d'autres planètes gazeuses comme Uranus et Neptune qui pourrait être assez similaire. Mais d'autres études seront nécessaires pour en savoir plus.


Source

The formation of Jupiter by hybrid pebble–planetesimal accretion
Yann Alibert, Julia Venturini, Ravit Helled, Sareh Ataiee, Remo Burn, Luc Senecal, Willy Benz, Lucio Mayer, Christoph Mordasini, Sascha P. Quanz & Maria Schönbächler 
Nature Astronomy (27 august 2018)


Illustrations 

1) L'hémisphère sud de Jupiter imagé par la sonde Juno (NASA/JPLCaltech/SwRI/MSSS/GeraldEichstaedt/Sean Doran)

2) Schéma des trois phases de grossissement de Jupiter (Alibert et al, Nature Astronomy)

lundi 27 août 2018

Détection de molécules d'acide formique dans un disque protoplanétaire


L'acide formique est l'acide organique le plus simple qui existe, de formule HCOOH. C'est notamment une brique fondamentale de l'acide organique bien connu qu'est ADN (acide désoxyribonucléique), à la base du vivant. Il vient d'être détecté pour la première fois dans un disque protoplanétaire autour d'une jeune étoile à 190 années-lumière.



C'est avec le réseau ALMA (Atacama Large Millimeter Submillimeter Array) qu'une équipe internationale menée par Cécile Favre (INAF-Osservatorio Astrofisico di Arcetri à Florence) a réussi à identifier la présence de la précieuse petite molécule dans le disque de poussières qui entoure l'étoile TW Hydrae.
On le sait, la composition chimique des disques protoplanétaires dans lesquels prennent naissance les planètes, comètes et autres astéroïdes, va influencer la composition de ces dernières, à la fois en ce qui concerne leur croûte rocheuse mais aussi leurs éventuels atmosphère ou océans de manière directe, ou indirecte par apports postérieurs à leur formation proprement dite.
Le groupe carboxylique -COOH contenu dans l'acide formique est un élément essentiel dans de nombreux acides aminés et acides carboxyliques utilisés par les systèmes vivant sur Terre. L'acide formique est notamment impliqué directement dans la formation de la thymine, l'acide aminé le plus simple qui est la base de nombreuses protéines. C'est aussi un composé que l'on trouve en abondance chez la fourmi, et qui lui a donné son nom...

Le disque protoplanétaire de TW Hydrae ressemble à ce que devait être notre système solaire il y a 4,5 milliards d'années. TW Hydrae est âgée de quelques millions d'années seulement, c'est une étoile de type T Tauri de 0,7 masse solaire qui est entourée par un disque riche en gaz dans lequel on s'en souvient, ALMA avait imagé en 2016 des anneaux ou lacunes, laissant penser que des planètes y sont aujourd'hui en cours de formation. On sait par ailleurs que la masse du disque de gaz et de poussières est supérieure à 0,006 masse solaire. D'autres observations de la molécule CO sur ce même disque protoplanétaire avaient par ailleurs montré qu'une fraction importante du réservoir de carbone n'existait pas sous la forme de gaz, et qu'il pourrait donc être présent sous la forme d'espèces chimiques organiques, plus ou moins complexes et donc difficiles à détecter.

Il était donc très intéressant de savoir quels types de molécules sont déjà présentes dans ce type de disque de poussières et de gaz à cette époque de l'évolution du système. Favre et ses collègues ont détecté une émission d'ondes millimétriques (2,3 mm de longueur d'onde, soit une fréquence de 129 GHz) qui correspond à une transition électronique particulière qui n'existe que dans la molécule de HCOOH. Les astronomes ont calculé la quantité d'acide formique et trouvent une densité équivalente à celle du méthanol (CH3OH) qui avait déjà été détecté dans ce disque protoplanétaire en 2016. 
Le fait de trouver pour la première fois dans un disque protoplanétaire une molécule organique qui possède deux atomes d'oxygène montre que la chimie organique et très active dans ce type d'environnement. 
Mais la formation de l'acide formique, selon Cécile Favre et ses collègues, est bien plus complexe que celle d'autres composés organiques qui sont trouvés dans des disques protoplanétaires, comme le méthanol ou le formaldéhyde. Le méthanol par exemple est le résultat de l'hydrogénation du monoxyde de carbone à la surface de grains de glace, une réaction facilitée à très basse température (20K). L'acide formique, quant à lui, ne peut pas être produit par un processus d'hydrogénation simple, il doit forcément impliquer des espèces déjà polyatomiques, que ce soit à la surface de gains solides ou bien en phase gazeuse. 
Cette étude montre ainsi qu'au moins quelques briques de la chimie pré-biotique sont déjà présentes dans un disque protoplanétaire similaire à la Nébuleuse Solaire qui a donné naissance à notre système planétaire. Les chercheurs montrent en revanche aussi que l'observation de molécules organiques plus complexes reste un gros challenge, même avec un outil comme ALMA qui offre une sensibilité jamais vue.


Source 

First Detection of the Simplest Organic Acid in a Protoplanetary Disk
Favre et al.
The Astrophysical Journal Letters, 862:L2 (20 July 2018)


Illustrations

1) TW Hydrae et son disque protoplanétaire montrant des gaps interstitiels, imagés par ALMA en 2016 (ALMA/ESO/NAOJ/NRAO/Takashi Tsukagoshi et al.)

2) Représentation de la molécule d'acide formique HCOOH (Ben Mills, Wikipedia)

vendredi 24 août 2018

Gaia révèle l'existence de naines blanches massives issues de fusions


La livraison de données astrométriques de Gaia, parmi des centaines de millions d'étoiles, a fourni les distances de près de 14000 naines blanches résidant dans un rayon de 100 parsecs (326 a.l) autour de nous. L'étude statistique de cette population, inédite par son ampleur, montre l'existence d'un groupe important de naines blanches plutôt massives, très probablement issues de fusions entre naines blanches... 



Mukremin Kilic (Université de l'Oklahoma) et ses collaborateurs britanniques et Canadiens ont étudié les caractéristiques de cette grosse population de naines blanches identifiées par Gaia, en termes de composition et de masse. En comparant les observations avec des modèles d'évolution stellaire, ils arrivent à montrer que 15% d'entre elles ont une masse trop grande par rapport à ce qui est classiquement attendu. 
Pour estimer les paramètres intrinsèques des étoiles, il est indispensable de connaitre au mieux leur distance, et c'est ce que les données de Gaia permettent aujourd'hui sur un nombre phénoménal d'étoiles de notre galaxie.

Les chercheurs observent ainsi une "bifurcation" lorsqu'ils tracent le diagramme de la couleur en fonction de la magnitude pour l'échantillon de 13928 naines blanches mesurées par Gaia. Une telle bifurcation avait déjà été entraperçue il y a quelques années dans le grand relevé du Sloan Digital Sky Survey, mais sur une population de naines blanches beaucoup plus restreinte. L'anomalie observée dans le SDSS avait été expliquée par une différence de composition des naines blanches, avec une population possédant une atmosphère d'hélium. Mais ce que montrent Kilic et ses collègues dans l'article qu'ils publient dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters, c'est que cette nouvelle différence observée dans le relevé de Gaia ne dépend pas uniquement de la composition des naines blanches mais aussi de leur masse. 

D'après les astrophysiciens, une population d'étoiles âgées de 10 milliards d'années aura convertit 77% de ces étoiles de la séquence principale en naines blanches. En considérant que le taux d'étoiles binaires et de 50%, un échantillon de 100 systèmes produira en moyenne 38,5 naines blanches, dont 7,5 naines blanches seules issues de fusions et 9,5 naines blanches doubles. La fraction de naines blanches seules formées à partir de fusions dans des systèmes binaires sera quant à elle de 14%. Ces proportions ont d'ailleurs pu être retrouvées par l'équipe de Kilic en simulant l'évolution d'une grande quantité d'étoiles binaires.

Et les naines blanches produites par des fusions sont prédites pour avoir une masse de  0,74 ± 0.19 masses solaires. Il se trouve que dans la population de naines blanches identifiées par Gaia, la distribution des masse montre deux bosses très nettes : une première centrée sur 0,6 masse solaire, et une seconde centrée sur 0,8 masses solaires.

Pour Mukremin Kilic et ses collaborateurs, la conclusion est évidente : une fraction significative des naines blanches qui sont situées dans un rayon de 100 pc autour de nous sont massives, révélées par leur différente magnitude absolue (liée à leur masse) en fonction de leur couleur. Les simulations indiquent clairement que cette population de naines blanches plus massives que la normale ne peut provenir que de phénomènes de fusions : soit de fusions d'étoiles avant que la résultante ne devienne une naine blanche, soit de fusions de naines blanches déjà produites et qui formaient des couples binaires, tout en restant en dessous de la limite de Chandrasekhar (1,4 masse solaire) au-delà de laquelle elles ne peuvent qu'exploser en supernova...


Source

Gaia reveals evidence for merged white dwarfs
Mukremin Kilic,  N C Hambly,  P Bergeron , C Genest-Beaulieu,  N Rowell
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 479 (1 September 2018)


Illustrations

1) Vue d'artiste de la fusion de deux naines blanches (David A. Aguilar (CfA))
2) Distribution de masses des naines blanches de l'échantillon étudié (relevé SDSS en haut et Gaia en bas) Kilic et al.

mercredi 22 août 2018

Les étoiles à neutrons fortement influencées par leurs... protons ?


Les étoiles à neutrons ne sont pas formées à 100% par des neutrons, il leur reste une petite fraction de protons (environ 5%), et il se pourrait bien, d'après une découverte très récente, que ce soient ces protons qui dirigent le destin et l'évolution des étoiles à neutrons...



Cette idée vient d'une recherche de physique nucléaire menée auprès de l'accélérateur d'électrons américain CEBAF (Continuous Electron Beam Accelerator Facility). A l'intérieur des noyaux atomiques, les protons et les neutrons peuvent s'apparier deux à deux et former ce qu'on appelle des "corrélations à courte distance". Ces paires peuvent emporter avec elles pas mal d'énergie  et peuvent contribuer de façon significative aux propriétés globales du noyau d'atome. L'équipe de chercheurs de la collaboration CLAS (CEBAF Large Acceptance Spectrometer) a cherché à étudier ces corrélations proton-neutron en bombardant des noyaux d'atomes avec des électrons accélérés jusqu'à 5 GeV. Ils ont pour cela utilisé des cibles de différents matériaux qui ont une proportion de neutrons différente par rapport à leurs protons : le carbone, aluminium, fer et plomb.
Les chercheurs de 42 institutions disséminées dans 9 pays (dont la France) n'ont pas effectué de nouvelles mesures mais ont exploité d'anciennes données obtenues en 2004  sur ces cibles, dont l'objet était tout autre. Le spectromètre CLAS avait alors pour objectif de détecter et mesurer les multiples particules qui sont émises quand des électrons énergétiques impactent des cibles de différents matériaux pour étudier certaines interactions et notamment des effets de taille de noyaux.
Or les particules appariées n'étaient qu'un bruit de fond pour ces expériences, mais elles sont devenues aujourd'hui un signal utile pour l'équipe de CLAS qui cherche à identifier la présence de paires proton/neutron énergétiques.

Le phénomène étonnant que les physiciens observent, c'est que quand le nombre de neutrons dans un noyau (relativement au nombre de protons) augmente (quand on passe du carbone au plomb par exemple), la probabilité pour qu'un proton forme une paire énergétique augmente également... Alors que la probabilité pour que deux neutrons s'apparient, elle, reste indépendante du nombre de neutrons dans le noyau atomique. 
Dans l'article qu'ils publient dans la revue Nature, les physiciens estiment, pour expliquer cette observation, que les protons, en moyenne, se déplacent bien plus vite que les neutrons dans les noyaux riches en neutrons. Autrement dit, dans ces noyaux riches en neutrons, ce sont les protons qui sont maîtres du jeu.
Il est tentant d'extrapoler au cas beaucoup plus extrême qu'est celui des étoiles à neutrons. Dans ces résidus de supernova, qui peuvent ressembler à des gros noyaux d'atome d'une dizaine de kilomètres, la proportion de neutrons atteint 95%. Si la tendance observée dans les noyaux atomiques se poursuit, cela signifie que même avec une très petite fraction, les protons dans les étoiles à neutrons devraient posséder une énergie très importante et être très "actifs".
Ce rôle des protons dans les étoiles à neutrons serait alors bien plus important que ce que l'on suspectait jusqu'à aujourd'hui. Cette révélation pourrait bousculer notre compréhension du comportement des étoiles à neutrons, d'après les chercheurs. Comme ils emporteraient plus d'énergie que prévu, les protons pourraient notamment contribuer significativement à la rigidité des étoiles à neutrons, ainsi qu'à leur ratio masse/taille ou encore à leur processus de refroidissement. 


Source

Probing high-momentum protons and neutrons in neutron-rich nuclei
CLAS Collaboration
Nature (13 august 2018)


Illustration

Vue d'artiste d'une étoile à neutrons (Casey Reed - Penn State University) 

mardi 21 août 2018

La masse de l'exoplanète de beta Pictoris déterminée par des mesures astrométriques


La masse de la jeune exoplanète découverte en 2008 autour de beta Pictoris vient d'être mesurée assez précisément grâce à l'observation minutieuses des mouvements de beta Pictoris par le télescope Gaia et son lointain prédécesseur Hipparcos.



Ignas Snellen et Anthony Brown (Université de Leiden) ont eu l'idée d'exploiter des mesures astrométriques (des mesures de position) de l'étoile beta Pictoris pour en déduire la masse de son exoplanète découverte il y a dix ans. L'étoile et sa planète ont environ le même âge, elles sont très jeunes, avec vingt millions d'années seulement. Beta Pictoris, qui est située à 19,44 pc (63,4 a.l), s'est rendue célèbre par son vaste disque protoplanétaire d'une part, et d'autre part par l'observation directe d'une de ces planètes, beta Pic b. Cette dernière est une planète géante du type de Jupiter. Mais l'étude de cette planète est rendue difficile par les méthodes classiques du fait de la haute température de l'étoile, de ses variations importantes de luminosité et de la présence du disque de poussières. Par exemple, la mesure des variations de la vitesse radiale de beta Pic (sa vitesse le long de la ligne de visée) est très délicate. La mesure de vitesse radiale et ses variations périodiques sont communément utilisées pour estimer la masse des exoplanètes qui modifient légèrement le mouvement de leur étoile. 

Snellen et Brown se sont donc tournés vers des mesures de positions sur le très long terme afin de déceler des variations périodiques pouvant signer les caractéristiques de la planète. Rien de tel que les mesures astrométriques que Gaia a offert à la communauté astronomique au printemps dernier. Les astronomes ont pu, avec ces données, tracer l'évolution des différentes contributions du mouvement de beta Pic : son mouvement propre (induit par sa rotation dans la galaxie), sa parallaxe (induit par le mouvement de la Terre autour du Soleil), et enfin son mouvement d'oscillation résiduel qui n'est rien d'autre que l'effet produit par la planète et qui correspond aux variations de vitesse radiale mais vues dans un autre plan.


Les astronomes calculent quelle devrait être la trajectoire observée si il n'y avait pas de planète puis comparent avec la trajectoire et peuvent alors en déduire la masse de la planète. Mais pour en arriver là, les chercheurs ont besoin de suivre la trajectoire de l'étoile sur une très longue période, typiquement plusieurs années. Durant les 22 mois de données de Gaia, beta Pictoris a été mesurée trente fois. C'était bien mais pas encore suffisant pour Snellen et Brown qui publient aujourd'hui leur travail dans Nature Astronomy.
Les astronomes se sont alors plongés dans les archives du télescope Hipparcos qui avait fait le même type de mesures que Gaia au début des années 1990 : Entre 1990 et 1993, le télescope européen avait mesuré beta Pictoris 111 fois, fournissant des données de position inestimables pour les combiner avec les positions données par Gaia.
Selon Snellen et Brown, la masse de la planète beta Pic b est donc de 11 ± 2  fois la masse de Jupiter. Elle est non seulement très jeune, mais aussi très massive.
C'est la première fois que la masse d'une très jeune planète est déterminée grâce à des mesures astrométriques, et l'apport de mesures plus anciennes de 25 ans combinées avec des mesures récentes a été déterminant. 
Bien sûr, ce n'est que le début d'une longue séquence d'études d'exoplanètes par les mesures astrométriques de Gaia. Les spécialistes estiment que les données du télescope européen pourront permettre d'estimer la masse de plusieurs centaines de très jeunes exoplanètes et ainsi perfectionner notre compréhension de leur formation.  


Source

The mass of the young planet Beta Pictoris b through the astrometric motion of its host star
Ignas Snellen and Anthony Brown
Nature Astronomy (20 August 2018)


Illustrations

1) Le système de beta Pictoris imagé par le Very Large Telescope de l'ESO (ESO/A-M. Lagrange et al.)

2) Vue d'artiste du télescope Gaia (ESA)

lundi 20 août 2018

Les plus vieilles galaxies de l'Univers sont à notre porte, autour de notre Galaxie


Une équipe d'astronomes britanniques vient de montrer que les galaxies satellites les plus faiblement lumineuses qui entourent notre galaxie sont parmi les plus vieilles galaxies de l'Univers, âgées de plus de 13,5 milliards d'années.



Notre galaxie est entourée de dizaines de petites galaxies satellites. Ce que Sownak Bose (Université de Durham et Harvard Smithonian Center for Astrophysics) et ses collaborateurs ont réussi à mettre en évidence, c'est que ces galaxies peuvent être divisées en deux populations distinctes en fonction de leur luminosité : les galaxies naines brillantes et celles qui sont faiblement lumineuses. Mais ce qu'avaient identifié les astrophysiciens anglais avant ces observations confirmant leurs simulations c'est que les deux types de galaxies naines devaient avoir une origine légèrement différente dans la chronologie cosmique.
Les premiers atomes d'hydrogène se sont formés lorsque les protons et les électrons se sont combinés environ 380000 ans après le Big Bang. Ce gaz s'est ensuite progressivement accumulé sous la forme de nuages et s'est peu à peu refroidi en s'agglomérant autour de halos de matière noire qui préexistaient depuis l'Univers primordial. Cette phase de refroidissement et de densification de l'hydrogène a duré une centaine de millions d'années, durant lesquelles aucune étoile n'existait. Finalement, les nuages d'hydrogène sont devenus instables sous leur propre masse et ont commencé à s'effondrer localement, donnant naissance aux toutes premières étoiles et donc aux toutes premières galaxies. Les âges sombres de l'Univers prenaient fin tandis que le rayonnement ultra-violet intense des premières étoiles commençait à réioniser l'hydrogène. 

Or, une fois réionisés, les nuages d'hydrogène ne se comportent plus de la même façon pour produire des étoiles : devenant plus chauds et avec une plus forte pression, ils mettent plus de temps pour se refroidir et ont alors besoin de halos de matière noire plus massifs pour se condenser en étoiles. Cette seconde vague de production d'étoiles (et de galaxies) n'a ainsi pu se dérouler que quand les halos de matière noire sont devenus suffisamment massifs, près de 1 milliard d'années plus tard seulement.
Ce modèle de formation développé par Bose et ses collaborateurs, appelé Galform, évoqué dans leur article paru dans The Astrophysical Journal, colle parfaitement avec les observations qu'ils ont faites sur la fonction de luminosité des galaxies satellites et qui montrent deux populations de galaxies naines très distinctes. Ces deux populations sont totalement indépendantes des paramètres de formation galactique, et ne semblent dépendre que des caractéristiques de la phase de réionisation de l'hydrogène par les premières étoiles.
Les galaxies naines satellites faiblement lumineuses comme Segue-1, Bootes I, Tucana II ou Ursa Major I font ainsi partie de la toute première génération de galaxies, âgées donc de plus de 13,5 milliards d'années. 
La distribution bimodale dans la fonction de luminosité est d'ailleurs observée non seulement dans les galaxies satellites de la Voie Lactée mais aussi dans celles de la galaxie d'Andromède. Ces galaxies naines de faible luminosité ne sont détectables que depuis une grosse dizaine d'années grâce aux progrès en sensibilité des télescopes et les Bose et ses collègues prédisent que les deux populations de galaxies pourront être mesurables dans le futur autour de galaxies de masse bien plus faible que celle de notre galaxie. 

Il est en tous cas remarquable que des observations des petites galaxies les plus faiblement lumineuses entourant notre galaxie nous permettent d'étudier les premières centaines de millions d'années de l'Univers, cette époque encore mal connue de la réionisation de l'hydrogène.


Source

The Imprint of Cosmic Reionization on the Luminosity Function of Galaxies
Sownak Bose, Alis J. Deason, and Carlos S. Frenk
The Astrophysical Journal, Volume 863, Number 2 (16 august 2018)


Illustration

Distribution calculée des différentes populations de galaxies satellites autour d'une galaxie massive comme la Voie Lactée, les galaxies très faiblement lumineuses et très âgées sont figurées par les cercles blancs (Institute for Computational Cosmology, Durham University/ Heidelberg Institute for Theoretical Studies / Max Planck Institute for Astrophysics)