lundi 21 janvier 2019

Nouvelle image très détaillée de la source radio Sgr A*

Avant d'être le nom du trou noir supermassif de notre galaxie, Sgr A* est avant tout une source de rayonnement radio, qui est produite par l'entourage très proche de ce trou noir à qui on a donné le nom après coup. Imager la source radio Sgr A* avec une toujours plus grande précision va permettre à terme d'apercevoir la silhouette du trou noir. L'image obtenue aujourd'hui est un des jalons importants de cette quête car elle donne des indices précieux sur la géométrie de l'engin sous-jacent.




Il ne s'agit donc pas de l'image tant attendue de la silhouette du trou noir de notre galaxie, mais elle s'en rapproche comme jamais auparavant. Cette image est l'image la plus résolue à ce jour de la source de rayonnement radio qui entoure le trou noir Sgr A*. Accessoirement, cette étude est la première du genre à utiliser les antennes de réseau ALMA dans un réseau interférométrique à très longue base intercontinentale, nommé GMVA (Global Millimeter VLBI Array). Le GMVA est une sorte de répétition à peine moins performante de ce que donnera l'autre interféromètre à très longue base, l'EHT (Event Horizon Telescope) qui, lui, a réellement imagé la silhouette du monstre et dont j'attends comme vous fébrilement la publication de l'Image depuis presque deux ans. En attendant, donc, nous avons aujourd'hui cette superbe image inédite du GMVA qui montre que la source radio Sgr A* est moins étendue que ce que l'on pensait, ce qui fournit des indications cruciales sur certains paramètres du trou noir supermassif.

Les observations sur lesquelles est basée cette étude qui est publiée aujourd'hui dans The Astrophysical Journal ont été effectuées au même moment que celles de l'Event Horizon Telescope, en avril 2017. On y retrouve d'ailleurs une bonne partie des chercheurs du consortium de l'EHT, comme Shep Doeleman et Heino Falcke (qui se batteront probablement pour un Nobel dans quelques années). Les deux télescopes virtuels ont cependant des différences notables, premièrement le nombre d'observatoires impliqués et leurs distances respectives, plus importantes pour l'EHT qui se déploie jusqu'au pôle Sud, et ensuite la fréquence radio qui est observée : 86 GHz (soit 3,2 mm de longueur d'onde) pour GMVA, et jusqu'à 320 GHz pour l'EHT, une différence de fréquence qui joue également sur la résolution angulaire atteignable.

Le GMVA vient tout de même de griller l'EHT sur le poteau pour ce qui concerne la résolution angulaire atteinte : 87 microarcsecondes, soit deux fois mieux que le précédent record, mais sans doute deux fois moins bien que le prochain record de l'EHT...
Le fait de fonctionner à une fréquence différente permet également de ne pas être sensible exactement aux mêmes effets physiques qui agissent sur le rayonnement radio.  Un élément crucial étudié dans cette étude menée par la jeune chercheuse Sara Issaoud (Université Radboud, Pays-Bas) avec une équipe internationale d'une quarantaine d'astrophysiciens, a été l'effet de diffusion qui est produit par le milieu interstellaire séparant la source de la Terre et qui a pour effet d'élargir artificiellement la taille de la source de rayonnement radio que l'on image.

Les chercheurs se donc attaqués à des méthodes permettant d'"effacer" le phénomène de diffusion dans les images déjà très bien résolues de la source Sgr A*. La très bonne qualité des images nettoyées a laissé apparaître une surprise : la taille et la forme de la source radio paraît plus compacte et plus symétrique que ce que les spécialistes avaient envisagé. Plus précisément, cette forme presque ronde apporte des contraintes sur les modèles théoriques décrivant le gaz entourant le trou noir supermassif qui produit ce rayonnement radio. 
L'essentiel de l'émission radio cartographiée par le GMVA s'étend de façon symétrique sur 300 microarcsecondes. Cela peut indiquer qu'il n'y aurait pas de jets aujourd'hui émanant du trou noir supermassif. Mais cela peut également indiquer que nous ne voyons pas le trou noir dans la direction de son équateur, mais plutôt par l'un de ses pôles ! Ce qui voudrait dire que l'étendue de la source radio, réduite et très symétrique, serait directement le disque d'accrétion du trou noir, et que son jet de plasma et de particules se situerait dans notre axe de visée ! Au passage, cela indiquerait que l'axe de rotation du disque d'accrétion et peut-être du trou noir lui-même seraient différents de l'axe de rotation de la galaxie... Etonnant, mais possible.  
Cela est d'autant plus possible qu'une étude différente publiée il y a à peine quelques mois par la collaboration GRAVITY avec les télescopes du VLT avait montré elle aussi que le disque d'accrétion de Sgr A* devait être vu de face, seule façon d'expliquer la cinématique de gaz qui était observée... 

Cette première participation du réseau ALMA dans une observation interférométrique à très longue base montre donc toute sa puissance et a été déterminante pour obtenir la meilleure résolution sur Sgr A*. C'est de très bon augure pour l'Event Horizon Telescope, d'autant plus que l'une des conclusions des chercheurs du Global Millimeter VLBI Array est que les images de l'EHT obtenues à plus de 200 GHz, même si elles sont aussi "polluées" par le phénomène de diffusion que les leurs, pourront être nettoyées très efficacement par la méthode développée. Si en plus le trou noir est vu de face, c'est la fête!


Source

The Size, Shape, and Scattering of Sagittarius A* at 86 GHz: First VLBI with ALMA
S. Issaoun et al.
The Astrophysical Journal 871 30 (21 janvier 2019)


Illustrations

1) Cartographie de la source radio Sgr A* telle qu'observée, avant nettoyage, à gauche, et après avoir traiter la diffusion (à droite) (S. Issaoud et al.)

2)  En haut : images simulées à 86 GHz sans puis avec les défauts de résolution et de diffusion, en bas : images obtenues avec le GMVA (avant et après traitement de la diffusion) S. Issaoun, M. Mościbrodzka, Radboud University/ M. D. Johnson, CfA

3) Illustration des observatoires radioastronomiques impliqués dans le Global Millimeter VLBI Array (GMVA), avec ALMA comme élément fondamental.

15 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Vous avez l'air de trouver étonnant que l'axe de rotation de Sgr A soit différent de l'axe de la galaxie.
Pourquoi devrait-il en être ainsi?
L'axe du trou noir dépend, je suppose, des différentes accrétions qui se sont produites. Si un T.N. approche un poil plus à gauche ou un poil plus à droite, l'axe du trou noir résultant de la collision pourra basculer de manière totalement différente.
Non?

Aussi, le disque d'accrétion de dépend-il pas de la direction du nuage ou de l'étoile qui approche, plutôt que de l'axe de rotation du T.N. lui-même?
Une étoile qui approche du trou noir peut arriver de toutes les directions. Elle ne va tout de même pas basculer de son orbite pour s'aligner avec la rotation du T.N.
?
Dans la négative, les jets de plasma seront perpendiculaires à l'axe du disque d'accrétion ou de celui du T.N.?

Dr Eric Simon a dit…

Oui, le spin du trou noir dépend de son histoire et des fusions multiples qu'il a connues. Et effectivement, le disque d'accrétion n'a pas de raison d'être dans le plan équatorial du trou noir. Ensuite, la direction des jets devrait être orthogonale au plan du disque, qui est à l'origine du champ magnétique. Le problème, c'est que je crois que tous les jets observés sont orthogonaux aux disques des galaxies d'où ils sortent (va falloir quand même que je vérifie ce point ;-))

Merci pour ces remarques pertinentes!

Anonyme a dit…

Bonjour et merci de continuer ce site tellement intéressant. À quelle date oeux-t-on espérer avoir une image ?

Pascal a dit…

Bonsoir Youx et Eric,

Des fusions majeures peuvent bouleverser l'axe de rotation du TN galactique ; en revanche une étoile ou un TN stellaire va faire à un TN un million de fois plus massif le même effet qu'un moustique percutant un éléphant ! Or il semble (sur des arguments de cinétique par Gaia, sauf erreur) que notre Galaxie n'a pas connu de fusion majeure de longue date (en attendant le GNM, puis Andromède); cela expliquerait d'ailleurs la -relative- petite masse de son TN central. Un désaxement important pourrait-il provenir de sa formation et avoir été conservé malgré les interactions avec le disque galactique ?

Est-il certain qu'un disque d'accrétion autour d'un TN massif à spin notable puisse avoir un plan de rotation quelconque ? Cela me semble plutôt contre-intuitif, à cause de l'effet Lense-Thirring et de l'effet d'entrainement des référentiels inertiels ; la métrique de Kerr s'applique sans doute à Sagittarius A* dont la rotation semble très significative (a=0.65 selon des QPO, https://arxiv.org/abs/1306.2033). Dans ce que j'ai lu, on considère toujours des disques quasi équatoriaux, pro ou rétrogrades... Existe-t-il des contre-exemples ?

Dr Eric Simon a dit…

mon petit doigt me dit : avant l'été...

Youx a dit…

Bonjour Pascal, bonjour Eric,
On suppose donc que le trou noir supermassif se soit formé en même temps que la galaxie elle-même. ça paraît plausible, tout comme une étoile aura le même axe que les orbites de ses planètes.
Des fusions avec de multiples petits trous noirs (statistiquement éparpillés) ne vont pas changer son axe, ok.
Mais ça veut quand même dire que des fusions majeures, il n'y en a pas beaucoup. Ni récemment, ni de longue date. Sgr A est aligné avec la Voie Lactée?
L'effet Lense-Thirring, si j'ai bien compris, modifie la ligne des nœuds. C'est une précession et pas un alignement. On devrait avoir un jet de plasma tournoyant!
Mais j'ai peut-être raté une partie de l'explication...

Un moustique, non... mais il paraît qu'une souris peut faire détaler un éléphant... ;)

Dr Eric Simon a dit…

... et il y a les bulles de Fermi, dites donc, ces deux grandes zones symétriques de part et d'autre du plan galactique, qui indiqueraient une activité passée de Sgr A*, des résidus de jet qui apparaissent assez élargies, un indice de précession ?

voir là par exemple : http://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2017/03/sgr-a-lorigine-des-bulles-de-fermi-il-y.html

Youx a dit…

Ah oui, les bulles de Fermi ressemblent un peu à ce qu'on attendrait.
Idéalement, il faudrait plutôt une section de cône, ou de plusieurs cônes. On n'est pas idéalement placé pour en voir les contours. Est-ce que les observations des bulles de Fermi pourraient coller à un cône? Et est-ce qu'on voit quelque chose de semblable à d'autres galaxies? Andromède, par exemple (pas trop loin, pour avoir une chance d'avoir des quasars dans le fond)?
Je dirais peut-être que les jets de plasma, si ils sont focalisés (Le cône très fin, le disque d'accrétion dans le même plan que le TN), on peut alors les repérer. Sinon, ils seront forcément très diffus.
Maintenant, selon l'excellent article sur le sujet de "ça se passe là haut", la vitesse des gaz qui composent les bulles de Fermi est beaucoup plus lente que la vitesse des jets de plasma. Mais on y apprend aussi que cette vitesse a été déduite à partir d'une supposition. Elle n'est donc pas forcément juste...

Youx a dit…

Eric,
Je relis à l'instant votre article ci-dessus...
Selon l'image du GMVA, il y aurait un disque d'accrétion autour de Sgr A perpendiculaire à notre regard.
Donc perpendiculaire aussi à la rotation de Sgr A (puisque les bulles de Fermi sont perpendiculaires à la Voie lactée)
Du coup, quelle serait la vitesse de précession de ce disque d'accrétion???
Il y a un calcul pour ça. (je serais bien en peine de le faire!)
Est-ce que dans quelques temps, on ne risque pas de le voir par la tranche???
...refaire le calcul à l'envers et trouver le spin de Sgr A?

Pascal a dit…

La symétrie axiale des bulles de Fermi, alignée sur l'axe de rotation galactique, n'est-elle pas un argument en faveur d'un TN central en rotation également alignée, contrairement aux conclusions de l'article ? Et la largeur des bulles pourrait ne pas représenter celle des jets mais leur interaction avec l'ISM, à l'instar des lobes de radiogalaxies bien plus larges que les jets qui en sont à l'origine. Les jets des AGN semblent très collimatés et rectilignes sur des centaines de kpc impliquant une direction stable pendant des millions d'années.

Il me semble (naïvement) que la précession d'orbites non équatoriales d'inclinaisons diverses des particules doit accélérer leur frottement et l'évolution vers un disque fin équatorial dans le cas des TN massifs ? Calculs ou simulations ?

L'EHT pourrait nous en dire plus, non seulement sur Sagittarius A* mais aussi, à une autre échelle, sur M 87 * qui lui a des jets. Vivement cet été !

Youx a dit…

Bonjour Pascal,
Il semble effectivement plus probable que Sgr A soit bien aligné avec la galaxie.
Si un disque d'accrétion autour d'un TN subit une précession, et en même temps un frottement qui l'aligne progressivement avec le TN, le jet peut effectivement former quelque chose qui ressemblera à deux bulles.
Les jets de plasma bien collimatés ne sont-ils pas simplement ceux formés par un disque d'accrétion aligné dès le départ? Par hasard. ça doit arriver aussi.
Ceux-là n'ont pas diffusé dans le milieu. Sinon, pourquoi cette différence?
Déjà, ces jets de plasma sont-ils de même nature que les bulles de Fermi?

Pascal a dit…

J'ai trouvé ceci : " A gaseous accretion disk that is tilted with respect to a spinning black hole will experience Lense–Thirring precession, at a rate given by the above equation, after setting e=0 and identifying a with the disk radius. Because the precession rate varies with distance from the black hole, the disk will "wrap up", until viscosity forces the gas into a new plane, aligned with the black hole's spin axis (the "Bardeen-Petterson effect")." dans https://en.wikipedia.org/wiki/Lense%E2%80%93Thirring_precession. (l'article de référence est Bardeen, James M.; Petterson, Jacobus A. (January 1975). "The Lense-Thirring Effect and Accretion Disks around Kerr Black Holes". The Astrophysical Journal Letters. 195: L65. ). Cela semble bien accréditer l'idée que toute accrétion gazeuse autour d'un TN massif va former un disque équatorial, quelque soit sa direction d'origine.

Quant aux vitesses de précession, si j'ai bien compris :

-le simple effet relativiste dans une métrique de Schwarzschild applicable aux orbites type S2 (périastre vers 120 ua soit 15 000 Rs), en 1/a, est déjà de l'ordre du degré par période

- L'effet Lense Thirring, en 1/a^3, faible mais mesurable sur S2, devient prépondérant près de l'horizon, au niveau du disque d'accrétion (quelques Rs) et amène à des vitesses de précession très rapides.

Dr Eric Simon a dit…

Merci Pascal. Donc disque d'accrétion dans le plan équatorial du TN. Je crois que les résultats de l'EHT vont vraiment être très très intéressants surtout si ils confirment ce qui est déduit des résultats de GRAVITY et du GMVA qui seraient incohérents avec les bulles de Fermi... C'est effectivement peut-être plus avec M87* qu'une solution émergera (cela dit M87 est une elliptique donc bon) ;-) A mon avis, il n'y aura pas qu'un seul papier ou 2 mais toute une série... my 2 cents.

Youx a dit…

Bonne intuition de Pascal!
Dans la pratique, a-t-on une chance de voir ce disque autour de notre TN changer d'inclinaison dans un délai compatible avec notre curiosité?

moijdik a dit…

Quid de la stabilité d'un tel disque? Déjà qu'un disque à l'équateur se désagrège par émission de jet... Il n'y a aucun champs magnétique?
Sinon, vous voyez une couronne vous? moi je vois plutôt un disque plein, contrairement au "disque d'accrétion" qui est en fait une couronne autour du TN, en somme le trou noir serait entouré de matière lumineuse?
Sinon, je suis un peu déçu, l'article n'est pas très précis, il faudrait les intensités lumineuse, les distances, les longueurs...
On attend l'avis des spécialistes! Il vont nous inventer des solutions sacrément tordues!