lundi 29 avril 2019

Des jets de trous noirs désalignés et en rotation


V404 Cygni est un système binaire situé à une distance de 8000 années-lumière. Il est constitué d'un trou noir stellaire et d'une étoile compagne dont le trou noir aspire la matière. Ce faisant, il produit une émission de rayons X énergétiques via le disque de matière en accrétion. Suite à son réveil en 2015 après une accalmie de 26 ans, des astronomes viennent d'y observer un comportement étonnant... 




V404 Cygni a été découvert en 1989 lorsqu'il produisit une énorme bouffée de rayonnement et de particules. Puis il disparut des radars pendant un quart de siècle pour réapparaître en 2015 avec une nouvelle bouffée de rayonnement, majoritairement des rayons X très énergétiques. Il devint durant quelques semaines l'objet le plus lumineux du ciel en rayons X. C'est à partir des données enregistrées en 2015 que James Miller-Jones (International Centre for Radio Astronomy Research–Curtin University, Perth en Australie) et ses collaborateurs australiens, canadiens et européens ont pu observer quelque chose de très particulier qui leur permet de publier leur résultat aujourd'hui dans Nature. 
Durant le sursaut d'activité de V404 Cygni, les astrophysiciens on observé des détails sur les émissions associées au jet de matière émanent de la proche périphérie du trou noir. La chose étonante qu'ils observent, c'est un changement de direction très rapide du jet du trou noir : en moins d'une demi-heure, la direction du jet avait déjà changé. Ce que les chercheurs en concluent, c'est l'existence d'une vitesse de rotation très élevée. Généralement ou normalement, les jets émanants de disques d'accrétion de trous noirs sont vus sortant tout droit dans l'axe polaire des trous noirs, perpendiculaires au plan du disque d'accrétion de la matière de l'étoile compagne. Ici, le jet semble tourner, avec une légère inclinaison. Antérieurement, un autre cas de jet de trou noir en rotation avait été observé, mais sans commune mesure avec ce qui est observé ici, avec une période de rotation de 6 mois.  
Le jet tournoyant de V404 Cygni a été observé par Miller-Jones et ses collaborateurs à la fois dans le domaine des ondes radio en mode interférométrique avec le VLBA (Very Long Baseline Array) et dans le domaine des rayons X avec le télescope spatial européen Integral. C'est la région interne du disque d'accrétion qui était cruciale à observer ici car c'est la mécanique de ce disque qui s'avère être à l'origine du comportement unique du jet de matière et de rayonnement. Les chercheurs concluent de ces multiples observations que le disque de matière, et avec lui l'orbite de l'étoile compagne, sont désalignés par rapport à l'axe de rotation du trou noir. 

Les chercheurs montrent qu'un tel désalignement du plan du disque de matière par rapport à l'équateur du trou noir induit un mouvement d'oscillation de la partie interne du disque, à l'image d'une toupie qui a trop ralenti et qui finit sa course. Ils parviennent à très bien modéliser le changement d'orientation observé par la présence d'une précession induite par l'effet Lense-Thirring (entrainement relativiste de l'espace-temps) agissant sur un disque d'accrétion étendu verticalement. Comme les jets sont intimement liés à la partie interne du disque d'accrétion par les champs magnétiques qu'il génère, cette déformation produirait les variations de direction des jets qui sont observées. 
Il faut savoir que durant l'épisode de 2015 dans V404 Cygni, une très grande quantité de matière est tombée vers le trou noir d'un coup, ce qui a fait augmenter très rapidement le taux d'accrétion, quoique temporairement. Les chercheurs ont compris ce phénomène grâce à la détection d'une bouffée de rayons X par le télescope Integral de l'ESA qui a pu être utilisé pendant quatre semaines d'affilée, ce que n'auraient pas pu offrir les autres télescopes spatiaux X comme Chandra, XMM-Newton ou NuSTAR. Ces données ont d'ailleurs permis aux astrophysiciens d'estimer en même temps la quantité d'énergie libérée et la géométrie de l'accrétion autour du trou noir.

Pour tenter d'expliquer la cause d'un tel désalignement entre l'axe de rotation du trou noir et le plan orbital de l'étoile compagne au sein du couple, les astrophysiciens évoquent une piste très intéressante : l'axe de rotation du trou noir aurait pu être modifié lors de l'impulsion qu'il aurait reçue durant l'explosion de supernova qui lui a donné naissance...
Pour parfaire cette idée, d'autres cas du même type restent encore à découvrir, notamment parmi les trous noirs à forte accrétion de matière. Miller-Jones et ses collègues notent pour finir un autre élément intéressant : la forme incurvée en rotation du jet de plasma induit par le trou noir fait qu'il "arrose" (à la manière d'un jet d'eau en rotation), une zone de l'espace bien plus vaste que si le jet était simplement dans l'axe polaire. Dans ce cas, l'effet du trou noir sur son environnement proche et moins proche (son feedback, comme disent les astrophysiciens) se révèle être bien plus uniforme que celui d'un trou noir classique.

Source

A rapidly changing jet orientation in the stellar-mass black-hole system V404 Cygni
James C. A. Miller-Jones et al.
Nature (29 april 2019)

Illustrations

1) Vue d'artiste d'un disque d'accrétion désaligné par rapport au trou noir, produisant des jets incurvés en rotation (ESA)

2) Vue d'artiste du système V404 Cygni (ESA)

2 commentaires :

**** a dit…

Bonjour Dr,
Ça c est de la grosse info ! On ça enfin savoir si les tn supermassifs ont un plan de rotation aligné ou non avec celui de la galaxie hôte (cela dit entre une galaxie spirale et une elliptique il y a des différences de géométrie !).
Cet effet décrit et résultant de l'impulsion de l étoile progenitrice me rappelle fortement l'oscillation de la Terre (et le phénomène de précession : ai-je raison de comparer les deux ?
Merci !

Dr Eric Simon a dit…

Le phénomène de précession est ressemblant avec la précession de la Terre effectivement. La grosse différence avec l'environnement proche du trou noir ici c'est qu'apparaissent des phénomènes de précession relativiste.