mardi 7 avril 2020

Premières images à très haute résolution d'un jet de trou noir supermassif par l'Event Horizon Telescope


Alors que la campagne d'observation de l'Event Horizon Telescope de ce printemps a été annulée pour des raisons évidentes, après celles de 2018 et 2019 (pour d'autres raisons), les données de 2017 qui avaient permis l'image historique de la silhouette de M87* donnent encore des résultats stupéfiants, mais sur d'autres objets qui avaient été observés en même temps que les trous noirs emblématiques. Aujourd'hui, ce sont les analyses de ces données qui nous offrent la première image de la base d'un jet de trou noir supermassif à très haute résolution. Une étude parue dans Astronomy & Astrophysics.



La collaboration Event Horizon Telescope (EHT) n'avait pas que les trous noirs Sgr A* et M87* dans sa liste d'observation au début avril 2017, elle devait aussi laisser de la place à d'autres équipes pour étudier d'autres objets à fort intérêt, un deal que les chercheurs avaient conclu quelques temps avant pour pouvoir bénéficier de l'utilisation de ALMA dans le réseau de radiotélescopes mondial qu'est l'EHT. 
Parmi ces objets intéressants figurait un quasar nommé 3C 279, un noyau actif de galaxie situé à 5 milliards d'années lumière non loin de M87 dans le ciel mais 100 fois plus distant. Ce quasar est le signe évident de la présence là aussi d'un trou noir supermassif qui est très actif, accrétant de très grandes quantités de gaz, qui spirale autour de lui en s'échauffant et en rayonnant démesurément. La masse de ce trou noir a été estimée à 1 milliard de masses solaires, 7 fois plus petit que M87*, et il est accompagné de jets de matière dans l'axe de rotation de son disque d'accrétion lui aussi.

La méthode utilisée pour observer de très près l'un des jets de ce quasar est exactement la même que celle utilisée pour observer l'anneau de lumière entourant M87* : l'interférométrie à très longue base (VLBI) utilisant 8 observatoires radioastronomiques répartis sur plusieurs continents, de l'Espagne au pôle sud en passant par Hawaï. Les données de tous les radiotélescopes ont ensuite été corrélées entre elles a posteriori pour reconstruire une image ayant une résolution incroyable de quelques dizaines de microsecondes d'arc.


Pour ce qui concerne 3C 279, les chercheurs exploitant le réseau EHT peuvent voir des détails plus petits qu'une année-lumière (à une distance de 5 milliards d'années-lumière, rappelons-le!). Ils peuvent ainsi traquer le jet du quasar jusqu'à son origine au niveau du disque d'accrétion et peuvent quasi les voir en action.
Ce que dévoilent Jae-Young Kim (Max Planck Institut für Radioastronomie) et son équipe, c'est que le jet de 3C 279 a une forme inattendue à sa base, une forme tordue, révélant aussi des structures perpendiculaires au jet qui peuvent être interprétées selon eux comme les pôles du disque d'accrétion d'où les jets sont éjectés. Et quand les astrophysiciens ont observé de près ce jet de particules relativiste sur plusieurs jours d'affilée, ils ont clairement vu du changement, qu'ils considèrent être dû à la rotation du disque d'accrétion, quelque chose d'encore jamais observé "en direct" jusque là.

Ce qui était vu auparavant en radio sur 3C 279 c'était une tache unique pas très bien résolue, mais la nouvelle image offerte par l'EHT montre désormais deux petites "taches" indépendantes qui bougent et évoluent en quelques jours...  Selon les auteurs, la géométrie inattendue suggère la présence d'instabilités ou de chocs dans un jet légèrement incurvé ou en rotation, qui pourrait également expliquer une bonne partie des émissions de rayons gamma.

Cette observation sans précédent montre encore une fois toute la puissance de l'interférométrie à très longue base et plus particulièrement celle de l'Event Horizon Telescope. Aujourd'hui le réseau est en cours d'amélioration avec l'ajout prévu de 3 nouveaux radiotélescopes (le Greenland Telescope, NOEMA de l'IRAM et le Kitt Peak Observatory) amenant à exploiter ensemble 11 observatoires pour la prochaine campagne d'observation en 2021. Mais les radioastronomes de la vaste collaboration, du fait de l'annulation de la campagne de cette année, ont annoncé qu'il se focalisaient sur le traitement et l'analyse de toutes les données acquises en 2017, avec de nouvelles publications à prévoir dans les mois qui viennent. Si elles sont du même niveau que celle-ci, ça promet...

Source

Event Horizon Telescope imaging of the archetypal blazar 3C 279 at an extreme 20 microarcsecond resolution
J.Y. Kim, T.P. Krichbaum, et al.
Astronomy & Astrophysics (April 07, 2020)


Illustrations

1) Images de la structure du jet de  3C 279 dans plusieurs longueurs d'ondes et réseaux obtenues en avril 2017 ( J.Y. Kim (MPIfR), Boston University Blazar Program (VLBA and GMVA), and Event Horizon Telescope Collaboration)

2) Evolution de la base du jet entre le 5 avril et le 12 avril 2017 (J.Y. Kim, T.P. Krichbaum, et al.)

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