mercredi 6 mai 2020

Un pulsar et deux naines blanches pour mesurer l'universalité de la chute libre



Le principe d'équivalence fort, ou principe d’universalité de la chute libre dit que deux corps de composition différente ou de masse différente doivent subir la même accélération dans un champ gravitationnel. C'est un principal fondamental de la physique de la gravitation, depuis son précurseur Galilée jusqu'à Einstein. Et en Relativité Générale, Einstein nous dit que le principe d’équivalence s’applique de la même façon aux objets très compacts comme les trous noirs ou les étoiles à neutrons. Une équipe d’astrophysiciens français et allemands vient de tester pour la première fois l’universalité de la chute libre dans le champ gravitationnel d’une étoile à neutrons en comparant l’accélération de deux étoiles naines blanches. Une étude parue dans Astronomy & Astrophysics.




Guillaume Voisin (Observatoire de Paris et Université de Manchester) et ses collaborateurs ont utilisé le radiotélescope français de Nançay pour analyser les signaux radio du pulsar J0337+1715. Ce pulsar est un laboratoire de choix pour tout astrophysicien car il se trouve au sein d’un système non pas binaire comme c’est souvent le cas mais triple! Il est en effet accompagné par deux étoiles naines blanches qui lui tournent autour à des distances différentes. Grâce au suivi dans le temps des pulsations d’ondes radio du pulsar, les chercheurs peuvent alors suivre très précisément les mouvements de l’étoile à neutron dans son système triple, grâce à l’observation du retard ou de l’avance des pulses radio les uns par rapport aux autres. Ils peuvent également en déduire les mouvements des deux étoiles naines blanches, et de nombreux autres paramètres à commencer par leur masse.
Le trio est situé à 1300 parsecs, le premier couple est formé de l'étoile à neutrons (le pulsar) qui a une masse de 1,44 masses solaires et qui tourne sur elle-même 365,95 fois par seconde et d'une naine blanche de 0,197 masse solaire, qui se tournent autour avec une période orbitale de 1,63 jours. Ce couple est lui-même en couple avec la seconde naine blanche (de 0,41 masse solaire) , qui se tournent autour avec une période orbitale de 327,25 jours.

Voisin et ses collaborateurs ont donc pu refaire l’expérience de Galilée lâchant depuis la tour de Pise deux objets de masse différente pour montrer qu’ils arrivaient ensemble au sol. Les deux objets différents sont ici les deux étoiles naines de masses différentes et l’étoile à neutrons joue le rôle de la Terre.
Le système triple de PSR J0337+1715 avait déjà été utilisé il y a quelques années pour effectuer ce genre de mesure via les délais des pulsations du pulsar, ce qu’on appelle en anglais le pulsar timing. Mais ici, les astrophysiciens et radioastronomes parviennent à améliorer de 30% la précision grâce notamment à des observations en continu durant 6 ans avec le radiotélescope de Nançay. Par rapport à l’étude précédente, les chercheurs français et allemands utilisent surtout des données différentes, associées à l’utilisation d’un nouveau modèle temporel et une intégration numérique indépendante des mouvements du système à trois corps. Les masses et les paramètres orbitaux ont ainsi été déterminés avec une méthodologie innovante qui introduit un paramètre nommé Δ, qui décrit la violation possible du principe d’équivalence fort. 
Rappelons au passage qu’il existe un autre principe d’équivalence, le principe d’équivalence faible, formulé par Newton dans les Principia, qui dit que la masse inertielle est équivalente à la masse gravitationnelle.
Le paramètre Δ de Voisin et ses collègues est traité dans leur modèle de la même manière que les autres paramètres du système d’étoiles. Après reconstruction des accélérations des deux étoiles naines par rapport au pulsar, Voisin et ses collaborateurs calculent une valeur du paramètre de violation du principe d’équivalence Δ qui vaut 0,5 ± 1,8.10−6 à 95% de niveau de confiance, ce qu’on peut aussi écrire, en prenant l’enveloppe des incertitudes : 2. 10−6

En d’autres termes, les chercheurs ont montré que le principe d’équivalence fort, dans le champ de gravité du pulsar PSR J0337+1715 ne déviait au maximum que de 2. 10-6 (avec un niveau de confiance de 95%) par rapport à ce que prédit la Relativité Générale. C’est simplement la confirmation la plus précise jamais obtenue de la théorie d'Einstein pour des objets en forte interaction gravitationnelle. Parce que grâce à cette valeur de violation maximale extrêmement faible, les chercheurs apportent des contraintes supplémentaires sur des théories de gravitation alternatives, les repoussant toujours un peu plus loin de la triomphante théorie einsteinienne… 


Source

An improved test of the strong equivalence principle with the pulsar in a triple star system
G. Voisin et al.
Accepté pour publication dans Astronomy & Astrophysics


Illustration 

Vue d'artiste du pulsar J0337+1715 (en bleu) en orbite avec une naine blanche proche et une seconde naine blanche plus distante en arrière plan (G. Voisin)