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20/12/11

L'oscillométrie des neutrinos, nouvelle branche de la physique

Vous n'avez peut-être encore jamais entendu parler de l'oscillométrie. Mais vous risquez d'en entendre parler dans les mois et années qui viennent. L'oscillométrie est une nouvelle branche de la physique des particules qui est juste en train d'éclore...

Comme le nom l'indique, l'oscillométrie consiste à mesurer une oscillation. Une oscillation ? Oui, l'oscillation des particules qui oscillent. Mais quelles sont les particules qui oscillent ? Et bien.. Les neutrinos!

Les neutrinos existent sous trois saveurs différentes assez bien connues (encore que...) : le neutrino électronique, le neutrino muonique et le neutrino tauique, et peut être aussi une quatrième voire une cinquième saveur, ces deux dernières étant un peu spéciales car elles correspondraient à des neutrinos "stériles", c'est à dire qu'ils n'interagiraient avec rien (sauf la gravitation, quand même, et c'est crucial)...

Une découverte fondamentale des années 1990 a été l'existence d'une oscillation des neutrinos : un neutrino de l'une des trois saveurs (celles qu'on connait) peut se transformer en l'une des deux autres saveurs. Cette oscillation intervient dans le temps et l'espace au cours du trajet du neutrino.

Probabilité d'oscillation pour un neutrino électronique.
Si nous avons au départ un neutrino électronique, il se transformera en neutrino muonique puis redeviendra neutrino électronique, avec une certaine période spatiale. Le nombre de neutrinos électroniques variera donc en passant par des minima et des maxima dans l'espace.

C'est la mesure précise de cette période d'oscillation que l'on appelle désormais l'oscillométrie.

Et il se trouve que la période d'oscillation dépend des propriétés fondamentales des neutrinos, mais aussi de leur énergie cinétique, qui peut être très variable. Tout le problème de l'oscillométrie est de pouvoir mesurer avec précision ce qui se passe (les maxima et minima) sur plusieurs périodes. Et pour ça, pour travailler sur des distances raisonnables (quelques mètres à quelques dizaines de mètres), c'est à dire utiliser des détecteurs de cette taille, il faut absolument des neutrinos de faible énergie.

Il faut donc les fabriquer spécifiquement, et pas uniquement étudier ceux que nous produisent le soleil ou les réacteurs nucléaires par exemple.
La deuxième spécificité nécessaire pour une bonne oscillométrie de précision c'est de travailler avec des neutrinos qui ont une et une seule énergie cinétique (on parle alors de neutrinos monoénergétiques).

Comment faire ?

Et bien c'est possible et même relativement simple! Le salut de l'oscillométrie passe par la physique nucléaire et la radioactivité. Il existe plusieurs modes de radioactivité, certains sont bien connus comme la radioactivité alpha, béta ou gamma. Mais il existe un mode de décroissance radioactive un peu moins connu du grand public qu'on appelle la capture électronique. Elle consiste pour un noyau instable à absorber un électron de son cortège électronique; un proton du noyau devient alors un neutron et un neutrino électronique - monoénergétique - est émis simultanément...

D'autre part, les noyaux radioactifs de ce type ont le plus souvent le bon goût de produire des neutrinos dont l'énergie est de quelques centaines de keV "seulement", ce qui est bien en adéquation avec une période d'oscillation de quelques mètres...

Projet de détecteur LENA (Low Energy Neutrino Astronomy).
L'élément radioactif de choix pour l'oscillométrie s'appelle le Chrome-51, qui est un isotope du Chrome ayant une période radioactive de 28 jours et qui produit des neutrinos de 757 keV. Le chrome-51 ne se trouve malheureusement pas au coin de la rue, mais en revanche, nous avons suffisamment de réacteurs nucléaires qui peuvent être utilisés pour fabriquer ce type de sources radioactives, il suffit de plonger du Chrome-50 dans le flux neutronique du réacteur pour en ressortir du Chrome-51 par des réactions de capture neutronique.

Il s'agit donc d'une histoire subtile de captures... capture neutronique pour produire l’élément radioactif qui va ensuite faire des captures électroniques et produire ces neutrinos électroniques monoénergétiques à mesurer par oscillométrie.

Et le détecteur me direz-vous ? Comment mesure-t-on le nombre de neutrinos qui se baladent ? Le principe envisagé (pour le moment) est de détecter le nombre de neutrinos électroniques sur plusieurs mètres ou dizaines de mètres par les interactions de diffusion qu'ils produisent sur les électrons de la matière du détecteur.
Tels des boules de billards, les neutrinos produisent des chocs élastiques avec les électrons du milieu et ces derniers subissent alors un léger recul. Ce sont ces reculs d'électrons qui sont détectés via l'ionisation ou la scintillation qu'ils produisent dans le milieu détecteur, et ce tout le long de la trajectoire des neutrinos qui oscillent d'une saveur à l'autre. Et comme seuls les neutrinos électroniques jouent au billard avec les électrons, on peut mesurer assez facilement les creux et les bosses de la population des neutrinos électroniques, une belle mesure oscillométrique...

Ces détecteurs sont soit gazeux soit liquides, imaginés pour le moment soit sous forme d'une sphère de quelques mètres de diamètre (projet NOSTOS notamment), ou soit sous forme d'un cylindre de plusieurs dizaines de mètres de longueur (on peut citer par exemple le projet allemand LENA avec son cylindre de 100 m de longueur...). Il peuvent être des détecteurs polyvalents dont l'objectif principal est de détecter des neutrinos de diverses sources : astrophysiques, solaire, faisceaux venant du Cern, etc... mais aussi de pouvoir accueillir une source radioactive de neutrinos monoénergétiques bien spécifique comme celle mentionnée ci-dessus.

Là où l'oscillométrie devient extrêmement importante, c'est dans son pouvoir (sur le papier pour l'instant) de mettre en évidence la ou les deux autres saveurs potentiellement stériles de neutrinos. Si ces neutrinos stériles existent, l'oscillométrie sur des neutrinos de faible énergie comme ceux du Chrome-51 pourrait en révéler l'existence expérimentalement (non pas en les détectant directement mais en mesurant une oscillation anormale des neutrinos "classiques", car évidemment, ils oscilleraient entre eux).

Et ces neutrinos stériles, étant plus massifs que les trois classiques, peuvent être une solution très intéressante pour expliquer une partie (peut-être grande) de cette matière noire qui peuple majoritairement l'Univers et que nous n'arrivons toujours pas à éclaircir...




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