Suite à ce que je disais ici, il me paraît important d'apporter quelques précisions pour bien comprendre ce qui sera annoncé au CERN mardi prochain le 13 décembre.
Je vais expliquer (ou tenter, du moins) ce qu'est un résultat significatif en physique des particules, c'est à dire une découverte. On peut déjà affirmer sans crainte qu'aucun résultat significatif ne sera annoncé le 13 décembre, hélas. Mais ça ne veut pas pour autant dire que le Higgs n'est pas très proche d'être officiellement découvert.
Voilà pourquoi :
La mise en évidence du boson de Higgs repose sur la production au LHC de milliards de collisions de protons. Chaque collision produit une quantité d'énergie très importante qui est suivie par la création de très nombreuses particules secondaires, qui vont ensuite se désintégrer, produisant d'autres particules, intéragir dans les divers composants des structures ou des détecteurs rencontrés ou pas interagir du tout et disparaître au loin.
A partir de la détection des tous ces événements de particules secondaires, les physiciens les analysent pour reconstruire ce qui pourrait être les bosons de Higgs à leur origine et surtout quelle serait leur masse.
Ils peuvent ainsi tracer sur un histogramme le nombre d’événements en fonction de la masse reconstruite.
Ça serait simple si c'était binaire (signal de Higgs ou pas signal de Higgs). mais comme vous l'avez compris, c'est bien plus complexe. La quantité de particules détectées est phénoménale, et déterminer qu'un photon gamma détecté en particulier est bien celui qui est issu d'un boson de Higgs et n'est pas issu d'un autre phénomène d'une interaction parasite, c'est chercher une aiguille dans une énorme botte de foin, voire une grange.
Les physiciens doivent pouvoir séparer ce qu'on appelle le Signal et ce qu'on appelle le Bruit (le signal parasite, pour faire simple). Lorsque le bruit est du même ordre ou presque que le Signal, il faut alors utiliser des méthodes statistiques pour montrer qu'un signal "sort" du bruit.
Alors comment font-ils, au final, ces physiciens des particules ? Et bien ils mesurent un signal, un bruit et affectent au signal ce qu'on appelle un intervalle de confiance. L'intervalle de confiance, c'est la plage sur laquelle on peut être sûr avec une certaine probabilité que le résultat annoncé se trouve dedans.
La largeur de l'intervalle de confiance dépend du niveau de confiance que l'on souhaite imposer pour le résultat (la probabilité de vraisemblance du résultat), et surtout de l'écart type associé à la distribution statistique du signal mesuré.
On cherche bien évidemment à obtenir l'intervalle de confiance le plus étroit possible, avec le niveau de confiance, lui, le plus élevé possible.
Je le dis tout de suite, un résultat significatif (une découverte) en physique des particules n'est affirmé que si un niveau de confiance de plus de 99.9999% est obtenu !
Un tel niveau de confiance correspond à un intervalle de confiance défini à plus ou moins 5 sigmas.
Un intervalle dit "à 1 sigma" correspond à un niveau de confiance de 68% : très mauvais.
Un intervalle à 2 sigmas correspond à un niveau de confiance de 95% : on peut se tromper dans 5% des cas; intolérable.
Un intervalle à 3 sigmas correspond lui à un niveau de confiance de 99.7%, ça reste insuffisant pour annoncer une telle découverte...
Tout l'enjeu des annonces faites au CERN la semaine prochaine résidera dans la longueur de l'intervalle de confiance qui sera annoncé.
Un résultat qui est annoncé avec un intervalle de confiance entre 2 et 3 sigmas n'est pas très intéressant, on en a déjà vu qui se sont révélés faux, mais si il est supérieur à 3 sigmas, on peut dire que ça commence à sentir bon, même si il faut rester prudent et que la découverte ne peut pas rigoureusement être proclamée.
La seule façon de réduire la largeur de l'intervalle de confiance (obtenir une meilleure précision sur le résultat) en augmentant le niveau de confiance, c'est de réduire l'écart type sigma. Et que faut-il faire pour réduire cet écart-type ? C'est très simple : Il faut augmenter la population de l'échantillon : faire plus de collisions de protons, détecter plus de particules!
Les expériences CMS et ATLAS n'ont pas encore suffisamment d'événements enregistrés, il faudra probablement attendre 2012 pour atteindre des niveaux de confiance à 5 sigmas. Et c'est seulement à ce moment-là qu'une vraie découverte pourra être annoncée. La patience s'impose.
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Ton exposé est très intéressant d'autant plus que ce genre de détails est assez peu courant sur internet (mais j'ai peut-être mal cherché).
RépondreSupprimerQuelques points demeurent obscurs pour moi:
tu dis
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Ils peuvent ainsi tracer sur un histogramme le nombre d’événements en fonction de la masse reconstruite.
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Qu'appelles-tu masse reconstruite et de quoi ?
tu dis
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Les physiciens doivent pouvoir séparer ce qu'on appelle le Signal et ce qu'on appelle le Bruit
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comment singulariser ce " Signal" parmi tous les autres pour pouvoir ensuite le séparer ?
Encore merci pour cet exposé qui donne envie d'en savoir plus sur ces sujets... d'où mes questions.
quelques réponses :
RépondreSupprimerDans la recherche du boson de Higgs, les physiciens ne détectent pas le boson directement, mais ces produits de désintégration, qui peuvent être de plusieurs types. Il faut donc pouvoir déterminer la masse initiale du Higgs à partir de l'énergie des particules secondaires détectées, d'où ce que j'appelle "reconstruction" de la masse, qui n'est autre que l'énergie initiale (masse = énergie).
Pour séparer le bruit du signal, le seul et unique moyen, c'est de connaitre au mieux ce qu'on ne cherche pas à défaut de connaître ce qu'on cherche.
Toutes les sources de bruit sont a priori connues, en tout cas doivent l'être au mieux (par modélisations, etc...) pour écarter ce "bruit" et ne conserver que le signal "non prévu", qui sort donc du bruit.