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03/11/12

Un Détecteur de Matière Noire à base d'ADN

Katherine Freese est une astrophysicienne théoricienne pleine d'imagination, ce qui est plutôt intéressant pour une théoricienne. Cette chercheuse de l'Université du Michigan s'intéresse depuis de longues années à l'un des problèmes actuels les plus importants en astrophysique et en cosmologie : la matière noire (ou matière sombre).
Avec son équipe et un collaborateur biologiste, elle vient de proposer un concept de détecteur très innovant qui pourrait permettre de détecter très efficacement une caractéristique cruciale des WIMPs, à savoir leur direction, et avec une très grande précision.

Schéma du concept de détecteur de WIMPs à ADN (A. Drukier, K. Freese)
En effet, comme on le sait, le système solaire étant en rotation autour du centre galactique et plongé dans un halo de matière noire sous forme de WIMPs (hypothèse la plus couramment admise), et la Terre tournant autour du Soleil, il résulte une modulation apparente du flux de WIMP. C'est le signal qui est recherché par les expériences de détection directe des WIMPs. Mais il s'avère qu'il est aujourd'hui impossible de pouvoir mesurer la direction d'incidence des particules fantômatiques que sont les WIMPs. Or c'est en observant leur direction d'origine qu'on pourra être catégorique sur la nature galactique de la modulation annuelle observée. L'enjeu est de taille.

Pour connaître la direction des WIMPs qui font reculer les noyaux d'atomes par collision élastique, il faut pouvoir mesurer la direction du noyau qui recule, c'est aussi simple que ça. Mais les meilleurs détecteurs actuels, qu'ils soient des semiconducteurs, des cristaux scintillateurs ou bien des chambres d'ionisation à gaz, ne produisent des reculs de noyaux qui ne sont que de quelques nanomètres alors que la résolution spatiale de ces détecteurs n'est que de quelques micromètres, soit 1000 fois plus.

L'idée, assez géniale, de Katherine Freese est d'utiliser la biologie. Et plus exactement des systèmes biologiques que l'on maîtrise parfaitement aujourd'hui : l'ADN, sa multiplication et son analyse automatisée.
Le but est de parvenir à reconstruire la direction des WIMPs via la direction des noyaux d'atomes qui sont impactés, avec une résolution nanométrique. Quoi de mieux qu'un simple-brin d'ADN, parfaitement connu, et dont on peut connaître avec une très grande précision le lieu de cassure éventuelle ?

Flux de reculs moyenné dans le temps, en coordonnées galactiques (pour des WIMPs de 100 GeV, section efficace de 10-6 pb, modèle de halo standard avec une densité de 0.3 GeV/cm3; A. Green

Voici la méthode proposée : des milliers de simples-brins d'ADN sont produits avec une suite de bases bien choisies (A, C, T, G, A, C, etc, par exemple) et sont accrochés sur une feuille de métal de numéro atomique élevé, de l'or dans l'idée publiée.

Les WIMPs interagissent dans la feuille d'or et produisent des "noyaux de recul", qui vont pouvoir s'échapper de la feuille et vont ensuite se déplacer parmi les milliers de brins d'ADN situés en dessous. Lorsqu'un noyau lourd d'or rencontre un brin d'ADN, il le coupe littéralement. On obtient alors, lorsque de nombreux WIMPs vont faire de même, une série de brins d'ADN qui se retrouvent coupés à différents endroits.
Grâce aux techniques maintenant classiques de biologie moléculaire (la PCR, polymerase chain reaction), on arrive à amplifier l'ADN par un facteur de l'ordre du milliard. Une seule cassure de brin d'ADN devient tout à fait visible. En traitant l'ensemble des brins qui étaient suspendus à la feuille d'or, on peut obtenir une véritable trace indiquant la direction prépondérante des noyaux d'or, et donc des WIMPs...

Non seulement une résolution spatiale 1000 fois meilleure pourrait être obtenue par rapport aux meilleurs détecteurs actuels, permettant de mesurer la direction incidente, mais ce type de détecteur serait également sensible aux WIMPs de très basse énergie, ce que n'offrent pas tous les détecteurs classiques. De plus, il serait très peu sensible au bruit de fond, ne nécessitant ainsi pas forcément d'être installé en labo souterrain. Il ne nécessiterait pas non plus d'être refroidi à des températures cryogéniques.

Qui plus est, malgré une masse d'or nécessaire de l'ordre de 1 kg, ce type de détecteur serait a priori moins cher que ce qui se fait de mieux aujourd'hui et même plus polyvalent, l'or pouvant être remplacé par d'autres métaux pour explorer la masse et la section efficace des WIMPs par exemple...

Avec tous ces avantages si alléchants, il ne reste plus qu'à prouver la faisabilité expérimentale d'un tel dispositif, en espérant que cela puisse aboutir avant que d'autres expériences plus colossales soient arrivées au but plus rapidement...


biblio :
New Dark Matter Detectors using DNA for Nanometer Tracking
Andrzej Drukier, Katherine Freese et al.
Arxiv  1206.6809 v1 (28 juin 2012)

Optimizing WIMP directional detectors
A. Green et al.
Astroparticle Physics vol. 27, (mars 2007), p. 142-149

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