Vous
connaissez sans doute, si vous êtes fidèle lecteur, ce qu'on appelle le fond diffus cosmologique (CMB par son acronyme anglais), ces
photons qui nous parviennent d'une époque où l'Univers n'avait que 280000 ans
et était 1000 fois plus petit qu'aujourd'hui. Il a notamment été mesuré
avec une très grande précision par le satellite Planck, dont nous avons amplement parlé ici. Ce fond diffus de photons
nous permet de tirer de précieuses informations sur la jeunesse de l'Univers et
sur ses caractéristiques aujourd'hui. Mais il existe un autre fond diffus,
encore plus ancien, et potentiellement encore plus instructif sur les premières
secondes de l'Univers: le fond
diffus cosmologique de neutrinos.
Le fond
diffus de neutrinos possède des similarités avec le fond diffus de photons. Il
apparaît lors d'un découplage entre particules. Dans les fractions de secondes
suivant la singularité initiale, coexistent dans l'Univers électrons,
positrons, quarks, antiquarks, neutrinos, antineutrinos et photons.
Fond diffus cosmologique (photons) (Planck Collaboration) |
De par leur
interaction faible avec les électrons, les neutrinos se "libèrent" de
leur emprise à une température (ou énergie) bien plus grande que les photons,
qui interagissent eux par interaction électromagnétique avec les
électrons. Qui dit énergie bien plus grande dit bien plus tôt.
Alors que le
découplage photons-électrons a lieu à une température de l'ordre de 3000
Kelvins, celui des neutrinos prend place lorsque la température avoisine les 10
milliards de Kelvins, soit une énergie d'environ 1 MeV. Cette température
correspond à un âge de 1 seconde seulement! Les neutrinos reliques formant le
fond diffus de neutrinos nous donnent ainsi une image de l'Univers lorsqu'il
n'avait que 1 seconde...
C'est
dire l’intérêt extrême qui existe à pouvoir mesurer ce fond diffus de
neutrinos. Mais voilà, il n'y a rien de plus difficile à mesurer. Non seulement
le nombre de ces neutrinos reliques qui nous parviennent est faible (leur
densité est estimée à 56 neutrinos/cm3, alors qu'elle est de 370
photons/cm3 pour le fond diffus cosmologique de photons), mais leurs
interactions avec la matière, qui doit nous permettre de les détecter, est elle
aussi extrêmement faible. Les neutrinos n'interagissent presque pas, ils
peuvent aisément traverser de part en part toute une planète sans
être arrêtés...
Mais les
physiciens cherchent tout de même des pistes pour détecter ces neutrinos
primordiaux.
L'une des
pistes envisagées est une détection indirecte : si une source
de rayonnements ultra énergétiques (typiquement un GRB produit par
une supernova ou un trou noir) produit des neutrinos ultra-énergétiques, dont
l'énergie dépasse 1022 eV, ceux-ci
pourraient interagir avec les neutrinos du fond diffus (qui eux ont
une énergie très faible désormais) pour former des bosons Z qui se désintégreraient
rapidement en gerbes de particules comme des électrons et des positrons
énergétiques, détectables par nos détecteurs de rayons cosmiques habituels.
Désintégration béta du tritium (philica.com) |
Cette méthode a
le gros désavantage d'être très indirecte. Une autre méthode, directe celle-là,
est donc envisagée sérieusement pour détecter ces neutrinos reliques qui nous
entourent, nous imprègnent et nous traversent continuellement...
Cette
méthode de détection directe repose sur le phénomène de radioactivité béta. Lors de la
désintégration béta, un électron et un antineutrino électronique sont émis
simultanément par le noyau radioactif. Ils emportent tous les deux une partie
de l'énergie de la réaction, la somme étant toujours la même et ne dépendant que
de l'isotope concerné.
Il se trouve
que la réaction inverse est possible : si un neutrino électronique est absorbé
par un tel noyau radioactif (le tritium, isotope radioactif de l'hydrogène, est une bonne cible), il peut y avoir
émission d'un électron tout seul (sans antineutrino) qui emporte toute
l'énergie de la réaction plus celle de la masse du neutrino incident.
Si cela
arrive, la mesure de l'énergie de tous les électrons émis par le tritium (le
spectre en énergie) doit donc montrer une petite (toute petite) partie qui a
une énergie un tout petit supérieure à toutes les autres... La différence est
en fait égale à deux fois la masse du neutrino électronique.
Vu comme ça,
ça à l'air facile. Mais je ne vous ai pas encore parlé de la probabilité qu'une
telle réaction ait lieu...
Il existe
une expérience germano-russe, appelée KATRIN (Karlsruhe Tritium Neutrino Experiment), qui justement utilise une source
de tritium de 20 µg, pour observer de très près l'énergie
des électrons qui en sont émis, dans le but de déterminer la masse des antineutrinos électroniques. Le calcul développé par A. Fässler et
ses collègues montre qu'avec cette source, le nombre d'interactions de
neutrinos du fond diffus est de 1 tous les 590 000 ans!
Mais ils ne
perdent pas espoir pour autant, ces physiciens acharnés... Ils considèrent une
variante optimiste qui montre que les neutrinos reliques, comme ils possédent une petite
masse, peuvent subir une agglomération au sein des galaxies, augmentant ainsi
considérablement leur densité initiale de 56/cm3 à plus de 50
millions/cm3. Avec cette hypothèse la plus optimiste, ils
parviennent à calculer un taux d'interaction de 1,7 coups par an. C'est mieux.
Mais c'est encore
trop peu. Alors, comme le calcul a été effectué à partir de la source existante
de l'expérience KATRIN, nos chers physiciens proposent donc d'utiliser une bien
plus grosse source de tritium, de 2 mg par exemple, ce qui permet d'augmenter
d'un facteur 100 le nombre d'interactions pour atteindre 160/an. Et là ça
devient envisageable...
Il reste en
fait un dernier petit verrou technologique qui est le détecteur d'électrons. Ce
dernier doit avoir une excellente résolution en énergie, suffisante pour
pouvoir distinguer des fractions d'électron-volts, ce qui est encore
aujourd'hui un petit challenge. Mais même si le détecteur de KATRIN n'a pas une
résolution suffisante, le comptage dans la zone d'intérêt devrait tout de même
permettre de fixer des limites sur la densité des neutrinos reliques, ce qui est
déjà un résultat excellent...
A quand une cartographie complète du fond diffus de neutrinos aussi précise que celle de Planck en photons ? Les paris sont lancés, et la recherche est en marche.
Référence :
Search for the Cosmic Neutrino Background and KATRIN
Amand Faessler et al.
http://arxiv.org/pdf/1304.5632v3.pdf (4 mai 2013)
Article très prometteur...
RépondreSupprimerCependant, obtenir une densité de 50 millions de neutrinos par cm3 semble supposer une masse de 0.6 eV selon l'article. KATRIN prévoit d'avoir une résolution de 0.2 eV, donc on devrait bientôt savoir si cette prévision est trop optimiste non ?
Là où les auteurs sont peut-être très (trop ?) optimistes, c'est sur le facteur de surdendensité qu'ils considèrent (10^6) effectivement. A noter que pour le moment, si je ne m'abuse, la source de tritium de KATRIN ne fait toujours que 20 µg (ce qui est déjà gros pour une source de tritium).
RépondreSupprimerOui en effet, ce que je voulais dire c'est que si KATRIN voit une masse inferieure a 0.6eV, voire met une contrainte de 0.2eV maximum pour la masse (s'ils ne voient rien), alors le facteur de surdensite doit etre serieusement revu a la baisse... et la detection est beaucoup plus difficile !
RépondreSupprimerBien sur, ca depend aussi du modele du matiere noire utilise...
Première lecture sur ce blog et je dois avouer que, même sans jamais les avoir étudiés, ça donne envie d'en savoir beaucoup plus sur la physique des particules, le modèle standard, l'astrophysique, etc.
RépondreSupprimerMerci de partager ces connaissances!
(Si ça peut aider, j'ai relevé une toute petite faute d'orthographe juste au dessus de la figure de l'expérience KATRIN: "le nombre…est de 1 tous les 590000 ans". En espérant ne pas me tromper!)
Le plaisir est dans le partage!..
SupprimerMerci de votre attention. La coquille (car c'en était une) est corrigée.
Je ne suis hélas pas à l'abri de quelques coquilles...