C'est donc officiel, il existe désormais un nouveau laboratoire pour étudier les rayons cosmiques : notre galaxie voisine, le Grand Nuage de Magellan. Les astrophysiciens parviennent en effet à étudier directement les rayons gamma qui y sont produits quand des rayons cosmiques interagissent avec du gaz ou des photons de faible énergie, et ce pour différents types de sources.
Image des sources gamma détectées par H.E.S.S (LAPP/IN2P3) |
La recherche sur les rayons cosmiques, notamment ceux qui ont une très haute ou une ultra-haute énergie a beaucoup progressé depuis une vingtaine d'années grâce à la mise en place de télescopes dédiés exclusivement à ces rayons gamma. Ces photons gamma qui peuvent avoir une énergie colossale dépassant 10^14 eV sont produits lors de collisions de noyaux d'atomes sur des nuages de gaz (rayons cosmiques hadroniques), ou bien par diffusion Compton inverse d'électrons ou de positrons ultra-relativistes sur des photons à plus basse énergie (rayons cosmiques leptoniques).
Des études antérieures effectuées avec H.E.S.S pointées vers l'intérieur de notre galaxie avaient pu mettre en évidence de nombreux résidus de supernovas et autres nébuleuses à vent de pulsars émettant des photons gamma de plus de 100 GeV. Cette fois-ci, c'est à l'extérieur de notre Galaxie que H.E.S.S a pu détecter ces trois nouvelles sources gamma clairement identifiées, et plus exactement dans le grand nuage de Magellan, petite galaxie satellite de la nôtre, visible dans l'hémisphère sud (H.E.S.S est un réseau de détecteurs basé en Namibie depuis 2002, et amélioré en 2012).
Le réseau de réflecteurs de H.E.S.S (Clementina Medina/CEA-Irfu) |
Le grand nuage de Magellan, rappelons-le, est une galaxie irrégulière qui a une masse totale de seulement 4% de celle de la Voie Lactée, et est situé à une distance d'environ 180000 années-lumière. Grâce à sa nature, la confusion entre sources gamma est beaucoup moins problématique que lorsque l'on regarde vers le centre de notre galaxie par exemple, les incertitudes sur les distances sont également beaucoup moins importantes.
Les téléscopes gamma comme H.E.S.S possèdent une résolution angulaire de quelques arcminutes, bien meilleure que celle que peut atteindre le télescope Fermi-LAT, qui fut l'un des premiers instruments à détecter des rayons gamma dans le Grand Nuage de Magellan, mais diffus. C'est sa très bonne résolution angulaire qui permet à H.E.S.S d'identifier des sources individuelles.
Ses observations de trois nouvelles sources gamma au sein du Grand Nuage de Magellan permettent d'étendre l'astronomie gamma à haute énergie en donnant des exemples concrets de sources situées en dehors de notre galaxie.
N157B et N132D appartiennent à des classes de sources gamma bien documentées, avec des caractéristiques distinctes, la première est produite par un jeune pulsar énergétique et la seconde est l'un des plus vieux résidus de supernova émetteur gamma. La superbulle 30 Dor C, quant à elle, fournit pour la première fois une signature nette en rayons gamma.
Les observations de la collaboration internationale exploitant le télescope H.E.S.S a porté sur 210 heures d'exposition dans la direction de la nébuleuse de la Tarentule (30 Dor), connue pour être la plus grande région de formation d'étoiles dans l'ensemble des galaxies du Groupe Local, dont fait également partie la Voie Lactée. Les rayons gamma ultra-énergétiques sont détectés par H.E.S.S lorsqu'ils pénètrent dans l'atmosphère. Ils produisent alors des gerbes de particules chargées secondaires, qui elles-mêmes vont produire dans l'atmosphère de la lumière visible par effet Cherenkov. C'est cette lumière que H.E.S.S capte.
Si on s'amuse à retracer les processus physiques qui entrent en jeu entre le résidu de supernova (par exemple) et le miroir de H.E.S.S, on voit toute la difficulté de ces recherches : un électron est accéléré à une vitesse relativiste par le champ magnétique monstrueux d'un pulsar, il rencontre un photon venant d'une étoile voisine, produit sur celui-ci une diffusion Compton inverse en lui transférant une grande quantité d'énergie, le photon, de visible devient brutalement gamma et se trouve dirigé par hasard vers notre galaxie, et plus précisément vers le Soleil, avec la Terre qui passe par là par hasard. Après 180000 ans de parcours, ce photon gamma ultra-énergétique rencontre un atome d'azote avec ses sept protons, ces sept neutrons et ses sept électrons, à 15 km d'altitude dans la haute atmosphère de la Terre, de multiples paires électron-positron sont alors produites, chaque électron ou positron produisant à son tour quantité de photons par rayonnement de freinage, ces photons interagissent à nouveau avec des atomes d'oxygène cette fois-ci pour produire des électrons encore très énergétiques, dont la vitesse est supérieure à celle de la lumière dans l'air, il se produit alors une intense production de lumière bleue sous forme d'un cône de lumière par effet Cherenkov. Ces photons de lumière visible sont très peu absorbés dans l'atmosphère très pure d'Afrique australe et viennent s'écraser sur des miroirs posés là dans la savane par des hommes qui veulent tout savoir sur les résidus de supernova... et qui y parviennent, et même de mieux en mieux.
Source :
The exceptionally powerful TeV γ-ray emitters in the Large Magellanic Cloud
The H.E.S.S. Collaboration
Science 23 January 2015: Vol. 347 no. 6220 pp. 406-412
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