L'évolution de la température à l'intérieur du Soleil en fonction de la distance du centre, son profil de température, est contrôlée par l'absorption du rayonnement par la matière stellaire, ce qu'on appelle l'opacité. Plus la matière est opaque, plus elle "retient" le rayonnement produit et donc plus la température est élevée. L'opacité dépend de deux paramètres : d'une part le pouvoir absorbant intrinsèque de la matière en question, et d'autre part sa densité ou abondance dans la zone considérée.
La machine Z du Sandia National Laboratory (Sandia NL) |
Jusqu'à présent, aucune expérience n'était parvenue à mesurer cette opacité dans les conditions qui sont celles de l'intérieur du soleil, ce qui pouvait apporter de grandes incertitudes dans les modèles stellaires développés. Le problème est même devenu criant à partir du moment où des analyses spectrales précises de la photosphère du Soleil ont montré que les abondances en carbone, azote et oxygène devaient être revues à la baisse de 30 à 50%. Or, une fois cette révision introduite dans les modèles, ces derniers n'étaient plus cohérents avec les observations en héliosismologie qui permettent de déterminer la structure interne de notre étoile par des mesures d'oscillations acoustiques. L'opacité devait être près de 15% plus grande pour que modèle et observations redeviennent cohérents. Une opacité plus grande permet de compenser une abondance plus faible d'éléments absorbants.
Il faut savoir que le fer, présent en relativement faible quantités dans le soleil, a lui seul produit environ un quart de l'opacité des couches internes solaires situées à la frontière des zones dites de radiation et de convection.
Une équipe de physiciens américains et français, menée par John Bailey de Sandia National Laboratories, s'est donc lancée dans des mesures inédites de l'opacité du fer dans les conditions extrêmes qui sont celles des couches internes du soleil. Ils publient leurs résultats cette semaine dans la revue britannique Nature.
La structure interne du Soleil. |
Ces mesures d'opacité en fonction de la longueur d'onde ont été effectuées à des températures d'électrons de l'ordre de 2 millions de kelvins et des densités d'électrons comprises entre 0,7 et 4.10^22 électrons/cm3, ce qui est très proche des valeurs existants à la frontière des zones radiatives et convectives du Soleil.
Ces mesures hors du commun ont été effectuées dans l'installation Z du Sandia National Laboratory, à Albuquerque au Nouveau Mexique. Z est une machine unique au monde qui a été développée depuis quelques décennies pour la mise au point des armes nucléaires américaines. Il s'agit d'une énorme machine à impulsions électromagnétiques qui permet de produire des bouffées de rayons X qui vont ensuite créer des phénomènes d'augmentation de densité et température extrêmes sur un échantillon de matière, exactement ce qui se passe au cœur d'une explosion thermonucléaire et au cœur d'une étoile... Pour donner quelques chiffres, Z consomme un courant de 26 millions d'ampères à chaque tir, pour produire une énergie de rayons X de plusieurs Megajoules.
Dans les années 1990, la température maximale atteinte avec Z n'excédait pas 0,9 millions de kelvins, puis une amélioration de la plateforme expérimentale en 2007 permit d'atteindre 1,8 millions K, et le pas supplémentaire fut franchit ces toutes dernières années notamment par l'optimisation de l'échantillon de Fe-Mg utilisé dans l'expérience, qui ne dure que quelques nanosecondes.
Les physiciens ont reproduit plusieurs mesures entre mars 2011 et mars 2014, en faisant varier la ratio température/densité électronique, afin de comprendre les phénomènes jouant sur l'évolution de l'opacité du fer.
Les valeurs d'opacité qu'ils obtiennent sont beaucoup plus grandes que celles imaginées auparavant : entre 1,3 et 4 fois plus grande, en fonction de la longueur d'onde.
Ces réévaluations permettent ainsi d'expliquer la moitié de l'augmentation de l'opacité nécessaire pour faire coller modèle et observations du soleil. Sans oublier que le fer, le seul élément sur lequel ont porté ces expériences, n'est que l'un des nombreux éléments contribuant à l'opacité des couches internes du Soleil.
Source :
A higher-than-predicted measurement of iron opacity at solar interior temperatures
J. E. Bailey et al.
Nature 517, 56–59 (01 January 2015)
Je me demandais si tu savais ce que représente exactement la photo de la Z machine de ton billet ? Qu-est ce que sont tous ces filaments en couleur ? c'est très étrange.. et beau :)
RépondreSupprimerJe pense qu'il s'agit d'arcs électriques ! (mais pas sûr tout de même). Le mystère qui entoure cette machine infernale est à lui seul source d'inspiration...
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerIl me semblait avoir lu qu'au coeur du soleil, il fait 15 millions de degrés, et que la Z-machine est capable d'atteindre 2 milliards de degrés (alors effet d'annonce ? ou bien 2 milliards dans une zone particulière ? ou bien info fausse ??)
C'est exact, le coeur du Soleil a une température de 15 millions de K. Ici, on étudie une couche interne qui n'est pas exactement au centre, il s'agit de la frontière radiation/convection, qui est un peu plus froide.
RépondreSupprimerLa température maximale atteinte par Z est effectivement 2 milliards de K, ça a été publié en février 2006 dans Phys Rev Lett. C'est visiblement un effet non désiré au départ, en dehors du fonctionnement normal de la machine...
Bonjour ou bonsoir,
RépondreSupprimerj'ai été assez convaincu par Jean-Perre Petit de la supériorité de la Z-machine sur ITER pour ce qui est de la proximité temporelle de l'obtention fiable et le moins assortie possible d'inconvénients, de la fusion thermonucléaire...
Mais ça date un peu et savez vous où on en est maintenant, d'un côté comme de l'autre, ou ailleurs encore le cas échéant.
En tous cas encore bravo pour ce blog que je suis assez régulièrement,
David
Bonjour,
RépondreSupprimerJe vous conseille de ne pas trop écouter ce monsieur, qui est connu depuis longtemps pour dire beaucoup de bêtises sous un vernis d'ancien scientifique...
Concernant la Z machine de Sandia, les progrès sont effectivement en cours et les américains ont bon espoir d'atteindre un jour un taux de fusion permettant de produire plus d'énergie qu'ils n'en consomment (voir ici, dernières news de 2014 : http://www.sciencemag.org/news/2014/10/z-machine-makes-progress-toward-nuclear-fusion)
Quant à ITER, la construction se poursuit, avec un retard annoncé de plusieurs années pour le premier plasma (vers 2030...)
Il existe aussi une autre machine différente, qui s'appelle W7-X, j'en avais parlé ici : http://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2015/10/la-fusion-nucleaire-bientot-domptee-par.html
Bonjour,
RépondreSupprimeren effet, j'avais subodoré que son propos était un peu limite, mais sur le fond il a quand même raison de dire qu'ITER est un gouffre à fric. (peut-être à bon escient, et en tous cas je veux bien continuer de payer quelques impôts pour ça...)
Et si le W7-X marche plus tôt, ça fera une claque de plus de la part des teutons, mais au moins ça en ferait un qui marche, de "fusionneur".
David