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jeudi 20 août 2015

La comète Chury/67P pleine de trous

Parmi les nombreuses trouvailles effectuées par la sonde Rosetta sur la comète 67P/Chouryumov-Gerasimenko, il en est une étonnante qui concerne la surface du noyau cométaire : elle est pleine de trous, un vrai gruyère!


Une équipe de chercheurs européens exploitant les données multiples de Rosetta a publié il y a quelques semaines une étude consacrée à la structure de la surface de 67P dans la revue Nature et montre l’existence de nombreux gros trous dans le noyau cométaire: 18 exactement, de quoi faire un beau golf… Jean-Baptiste Vincent et ses collègues décrivent en détails ces trous étonnants visibles à la surface de Chury, qu’ils ont étudié de près grâce notamment aux images produites par l’instrument OSIRIS (Optical, Spectroscopic and Infrared Remote Imaging System) de Rosetta. C’est en cartographiant la surface de la comète que les chercheurs ont découvert la présence de ces 18 trous qui ont un diamètre de 200 mètres pour une profondeur d’environ 180 m. Leur morphologie est tout à fait singulière, de forme cylindrique avec une ouverture circulaire et des parois très abruptes. On n’ose imaginer si Philae avait fini sa course dans l’un de ces gros trous…

crédit : ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team 
Qui plus est, ces trous paraissent actifs : les images des trous lorsqu’ils sont éclairés par la lumière solaire montrent un dégagement de poussières sous forme de jets, provenant de leurs parois ou bien de leur fond. La question que se posent les planétologues est bien sûr de savoir d’où viennent ces trous. Et l’équipe de J.B Vincent propose une hypothèse : ce seraient des trous d’effondrement. Ils se formeraient lorsque des matériaux de surface, plus denses que la structure sous-jacente s’effondreraient brutalement. Par ailleurs, il a été montré par l’équipe exploitant l’instrument Radio Science Investigation, que la densité moyenne du noyau cométaire de 67P n’était que de 0,47, soit deux fois moins que la densité de la glace. Et un autre instrument de Rosetta, le Grain Impact Analyser and Dust Accumulator avait mesuré quant à lui un ratio poussière/glace d’environ 4, ce qui laisse penser que ce sont des silicates et des matériaux organiques qui dominent largement la comète plutôt que de la glace. Cette donnée associée celle de la densité mène à la conclusion que 80% du volume de la comète est simplement du vide, ou en d’autres termes, que la comète est extrêmement poreuse, une grosse éponge… Les modèles de formation cométaire prédisent justement une forte porosité de leur structure interne, indiquant que les comètes se forment dans l’enfance du système solaire par agrégation de corps plus petits.

Les chercheurs montrent également dans leur étude que dans certaines zones de 67P, la surface est dominée par de vastes bassins très plats. Certains astronomes estiment qu’il peut s’agir de zones de sublimation très similaires à ce qui avait été observé sur une autre comète semblable à Chury, la comète Wild 2. On peut penser que ces bassins s’élargissent au fur et à mesure que leurs parois se subliment en dégazant, laissant derrière elles les particules non-volatiles qui viennent tapisser le fond du bassin.
Il vient alors à l’esprit des planétologues que peut-être que les grands trous observés par l’équipe de JB Vincent seraient les précurseurs de ses bassins de sublimation, qui s’agrandissent petit à petit par la sublimation de leurs parois. Ce qui est certain, c’est que la plupart des grands trous observés sur Chury se trouvent dans les mêmes zones que celles où se trouvent les vastes bassins.

ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team / J.B Vincent et al.
Ce qui étonne les astronomes, c'est qu'on ne trouve pas de tels bassins de sublimation sur d'autres comètes plus vieilles que Chury et Wild 2. Le point commun de Wild 2 et Chury est en effet leur "jeune âge", c'est à dire la courte durée depuis laquelle elles ont été perturbées gravitationnellement par Jupiter et se retrouvent depuis sur une orbite à même de faire sublimer leur noyau et de les rendre actives : à peine 60 ans, alors que des comètes du même type sur lesquelles on n'observe pas de bassins ou de trous seraient bien plus vieilles (comme par exemple les comètes Tempel 1 ou Hartley 2). Une réponse possible à cette petite énigme pourrait être que sur ces "vieilles" comètes, les bassins pourraient avoir été remplis de couches importantes de matériau non volatile accumulées au cours des phases de sublimation successives, réduisant par là-même leur taux d'activité actuel.

Chury/67P est passée à son périhélie il y a une semaine (son point le plus proche du Soleil), situé à 180 millions de km du Soleil, c'était le 13 août. Rosetta va continuer à lui tourner autour en récoltant de précieuses données encore pendant plus d’un an, le comité de programme scientifique de l’ESA venant de décider la prolongation de la mission jusqu’à fin septembre 2016. Les chercheurs espèrent pouvoir compter sur quelques données en provenance de Philae s’il daigne communiquer correctement un jour, ce qui ne semble pas acquis pour le moment. Peut-être pourrons nous assister à l'apparition de nouveaux trous à la surface de 67P ou bien à l'élargissement des 18 déjà observés.

La compréhension des phénomènes associés à la sublimation du noyau des comètes pourra permettre de mieux appréhender l'origine de leur formation, car on ne sait toujours pas comment se forment les comètes à deux lobes proéminents comme Chury/67P : par collision douce de deux noyaux cométaires ou bien par érosion/sublimation progressive...


Source : 
Large heterogeneities in comet 67P as revealed by active pits from sinkhole collapse
Jean-Baptiste Vincent et al.
Nature 523, 63–66 (02 July 2015)

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