L'observatoire SOFIA (NASA/DLR) |
Ce n'est pas un avion comme les autres qui vient de se poser sur l'aéroport de Christchurch dans le sud de la Nouvelle-Zélande, c'est un véritable observatoire astronomique volant...
Sous son aspect de Boeing 747 un peu pataud, outre le logo de la NASA ornant son empennage, on peut y distinguer une grande porte rectangulaire située vers l'arrière. Et derrière cette porte se cache un énorme télescope de 2,5 mètres de diamètre. Ce télescope volant s'appelle SOFIA (Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy), il est le fruit d'une fructueuse collaboration entre la NASA et le centre d'études spatiales allemand, le Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt, DLR. Mis en oeuvre depuis 2011 et basé en temps normal en Californie, SOFIA a été envoyé en Nouvelle-Zélande pour y étudier le ciel austral durant 8 semaines. Le télescope de SOFIA n'est pas un télescope comme les autres télescopes terrestres, évidemment, puisqu'il a besoin de voler à très haute altitude pour être efficace : c'est un télescope infra-rouge. Or les rayons infra-rouges sont très facilement absorbés par l'atmosphère, notamment par la vapeur d'eau qui y existe en très grandes quantités. SOFIA permet ainsi de disposer d'un grand télescope à une altitude de 12000 mètres, là où 99% de la vapeur d'eau absorbante a disparu et laisse entrevoir une fenêtre unique sur l'univers infra-rouge.
Le miroir de 2,5 de SOFIA reflétant le logo de la NASA (NASA/Tom Tschida) |
L'autre gros avantage de disposer d'un télescope dans un avion, c'est de pouvoir se déplacer à toutes les latitudes et de pouvoir observer indifféremment le ciel boréal ou le ciel austral. La campagne d'observation de ces prochaines semaines est justement dédié à des objets invisibles depuis la Californie puisqu'il s'agit des nuages de Magellan, ces petites galaxies satellites de notre Voie Lactée. Les chercheurs de la collaboration SOFIA vont y étudier les zones de formation d'étoiles pour les comparer avec celles de notre galaxie. En comparant l'évolution stellaire dans des galaxies aussi différentes, les chercheurs espèrent en savoir plus sur la façon dont les premières générations d'étoiles se sont formées.
SOFIA était déjà venu en Nouvelle-Zélande au début de l'été 2015 pour étudier l'atmosphère de Pluton, seulement quelques semaines avant le survol historique de New Horizons. Dans les 8 prochaines semaines, SOFIA devrait effectuer 24 vols incluant 10 heures d'observation chacun. Le télescope de 100 pouces (2,5 m) est muni de nombreux instruments de photométrie et de spectroscopie.
SOFIA atterrit sur l'aéroport de Christchurch le 6 juin 2016 (NASA Photo) |
Au mois de mai 2015, c'est avec l'un de ces instruments, nommé German REceiver for Astronomy at Teraherz frequencies (GREAT) que les astronomes sont parvenus à détecter pour la première fois de l'oxygène atomique dans la haute atmosphère de Mars. La détection de l'oxygène est impossible depuis le sol, étant donné son omniprésence dans notre atmosphère. Il ne peut être détecté dans la lumière provenant des astres qu'en étant au-dessus de l'atmosphère, en orbite, ou suffisamment haut pour ne plus avoir beaucoup d'oxygène au dessus de la tête. L'oxygène atomique est observé dans l'infra-rouge lointain, à la limite des ondes submillimétriques. Et les chercheurs du Max-Planck-Institut für Sonnensystemforschung, qui ont publié leurs résultats dans la revue Astronomy and Astrophysics [1], n'ont détecté que la moitié de l'oxygène auquel ils s'attendaient à voir sur Mars, ce qu'ils mettent sur le compte de variations atmosphériques de la planète rouge. Selon les spécialistes, l'oxygène joue un rôle clé dans certains processus d'échange d'énergie dans l'atmosphère martienne, d'où l'importance de bien en connaître les détails.
Quelques mois plus tard, une autre équipe a exploité les capacités uniques de SOFIA et du spectrographe EXES (Echelon-Cross-Echelle Spectrograph) pour cartographier la distribution de la vapeur d'eau autour d'une étoile venant tout juste de se former [2]. Ils ont découvert un phénomène étonnant : la grande majorité de la vapeur d'eau observée était en train de s'éloigner de l'étoile AFGL 2591, plutôt que de rester dans la matière formant un disque autour d'elle. Ce phénomène inattendu indique que si des planètes se sont formées autour de cette étoile, elles n'ont reçu qu'une partie infime de toute l'eau présente au sein de ce système.
La protoétoile AFGL 2591 (C. Aspin et al., NIRI, Gemini Obs., NSF) |
Cette observation, d'après Nick Indriolo et ses collaborateurs, indique que le gaz autour des protoétoiles possède une structure tridimensionnelle complexe qui pourrait nécessiter de revoir certains modèles physico-chimiques qui s'y déroulent durant la phase de formation. Elle donne également des éléments pour comprendre comment l'eau s'est retrouvée incorporée dans la Terre et dans d'autres corps de notre système solaire.
Cette observation de vapeur d'eau aurait été absolument impossible pour un télescope au sol même au somment de la plus haute montagne, et actuellement, aucun télescope spatial ne permet des mesures spectroscopiques infra-rouge aussi précises.
Ce ne sont que quelques exemples de réussites parmi d'autres. Les résultats scientifiques de SOFIA sont si reconnus qu'un accord vient d'être signé le 2 juin dernier entre l'agence spatiale allemande et la NASA pour renouveler pour une durée de 4 ans la mission de SOFIA qui ira donc au moins jusqu'à la fin 2020 et pourra être à nouveau prolongée. L'observatoire volant a de toute façon été conçu dès le départ pour pouvoir voler jusqu'en 2030.
Les observations effectuées avec SOFIA seront en outre complémentaires de celles du télescope spatial James Webb (lancé en 2018), lui aussi spécialisé en infra-rouge. A contrario du télescope en orbite, celui de SOFIA peut être mis à niveau à tout moment, ses instruments modifiés et améliorés en permanence, ce qui lui donne des atouts incomparables, même si son miroir fait pâle figure à côté de son homologue qui sera en orbite (2,5 m contre 6,5 m). Un instrument néanmoins unique.
Sources :
[1] First detection of the 63 μm atomic oxygen line in the thermosphere of Mars with GREAT/SOFIA.
L. Rezac et al.
A&A 580, L10 (2015)
[2] SOFIA/EXES Observations of Water absorption in the protostar AFGL 2591 at high spectral resolution
Nick Indriolo et al.
Astrophysical Journal Letters, 802, L14 (2015)
La mission SOFIA (NASA)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci !