Dragonfly 44 est une galaxie emblématique de la nouvelle classe de galaxies dites "ultra-diffuses" car ne comportant que très peu d'étoiles. Nous en avions parlé ici-même en mai 2015 lors de sa découverte. Aujourd'hui, les astrophysiciens qui l'ont mise à jour viennent de parvenir à quantifier son contenu en matière noire, et il dépasse tous les records.
C'est avec le réseau de petits télescopes appelé Dragonfly Telephoto Array que Pieter Van Dokkum (Université de Yale) et son équipe avaient trouvé cette étrange galaxie un peu par hasard. Etrange car comportant très peu d'étoiles mais qui semblent bien rester emprises dans un puits gravitationnel énorme, celui d'une galaxie aussi grosse que la Voie Lactée.
Dragonfly 44 a une taille de 60 000 années-lumière, proche de celle de notre Galaxie, mais en revanche, ne possède que 1% de son nombre d'étoiles, l'équivalent d'une galaxie naine elliptique !
Les astrophysiciens, après avoir confirmé qu'il s'agissait bien d'une galaxie, grâce à des mesures spectroscopiques de sa composition et des mesures de distance, ont essayé de déterminer comment de telles galaxies pouvaient exister. Une explication avancée est que ces galaxies seraient enfouies dans un épais cocon de matière noire qui les aiderait à "résister" aux assauts gravitationnels des galaxies voisines. En effet, un tel petit groupe d'étoiles aussi diffus ne peut pas exister dans la durée sans la présence d'une masse importante permettant de les garder "prisonnières".
Mais il fallait pouvoir confirmer cette hypothèse et c'est ce à quoi s'est attachée l'équipe de Van Dokkum depuis 2015. Pour déterminer la quantité de matière noire, les chercheurs ont cherché à évaluer la masse totale de Dragonfly 44. Ils ont pour cela mesuré les vitesses d'étoiles de Dragonfly 44 durant plus de trente heures avec l'instrument DEIMOS monté sur le télescope Keck II à Hawaï.
Ensuite, ils ont braqué l'autre télescope Hawaïen, Gemini North (de 8,1 m) sur la galaxie ultra-diffuse pour l'imager et on eu la surprise d'y découvrir un halo de 94 amas globulaires entourant le cœur de la galaxie.
La vitesse des étoiles qui est influencée uniquement par le champ gravitationnel permet de remonter à la masse totale en jeu. Celle-ci, d'après les données récoltées, vaut environ 1000 milliards de masses solaires, très semblable à la masse de la Voie Lactée. Mais seulement 0,01% de cette masse est visible sous la forme d'étoiles et de masse ordinaire... notamment les amas d'étoiles découverts.
Il se trouve que l'essentiel des étoiles de Dragonfly 44 forme le halo d'amas globulaires compacts observés. D'après les chercheurs, qui publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters, c'est peut-être un indice important pour comprendre comment s'est formé cette étonnante galaxie.
Les seules galaxies connues pour être presque entièrement faites de matière invisible (matière noire) étaient jusqu'à aujourd'hui des toutes petites galaxies (des galaxies naines ultra compactes), satellites de galaxies plus grosses. On sait désormais que les grands modèles existent aussi et le premier spécimen de ce type réside à environ 300 millions d'années-lumière, dans l'amas de Coma. Cette dernière pourrait d'ailleurs n'être qu'une sorte de "galaxie ratée", n'ayant pas réussi à produire des étoiles pour une raison encore inconnue.
Dragonfly 44 va en tous cas devenir un laboratoire de choix pour étudier la nature de la matière noire, cette grande inconnue dont on ne voit que les effets gravitationnels.
Source :
A High Stellar Velocity Dispersion And ~100 Globular Clusters for the Ultra-Diffuse Galaxy Dragonfly 44
Pieter van Dokkum et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 828, Number 1
Illustration :
La galaxie ultra-diffuse Dragonfly 44 imagée avec le télescope Gemini North (Pieter van Dokkum / Roberto Abraham / Gemini Observatory / SDSS / AURA)
Bonjour,
RépondreSupprimerComment on fait pour déterminer que la galaxie est composée de matière noire et pas de trous noirs ?
Bonjour,
RépondreSupprimerces galaxies que l'on pense composées de matières noires, qu'elles soient grosses ou petites, possèdent-t-elles (aussi) des trous noirs géant en leurs centres ?
J'me pose cette question car : si la seule caractéristique de la matière noire que l'on entrevoit sont ces effets gravitationnels, elle devrait aussi interagir avec les effets gravitationnels gigantesques des trous noirs centraux des galaxies ? non ??
Pour savoir que la matière invisible n'est pas constituée de trous noirs, ici, c'est assez simple : il en faudrait au bas mot 100 milliards. On n'a jamais vu une telle population de trous noirs stellaires. Par ailleurs, on parviendrait à voir des effets d'une telle population de TN par des rayonnements X produits dans des disques d'accretion.
RépondreSupprimer@Alexis : Oui, bien sûr, les trous noirs supermassifs attirent vers eux aussi les particules massives qui formeraient la matière noire. Les trous noirs sont aussi faits de matière "noire". Vivement que l'on éclaircisse ses sombres mystères...
RépondreSupprimerBonjour professeur,
RépondreSupprimerSi cette galaxie renferme autant de matière noire, la matière noire a l'air d'être bien transparente!
On ne voit aucun nuage sombre comme dans la Voie lactée.
hum, je ne suis pas professeur ;-)
RépondreSupprimerAttention, ce qu'on appelle la matière noire ou matière sombre ne se voit pas sous forme de zones plus sombres que les environs, ça c'est du gaz et de la poussière, qui absorbe la lumière. La matière noire, qui serait faite de particules massives (toujours ce foutu conditionnel, hein), n'interagit pas avec les photons (force électromagnétique). Donc, elle est bien complètement "transparente".
Des petits corps de la dimension d'une planète ou d'un astéroïde ne pourraient-ils pas constituer cette matière noire?
RépondreSupprimerPourraient-ils être suffisamment nombreux que pour l'expliquer sans devoir imaginer des particules exotiques? Elles ne sont bien sûr pas transparentes, mais pratiquement invisibles.
@Youx : c'est la première hypothèse qu'on a imaginé dans les années 1970 et 1980. On a cherché, on en a trouvé quelques spécimens (ce qu'on appelle des naines brunes, mais aussi des trous noirs), mais en bien trop petit nombre pour expliquer tout ce potentiel gravitationnel. Et puis ensuite on a vu qu'il fallait de la matière non baryonique dans la recette cosmique, et au début des années 1980, les physiciens des particules ont proposé cette WIMP qui a le bon goût d'être non baryonique et qui serait bien massive, sans interagir...
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimer"les trous noirs supermassifs attirent vers eux aussi les particules massives qui formeraient la matière noire." Alors de la matière noire devrait être présente dans le disque galactique des galaxies spirales ? C'est une question idiote mais l'anonymat rend les ignorants courageux.
Merci de votre blog,
Anon
Bonjour Eric,
RépondreSupprimerJ'ai entendu sur France Inter dans l'excellente émission "La Tête au carré" que cette galaxie se trouve non loin d'un "très gros amas de galaxie", raison pour laquelle les astronomes braquent souvent leurs télescopes sur cette région du ciel.
Tiens, tiens, comme par hasard...
Cela m'a rappelé la théorie de Stéphane Le Corre qui analyse la matière noire comme un effet relativiste lié au champ gravitique des amas de galaxie.
Je serais curieux de savoir ce qu'en pense l'intéressé!
Et quand je pense à tous ceux qui recherchent désespérément depuis des décennies de nouvelles particules permettant d'expliquer la fameuse "matière noire"... personne dans le métier ne pourrait leur souffler l'idée, histoire de voir si ça ne leur ferait pas gagner un peu de temps de recherche? ;-)
Encore merci pour votre extra blog!
Pascal Dubois
Dragonfly 44 n'est pas "non loin" de l'amas de Coma, elle est dedans, elle en fait partie ! L'amas de Coma est un gros amas très proche de nous (environ 300 millions d'années-lumière). Il contient plus de 1000 galaxies dont les plus connues sont 2 elliptiques géantes : NGC 4874 et NGC 4889.
RépondreSupprimerIl y a tout de même de bonnes raisons de chercher des particules massives pour expliquer la matière noire. Si le potentiel gravitationnel observé sur Dragonfly 44 était dû à un effet de champ gravitique LeCorre-like, pourquoi juste dans cette galaxie et pas ses voisines ?
Merci Eric pour votre réponse!
RépondreSupprimerAlors si Dragonfly 44 fait partie de l'amas, c'est encore mieux, c'est qu'elle baigne en plein dans son champ gravitique. Je crois me souvenir que l’intensité du champ devrait décroitre avec la distance au centre de l'amas, reste à savoir où se situe D44 dans cet amas. Si elle est proche de son centre, cela pourrait peut-être répondre à votre question.
Qu'on pourrait d'ailleurs retourner: si les vitesses excessives des étoiles de D44 étaient dûes à un excès de quantité de matière noire par rapport à ce qui est habituellement observé dans les galaxies, pourquoi juste dans celle-ci et pas ses voisines?
Pour quelle raison la proportion de DM serait plus importante dans D44 que dans les autres galaxies?
Wait and see les prochaines observations de cet amas qui paraissent prometteuses! J'espère que vous nous en tiendrez informés, merci Eric!
Pascal
Et comment!...
RépondreSupprimerMerci pour votre fidélité!
Pour se faire une idée de la localisation de Dragonfly 44 au sein de l'amas de Coma, regardez cette image. Dra 44 est plutôt excentrée.
RépondreSupprimerhttps://en.wikipedia.org/wiki/Dragonfly_44#/media/File:Dragonfly_44.png