Deux nouvelles évidences de la présence d’eau dans la croûte proche de la surface de Cérès viennent d’être rendues publiques par des équipes américaine et allemande exploitant les mesures de la sonde Dawn.
La première étude a été présentée par Carol Raymond (Jet Propulsion Laboratory), responsable scientifique de la mission Dawn, lors de la réunion annuelle de l’American Geophysical Union à San Francisco et bientôt publiée dans Science. Elle indique que la glace se serait séparée de la roche formant la planète naine très tôt dans son histoire, formant une couche riche en glace qui serait restée très proche de la surface depuis plusieurs milliards d’années. Les planétologues ont exploité les données de l’instrument GRaND (Gamma Ray and Neutron Detector) de la sonde Dawn pour mesurer l’abondance en hydrogène de la croûte de Cérès.
GRaND est en effet constitué de deux spectromètres gamma : un scintillateur de germanate de bismuth et un réseau de semiconducteurs au tellure de cadmium qui permettent de mesurer des photons gamma dans une large plage d'énergie et une bonne résolution. Son détecteur de neutrons est également double : constitué de deux scintillateurs plastiques, l'un dopé au bore-10 et l'autre dopé au lithium-6, ce qui lui permet de détecter à la fois des neutrons thermiques et des neutrons épithermiques.
C’est notamment la mesure du flux de neutrons en provenance de Cérès qui renseigne sur la teneur en hydrogène, et donc en eau. Des neutrons sont en effet produits en continu dans la croûte de Cérès par l’impact des rayons cosmiques (protons énergétiques), qui y induisent des réactions de spallation, libérant un ou plusieurs neutrons. Ces neutrons peuvent interagir à leur tour dans la roche en produisant des photons gamma, puis s’échapper dans l’espace. Or l’hydrogène est l’un des éléments les plus efficaces pour ralentir et absorber les neutrons. Il y a donc moins de neutrons émanent de la surface de Cérès vu depuis une orbite là où il y a le plus d’hydrogène. Ce que voient les chercheurs, c’est que l’hydrogène, donc l’eau (H2O) est présent sur toute la surface de la planète naine, mais avec des concentrations qui augmentent fortement aux hautes latitudes, vers les pôles.
Les planétologues ont également pu mesurer avec GRaND les concentrations d’autres éléments chimiques comme le fer, le carbone ou le potassium par spectrométrie gamma jusqu’à une profondeur de 1 m sous la surface.
Ils en concluent que la couche de glace, plutôt que de former une couche solide pure, est mélangée avec la roche poreuse, où elle remplit les pores. Leurs mesures nucléaires indiquent que la couche superficielle de Cérès peut contenir jusqu’à 10% en masse de glace d’eau.
Ces nouvelles mesures confirment ce qui était pressenti depuis trente ans, savoir que de la glace avait pu survivre durant des milliards d’années, juste enfouie sous la surface de Cérès. Elles renforcent également l’idée de la présence de glace en subsurface dans les autres gros astéroïdes de la ceinture.
Mais ce n’est pas tout. Les concentrations mesurées du fer, de l’hydrogène, du potassium et du carbone fournissent d’autres indices forts indiquant que la couche superficielle de Cérès a été altérée par de l’eau liquide provenant de ses couches internes, produisant une ségrégation entre roches et glaces. Les spécialistes pensent que c’est la radioactivité du cœur de la planète naine qui produit suffisamment de chaleur pour permettre à l’eau de se retrouver sous forme liquide.
La seconde étude, parue elle dans le tout nouveau journal Nature Astronomy, a été dirigée par Thomas Platz, de l’Institut Max Planck pour la recherche sur le système solaire (Göttingen). Les astrophysiciens se sont intéressés aux cratères particuliers de l’hémisphère Nord de Cérès qui se trouvent posséder une zone restant constamment à l’ombre. Ils en ont observé 634 de différentes tailles. Ces pièges froids où la lumière du Soleil n’arrive jamais et n’est peut-être jamais arrivée depuis plusieurs milliards d’années, peuvent descendre à des températures de 100 kelvins seulement (-173°C).
La température y est si froide que de la glace solide ne peut que très peu se sublimer et pourrait persister dans le même état durant des milliards d’années. Thomas Platz et son équipe ont trouvé dans les images de Dawn des dépôts intriguants dans une dizaine de ces 634 cratères. Dans un de ces cratères qui est partiellement illuminé, le spectromètre infra-rouge de la sonde a par ailleurs confirmé la présence de glace d’eau.
Comme c’est le cas sur Mercure et la Lune, de la glace d’eau existerait donc sur Cérès au fond des cratères qui ne voient jamais le soleil. Le point commun de ces trois corps est qu’ils ont une obliquité très faible (inclinaison de leur axe de rotation par rapport au plan de l’écliptique), 4,028° pour Cérès, ce qui fait que le fond de leurs cratères polaires ne voit jamais le jour et est extrêmement froid (même sur Mercure !). Les spécialistes estiment que cette glace de cratère sur Mercure et la Lune a été apportée par l’impact de petits corps. Concernant Cérès, ils sont bien moins affirmatifs sur son origine. Norbert Schorghofer (Université de Hawaï), coauteur de cette étude précise : « Nous cherchons à savoir comment cette glace est arrivée là et comment elle a réussi à rester là aussi longtemps. Elle peut soit provenir de la croûte de Cérès riche en eau, soit d’apports extérieurs. »
Quelle que soit leur origine, les molécules d’eau de Cérès auraient le pouvoir de migrer des régions « chaudes » équatoriales vers les pôles. Des études antérieures effectuées avec le télescope Herschel avaient suggéré en 2013 l’existence d’une fine atmosphère de vapeur d’eau sur Cérès. Après avoir quitté la surface de la planète naine, l’eau pourrait se recondenser en partie en retombant à la surface, et notamment dans les cratères où elle pourrait s’accumuler sous forme solide si ils sont très froids.
La sonde Dawn a commencé l’extension de sa mission en juillet dernier en modifiant son orbite pour être actuellement en orbite elliptique à plus de 7000 km de Cérès. L’aventure doit continuer encore quelques mois histoire d’engranger quelques données supplémentaires sur la planète naine la plus proche de nous et dont nous ne savions presque rien il y a quelques années à peine.
Sources :
Surface water-ice deposits in the northern shadowed regions of Ceres
T. Platz, et al.
Nature Astronomy 1, 0007 (2016)
Illustrations :
1) Cartographie de la teneur en hydrogène (eau) produite par Dawn (le bleu indique une plus forte teneur) (NASA/JPL-Caltech/UCLA/MPS/DLR/IDA/PSI)
2) Schéma explicatif de l'instrument GRaND (NASA/JPL-Caltech)
3) Un des cratères "pièges froids" dont une zone reste perpétuellement dans l'ombre (NASA/JPL-Caltech/UCLA/MPS/DLR/IDA)
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