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jeudi 8 décembre 2016

Brutale et très intense formation d'étoiles dans une galaxie à 11 milliards d'années-lumière

La détermination de la composition chimique d’une galaxie massive dans l’Univers jeune révèle l'existence d'une période de formation stellaire extrêmement courte et intense. Cette observation apporte bien plus de questions que de réponses sur le processus de la formation des galaxies...



Les étoiles de deuxième génération sont celles qui se sont formées à partir du gaz comportant les résidus des étoiles de première génération, ayant explosé en supernovas et qui ont expulsé les éléments lourds forgés en leur sein. En analysant la composition chimique de ces étoiles de deuxième génération, les astrophysiciens peuvent donc déterminer combien de supernovas ont explosé avant cette époque et quelle était leur nature.


L’équipe menée par Mariska Kriek (Université de Californie, Berkeley) a observé la galaxie massive COSMOS 11494 située à presque 11 milliards d’années-lumière et montre qu’elle s’est formée par une intense bouffée de production d’étoiles qui s’est ensuite brutalement arrêté. Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont étudié l’abondance du fer et des éléments qu’on appelle les éléments 𝛼 : oxygène, magnésium, silicium, soufre et calcium, ceux-là même qui sont produits par la fusion nucléaire au cœur des étoiles massives (d'environ 10 M) et éjectés lors des épisodes de supernova par effondrement de cœur (les supernovas de type II) après une courte vie. A l’opposé, le fer, lui, est produit surtout par des étoiles moins massives qui terminent leur vie en naine blanche, et qui peuvent finir en supernovas de type Ia (explosion de la naine blanche par dépassement de la masse limite de stabilité), après une durée de vie sensiblement plus longue.

Kriek et ses collègues mesurent le rapport d’abondance 𝛼/Fe, notamment le rapport Mg/Fe par des mesures spectroscopiques à l'aide du télescope Keck 1 dans le proche infra-rouge et trouvent une valeur étonnamment élevée (0,59 exprimé en échelle logarithmique relative à la valeur solaire), ce qui implique que cette galaxie lointaine a surtout connu de nombreuses explosions de supernovas de type II (effondrements d’étoiles massives) à l’époque où elle est observée et très peu de supernovas de type Ia. Ils en déduisent que la galaxie a vécu une intense période de formation d’étoiles qui aurait duré seulement entre 100 et 500 millions d’années avant de s’éteindre. Durant cette période, les chercheurs calculent que le taux de formation d'étoiles devait être compris entre 600 et 3000 masses solaires par an, alors qu'il n'est plus que de 0,6 par an aujourd'hui au moment où la galaxie est observée. Pour comparaison, notre galaxie produit environ 2 étoiles par an. 
La nature du processus qui est à l'origine de la brutale extinction de la production d'étoiles qui a suivi est une question que se posent les spécialistes depuis près de 20 ans. L'idée la plus courante est que le trou noir supermassif au centre de la jeune galaxie produirait un effet de feedback, de réaction. Le vent de particules produit par la zone proche du trou noir disperserait le gaz interstellaire et empêcherait alors (ou réduirait fortement) la formation de nouvelles étoiles. Mais un rapport Mg/Fe élevé n'est pas retrouvé par les modèles théoriques qui intègrent un effet de feedback du trou noir supermassif...
Qui plus est, la galaxie COSMOS 11494 étudiée par l'équipe de Mariska Kriek se trouve dans un Univers âge d'à peine 3 milliards d'années et les trous noirs supermassifs de cette époque devraient être trop petits pour produire un effet de feedback suffisant pour arrêter la formation de nouvelles étoiles. 
Il faut voir que le rapport Mg/Fe élevé trouvé par les astrophysiciens l'est dans une galaxie à relativement haute métallicité (c'est à dire le rapport Fe/H). Ce rapport Fe/H dans COSMOS 11494 est environ la moitié de celui mesuré dans le Soleil. C'est la première fois qu'est observé au même endroit des hauts rapport Mg/Fe et un haut Fe/H. Par exemple, les étoiles du halo de notre Galaxie ont des grands Mg/Fe mais un faible Fe/H, tandis que les étoiles du disque galactique, elles, ont des ratios  Mg/Fe plus faibles mais une métallicité plus grande et enfin, les étoiles du bulbe galactique montrent elles aussi des ratios Mg/Fe élevés mais une métallicité d'un tiers de celle du Soleil.
La question de la nature du processus qui est à l'oeuvre pour stopper la production de nouvelles étoiles dans ce type de galaxie est donc relancée par cette observation dont les détails sont publiés cette semaine dans la revue Nature.
La formation d'étoiles aurait pu être fortement favorisée durant un certain temps puis freinée en menant à une surproduction de supernovas de type II et d'éléments 𝛼, ou au contraire, c'est le fer des supernovas Ia qui aurait pu être expulsé de la galaxie plus efficacement que ce que l'on pense habituellement. Les deux voies mèneraient à ce ratio Mg/Fe plus élevé que la normale pour la métallicité observée.
Les astrophysiciens pensent que l'évolution de ce type de galaxie a dû mener à des galaxies elliptiques géantes comme M87, qui a grossit probablement en absorbant d'autres galaxies plutôt qu'en produisant de nouvelles étoiles, en diminuant inéluctablement son rapport Mg/Fe plus ses étoiles vieillissent.
Les spécialistes n'ont pas fini de chercher à comprendre comment naissent les galaxies et les futurs télescopes devraient bientôt les aider dans cette quête.


Source : 

A massive, quiescent, population II galaxy at a redshift of 2.1
Mariska Kriek et al.
Nature 540, 248–251 (08 December 2016)


Illustration : 

La galaxie COSMOS 11494 imagée par le télescope spatial Hubble (NASA/ESA/M. Kriek et al)

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