On connait de Winston Churchill son rôle éminent à la tête du Royaume Uni durant la seconde guerre mondiale, on le connaît aussi orateur hors pair, écrivain, historien, amateur de cigares et peintre à la fin de sa vie, mais ce que l'on connaît moins de Churchill, c'est son grand attrait pour les sciences et la technologie, et notamment les sciences de l'Univers. Un manuscrit de Churchill vient d'être redécouvert où il s'essaye à une analyse scientifique de l'existence de la vie extraterrestre, et ça tient la route.
Dans les années 1920 et 1930, Winston Churchill avait écrit des articles de vulgarisation scientifique surtout sur des sujets de biologie, parus dans des journaux et des magazines. Dès 1931, Churchill avait rédigé un article pour la magazine The Stand, dans lequel il décrivait la fusion nucléaire comme une source d'énergie quasi inépuisable, donnant l'exemple de l'énergie libérée par la fusion de l'hydrogène contenu dans une livre d'eau pouvant alimenter une machine de 1000 chevaux durant une année entière. Churchill avait une source très fiable en la personne du physicien Frederick Lindemann.
Ce n'est sans doute pas un hasard si c'est Churchill en personne qui a poussé pour le développement des techniques de détection par radar et du programme nucléaire britannique durant la guerre.
Churchill a été le premier premier ministre anglais à engager un conseiller scientifique, au début des années 1940, et il choisit Lindemann. Il s'entretenait souvent également avec Bernard Lovell, considéré comme le père de la radioastronomie.
Le manuscrit oublié était conservé comme de nombreuses archives au musée américain consacré au grand homme d'état anglais à Fulton, Missouri. L'essai de 11 pages est intitulé "Are We Alone in the Universe ?", Churchill y spécule le potentiel de la recherche de vie extraterrestre, à partir des données astrophysique connues à l'époque.
La rédaction de la première version de l'article date de 1939 et aurait été destinée au journal News of the Worl Sunday, juste avant que la guerre n'éclate. Le texte a ensuite été repris légèrement à la fin des années 1950.
Le texte avait été légué au musée américain dans les années 1980 mais oublié depuis et fut redécouvert en mai 2016 par son directeur John Riley. Il semble qu'il n'avait jamais été publié depuis sa rédaction.
Ce qui transparaît à la lecture de l'article, selon le journaliste scientifique Mario Livio (Nature), qui à eu le privilège d'être le premier scientifique à le lire, c'est que Winston Churchill était non seulement très au fait de l'astrophysique de son époque, mais de plus, il raisonnait comme un véritable scientifique. Churchill part du principe Copernicien, que l'on appelle aujourd'hui le principe de médiocrité : l'Univers est si vaste qu'il n'y a aucune raison pour que nous soyons exceptionnels et uniques. Puis il cherche une définition de ce qu'est un être vivant et de quoi ont besoin avant tout les organismes vivants pluricellulaires pour vivre, de l'eau, après même avoir imaginé d'autres liquides mais les ayant éliminés. Il s'agit encore de nos critères aujourd'hui en astrobiologie...
Churchill poursuit ensuite son analyse en définissant ce qu'on appelle aujourd'hui encore la zone habitable autour d'une étoile : là où la température n'est ni trop basse, ni trop élevée, de manière à obtenir de l'eau liquide. Mais Churchill ne s'arrête pas à la température, il évoque également la nécessité pour une planète de posséder une atmosphère suffisamment importante, et pour cela, la masse de la planète doit être suffisante pour pouvoir sur le long terme retenir son atmosphère, et ce d'autant plus que l'atmosphère est chaude.
Il en arrive à la conclusion que dans notre système solaire, seules Mars et Vénus pourraient être habitables en sus de la Terre.
Ce n'est sans doute pas un hasard si Churchill a commencé à écrire son essai peu de temps après la diffusion de la terrifiante émission de radio La Guerre des Mondes en 1938, adaptée du livre de H.G. Wells, et qui enflamma la presse mondiale au sujet des extraterrestres martiens.
Mais Churchill ne s'arrête pas au système solaire, il voit plus loin et se met à calculer quelle est la probabilité que les autres étoiles possèdent des planètes. A l'époque, la théorie dominante expliquant la formation des planètes était l'arrachement de gaz lors de passages proches entre deux étoiles (un modèle proposé par James Jeans en 1917). Churchill part sur cette hypothèse et trouve que dans ce cas, comme les rencontres proches d'étoiles doivent être rares, alors il doit exister que très peu de planètes et le système solaire serait exceptionnel, voire unique. Mais Churchill révèle alors tout son esprit scientifique et sceptique, il écrit : "Mais cette spéculation dépend de l'hypothèse que les planètes sont bien formées de cette façon. Ce n'est peut-être pas le cas. Nous savons qu'il existe des millions d'étoiles doubles, et si elles se sont formées, pourquoi pas aussi des planètes ?". Churchill ajoute : "Je ne suis pas suffisamment vaniteux pour penser que mon soleil est le seul à posséder des planètes".
Il en conclut alors qu'une grande partie des planètes extrasolaires doivent avoir la bonne taille pour conserver de l'eau liquide et une atmosphère et être à la bonne distance de leur étoile pour arborer une température adéquate. Ce texte a été écrit plus de 20 ans avant les arguments probabilistes présentés par Franck Drake en 1961 pour évaluer la rareté des civilisations extraterrestres communicantes!
Et aujourd'hui, avec les résultats du télescope Kepler entre autres, nous estimons qu'il existe plus d'un milliard de planètes de la taille de la Terre dans des zones habitables autour d'étoiles du genre du soleil ou plus petites.
Or Winston Churchill est tout à fait conscient des distances considérables qui sont impliquées et il conclut que "nous ne saurons probablement jamais si toutes ces planètes sont peuplées de créatures vivantes". Il mentionne les voyages spatiaux en distinguant bien ceux concernant la Lune, Mars ou Vénus, qu'il prédit venir bientôt car relativement faciles d'accès, et ceux interstellaires intrinsèquement impossibles selon lui au vu des distances à parcourir.
Churchill se montre très au fait des dernières découvertes astrophysiques de son époque, notamment celles de Edwin Hubble quelques années auparavant : non seulement il cite la "nébuleuse spirale" d'Andromède qu'il décrit composée de millions d'étoiles et dont il cite la distance ("plusieurs centaines de milliers de fois plus distante" que l'étoile la plus proche de nous qu'il situe à 5 années-lumière), mais il évoque également l'existence de "centaines de milliers de nébuleuses [galaxies] contenant chacune des milliards d'étoiles" pour en déduire l'existence probable de très nombreuses planètes favorables à l'émergence de la vie.
Churchill écrit cette phrase qui résume tout “I, for one, am not so immensely impressed by the success we are making of our civilization here that I am prepared to think we are the only spot in this immense universe which contains living, thinking creatures, or that we are the highest type of mental and physical development which has ever appeared in the vast compass of space and time.”
"Je suis si peu fortement impressionné par le succès de notre civilisation ici que je ne suis pas prêt à penser que nous soyons le seul endroit dans cet immense univers qui contienne des créatures vivantes et pensantes, ou que nous soyons le niveau physique et intellectuel le plus élevé qui soit jamais apparu dans la vaste étendue de l'espace et du temps".
Près de 80 ans plus tard, les questionnements de Winston Churchill sont toujours d'actualité. La recherche de traces de vie extraterrestre est un moteur puissant de la recherche spatiale soutenant l'astrophysique. Les astronomes d'aujourd'hui estiment que dans quelques décennies des signatures d'activité biologiques pourraient être détectées dans les atmosphères d'exoplanètes. On imagine ce qu'en aurait pensé le grand homme.
Lors d'un discours à l'Université de Cambridge en 1958, Churchill avait dit ces mots : "C'est uniquement en menant l'humanité vers la découverte de nouveaux mondes de science et d’ingénierie que nous pourrons tenir notre rang et continuer à vivre."
Référence
Winston Churchill’s essay on alien life found
Mario Livio
Nature 542, 289–291 (16 February 2017)
Illustration
Winston Churchill en 1939 (Evening Standard/Getty Images)
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