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jeudi 23 novembre 2017

Les orages à l'origine de réactions photonucléaires


Pour la première fois, des physiciens japonais ont mis en évidence la production de réactions photonucléaires dans les orages, où des photons gamma de haute énergie qui sont produits par les électrons accélérés dans les éclairs induisent des réactions sur les noyaux d'atomes d'azote pour en éjecter des neutrons et produire des éléments radioactifs émetteurs de positrons.




Teruaki Enoto (université de Kyoto) et son équipe avaient installé sur la côte ouest du Japon au début de l'hiver 2016-2017 une série de petits détecteurs gamma. Les physiciens ne l'avaient pas fait par hasard. Les différents lieux sélectionnés étaient connus pour leurs fréquents orages à cette époque de l'année. Il aura fallu attendre le 6 février 2017 pour qu'un énorme orage ait lieu aux alentours de la ville de Kashiwazaki et que le détecteur des physiciens, installés à moins de 2 km de là se mettent à montrer des signaux très intéressants.
Ils ont observé un flash de rayons gamma durant moins d'une milliseconde, juste après l'apparition d'un coup de foudre, tombée par hasard à moins de 100 m de là. Mais après avoir analysé les données enregistrées (les spectres en énergie), les physiciens japonais ont trouvé une structure temporelle très particulière dans leurs signaux. Il y avait en fait non pas une bouffée courte mais trois bouffées de rayons gamma différentes . La première, qui dure moins d'une milliseconde, provient directement de l'éclair : expliquée par des photons gamma énergétiques produits lors du phénomène de Bremsstrahlung (rayonnement de freinage) des électrons qui avaient été fortement accélérés dans le canal de foudre.  
La deuxième bouffée représente une rémanence et dure plusieurs dizaines de millisecondes, elle est attribuée par les chercheurs japonais à des réactions de neutrons sur les noyaux d'azote, soit des réactions de type (n,p) où le neutron incident vient remplacer un proton en l'éjectant, créant alors du 14C, ou soit des réactions de capture neutronique (n,𝜸) sur l'azote stable, où le neutron vient s'ajouter au noyau en n'émettant qu'un photon gamma, produisant l'isotope 15N (stable). Les neutrons à l'origine de ces réactions secondaires sont eux-mêmes produits par les photons gamma très énergétiques de la première bouffée, par des réactions de production photoneutronique (𝜸,n), toujours sur les noyaux les plus présents dans l'atmosphère que sont les noyaux de 14N, produisant en outre l'isotope 13N de l'azote, qui se trouve être radioactif émetteur béta plus. 
C'est là qu'apparaît la troisième composante gamma dans les spectres mesurés : les noyaux de 13N vont se désintégrer rapidement en 13C (stable), en émettant un positron et un neutrino électronique. Mais comme toute particule d'antimatière plongée dans un mode de matière, les positrons ne vont pas très loin et s'annihilent rapidement avec des électrons après avoir perdu leur énergie par des ionisations successives. En s'annihilant avec leur antiparticule, les positrons du 13N émettent deux photons gamma de 511 keV (l'énergie correspondant à la masse des électrons et des positrons). Ce sont ces photons d'annihilation qui forment la troisième bouffée gamma détectée par les physiciens japonais. 

Le tableau dressé par les chercheurs japonais est donc complet. Teruaki Enoto et son équipe publient leur découverte cette semaine dans Nature. C'est la première fois qu'est réussie la détection (indirecte) conjointe de la présence de neutrons et de positrons dans les orages. Elle montre que ces derniers peuvent réellement déclencher de telles réactions nucléaires. 
Après les rayons cosmiques, les orages sont donc les secondes sources naturelles sur Terre connues à ce jour pour être capables de produire des réactions photonucléaires et créer les isotopes 13C , 14et 15N, trouvés à l'état de traces dans l'atmosphère et que nous respirons tous les jours. Ils produisent aussi les isotopes radioactifs à très courte période 13N et 15O, qui eux injectent de l'antimatière dans l'atmosphère sous la forme de positrons, heureusement rapidement annihilés.


Source

Photonuclear reactions triggered by lightning discharge.
Teruaki Enoto, Yuuki Wada, Yoshihiro Furuta, Kazuhiro Nakazawa, Takayuki Yuasa, Kazufumi Okuda, Kazuo Makishima, Mitsuteru Sato, Yousuke Sato, Toshio Nakano, Daigo Umemoto & Harufumi Tsuchiya
Nature 551, 481–484 (23 November 2017)
http://dx.doi.org/10.1038/nature24630

Ilustration 

Schéma des différentes réactions nucléaires induites par les électrons accélérés dans les orages (Teruaki Enoto, Université de Kyoto)

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