Ce
n’est pas une observation anodine que viennent de reporter une équipe
d’astrophysiciens américains, européens et chinois dans la revue Nature :
un quasar montrant par ses caractéristiques spectrales (et pour la première
fois) qu’il se trouve dans l’Univers en cours de réionisation, à 690 millions
d’années après le Big Bang. Ce quasar puise son énergie dans un trou noir
supermassif de 800 millions de masses solaires, ce qui remet encore en question
les processus de croissance de ces trous noirs.
Jusqu’à aujourd’hui, le quasar le plus lointain qui avait été observé (J1120+0641) se situait à un redshift z=7,09, c’était le seul quasar à montrer un décalage vers le rouge supérieur à 7. Voilà qu’ils sont désormais deux, avec la mise en évidence de J1342+0928 à un redshift de 7,54. La masse du trou noir supermassif à l’origine de l’émission de ce quasar a pu être déterminée par les astrophysiciens à partir de sa luminosité et sur la base de modèles. Elle vaut 780 millions de masses solaires (entre 590 et 1100 millions pour être exact). La présence d’un trou noir d’environ 800 millions de masses solaires, seulement 690 millions d’années après le Big Bang, implique, si le modèle de croissance des trous noirs sur la base de graines de trous noirs est correct, que de telles graines doivent avoir une masse déjà très élevée de l’ordre de 10 000 masses solaires.
D’autres
quasars lointains ayant un redshift supérieur à 6 possèdent des trous noirs
encore plus massifs (voir figure ci-dessous). On peut par exemple citer l’ancien recordman de distance
J1120+0641 (z=7,09), avec ces 2 milliards de masses solaires et surtout
J0100+2802 (z=6,33), qui abrite un trou noir de 12 milliards de masses
solaires !
Outre
le record de distance et la masse du trou noir supermassif au cœur de ce
quasar, l’information très intéressante contenue dans cette observation, c’est que
les astrophysiciens ont pour la première fois pu mesurer directement la nature
de l’environnement intergalactique de ce quasar, une mesure directe du taux
d’ionisation de l’hydrogène atomique du milieu intergalactique. Le modèle
cosmologique standard stipule que, après avoir évolué dans un « âge
sombre » durant environ 500 millions d’années, où quasi-seuls étaient
présents de l’hydrogène neutre et de la matière noire, l’Univers dans son
entier s’est réionisé (il avait déjà été ionisé dans ses 380 000 premières
années avant que les protons ne retrouvent les électrons). La cause et le début
de cette réionisation du milieu intergalactique sont estimés être liés à
l’apparition des premières galaxies, dont les jeunes étoiles rayonnant des
photons UV ont le pouvoir d’ioniser l’hydrogène atomique.
Trouver
une preuve observationnelle directe de ce processus est un véritable challenge,
notamment du fait de la distance cosmologique à laquelle il se déroule. Un des
moyens mis en œuvre par les astrophysiciens pour essayer de voir ce processus est
de regarder comment la raie d’émission Lyman α émise par un quasar est
absorbée par le milieu intergalactique par l’effet Gunn-Peterson (du nom de ses
découvreurs en 1965). Eduardo Bañados (Carnegie Institution for Science) et ses
collègues ont donc observé J1342+0928
à l’aide de spectrographes infra-rouge sur le télescope Magellan de
l’Observatoire Las Campanas, sur le
Large Binocular Telescope, ainsi que le Gemini North à Hawaï. Ils ont également
confirmé le redshift avec une précision à la 4ème décimale grâce à
l’antenne NOEMA de l’IRAM qui permet de détecter entre autres la raie C II du
carbone (à 158 µm).
Ce
qu’ont observé Eduardo Bañados et ses collègues pour la première fois sur un quasar,
c’est un effet Gunn–Peterson significatif sur la raie Lyman α, indiquant clairement
que l’hydrogène entourant le quasar est en grande partie neutre. Ils calculent
que la fraction de gaz neutre est supérieure à 0,33 (à 68% de niveau de
confiance). Or d’autres mesures de ce type sur des quasars ayant un redshift de
l’ordre de 6 ne montraient pas du tout d’hydrogène neutre. C’est ainsi la première
observation d’un objet astrophysique qui se trouve dans l’Univers quand il
n’était pas encore entièrement réionisé, en pleine phase de réionisation.
Les
années qui viennent promettent de grandes avancées et une pluie de records dans
le domaine des quasars les plus lointains avec le télescope Webb, qui est
optimisé pour imager l’infra-rouge des raies d’émission très décalées par la
distance…
Source
An 800-million-solar-mass black hole in a significantly neutral Universe
at a redshift of 7.5
Eduardo Bañados, Bram P. Venemans, Chiara Mazzucchelli, Emanuele P.
Farina, Fabian Walter, Feige Wang, Roberto Decarli, Daniel Stern, Xiaohui Fan,
Fred Davies, Joseph F. Hennawi, Rob Simcoe, Monica L. Turner, Hans-Walter Rix,
Jinyi Yang, Daniel D. Kelson, Gwen Rudie & Jan Martin Winters
Nature, en ligne (6 décembre
2017)
Illustrations
1) Vue d'artiste d'un quasar ( Robin Dienel, Carnegie Institution for Science)
2) Evolution inférée de la masse des trous noirs supermassifs observés à des redshifts proche de 7 pour des redshifts supérieurs (Bañados et al., Nature)
3) Valeur du redshift z en fonction du temps écoulé depuis le Big Bang. La période de réionisation est indiquée, entre z=10 (naissance des premières galaxies) et z=7 environ.
Bonjour,
RépondreSupprimerIl semble que la première observation de l'effet Gunn-Peterson remonte à 2001, sur un quasar à z=6.28 (Becker, SDSS), à la suite de quoi on considère que la reionisation a du se terminer à z=6. Ce n'est donc pas surprenant de trouver un ISM ionisé à plus grand z, non ?
Bonjour,
RépondreSupprimer"si le modèle de croissance des trous noirs sur la base de graines de trous noirs est correct, que de telles graines doivent avoir une masse déjà très élevée de l’ordre de 10 000 masses solaires"
Si je comprends bien , il faudrait un nuage de gaz de 10000 masses solaires pour créer un tel TN, non? ce que je ne comprends pas c'est pourquoi cela poserait problème? d'où vient la limite à la taille d'un nuage de gaz pouvant créer un TN?
La difficulté n'est pas dans la quantité disponible, mais dans le processus de condensation et d'effondrement gravitationnel du nuage en question. En lien avec le rôle crucial joué par la matière noire...
RépondreSupprimerDésolé, je ne comprends pas ... ^^
RépondreSupprimerQuel serait le rôle de la matière noire dans ce processus? En quoi limiterait-elle le processus de condensation et d'effondrement gravitationnel en cas de formation de très gros TN aussi tôt dans l'histoire de l'univers?
Dans ce concept, c'est la matière noire qui doit créer un puits de potentiel suffisant pour que le gaz se condense puis s'effondre. Les halos de matière noire devraient donc déjà être bien denses pour induire le potentiel gravitationnel nécessaire.
RépondreSupprimerOn sait que le direct collapse existe pour des étoiles de plusieurs dizaines de masses solaires, mais pour des nuages de gaz au départ peu denses, c'est autre chose... Cette idée est pour le moment encore un peu spéculative.
Les processus aboutissant à des TN massifs de l'ordre de 10^9 Mo à z voisin de 7 restent très débattus, et mettent en jeu des phénomènes complexes intéressant la matière baryonique (en plus des puits gravitationnels de MN) : fragmentation, turbulence, opacité du gaz et dynamique des TN, convergence de courants froids...cf l'article d'Alexander et Natarajan de 2014, d'ailleurs cité par Banados (http://science.sciencemag.org/content/early/2014/08/06/science.1251053.full). Ainsi, des épisodes de croissance "hyper Eddington" sont une alternative à des graines de TN très massives. On n'est pas (encore) capables d'observer à z=10, et les simulations sont contradictoires... vivement le JWST.
RépondreSupprimerOK, je comprends mieux mais a-t-on vraiment une idée de l'évolution de la densité de MN à une époque aussi reculée pour pouvoir dire si oui ou non les halos pouvaient entraîner des TN aussi massifs? (j'espère que ma question est assez claire...)
RépondreSupprimeret +1 pascal pour le "vivement le JWST" moi aussi je suis impatient^^
Tout ce qu'on connait de cette époque concernant les halos de matière noire, c'est issu de simulations, comme par exemple le programme de simulation Millennium. Avec des simulations, on peut construire de nombreuses variantes, surtout quand on ne connait pas les caractéristiques physiques de ce qu'on simule...
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerCes problèmes d'agrégations trop rapides pourraient peut-être constituer un banc d'essai pour des théories alternatives à la matière noire ou au moins à certains effets attribués à la MN. Par exemple si comme le suggère Milgrom le a0 de MOND est relié à la variation de la vitesse d'expansion de l'espace, des conséquences très importantes s'ensuivent.
D'une part l'effet DM galactique devrait s'annuler quand cette dérivée s'annule lors du retournement du freinage en accélération
D'autre part cet effet DM devrait être nettement plus grand qu'aujourd'hui dans les phases où l'accélération de freinage était nettement plus grande que l'accélération actuelle de l'expansion.