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mercredi 9 mai 2018

Etoiles à neutrons : un refroidissement rapide aux neutrinos


Une équipe d'astrophysiciens vient de montrer que des étoiles à neutrons peuvent se refroidir très vite après une période d'accrétion de matière, par l'émission de neutrinos... 




Edward Brown (Michigan State University) et ses collaborateurs ont étudié une étoile à neutrons qui se trouve dans un système binaire avec une étoile normale, le système MXB 1659-29, situé dans notre galaxie à environ 65000 années-lumière. Ils ont observé l'émission de rayons X de l'étoile à neutrons juste après deux périodes d'accrétion de matière qui ont eu lieu en 2001 puis en 2016, avec les télescopes spatiaux XMM-Newton et Chandra. Les chercheurs observent que la température de la surface de l'étoile, qui reflète la température de son coeur, chute très vite après l'augmentation de température associée à l'absorption de matière, un taux de refroidissement qui apparaît cohérent avec un effet théorique proposé depuis très longtemps mais encore jamais observé directement, qui est appelé le processus "Urca direct".
Dans ce processus, une grande quantité de neutrinos et antineutrinos est émise par l'étoile à neutrons et emportent avec eux une énergie cinétique importante. Pour comparaison, les neutrinos de cette étoile à neutrons ont évacué de l'énergie 10 fois plus vite que ce que rayonne une étoile comme le Soleil. Le processus Urca direct a été imaginé dans les années 1940 par les physiciens George Gamow et Mario Schenberg, et tire son nom d'un célèbre casino de l'époque situé à Rio de Janeiro où les deux amis s'étaient retrouvés. Les physiciens avaient proposé ce nom car ils avaient trouvé que le processus devait retirer de la chaleur aux étoiles dans les supernovas aussi vite que le casino retirait de l'argent des poches des touristes de passage.

Dans ce processus, les neutrons du coeur de l'étoile, excités thermiquement se transforment en protons en émettant un électron et un antineutrino. De la même manière, les protons se transforment en neutrons en émettant des positrons et des neutrinos. Les neutrinos et les antineutrinos ont une énergie cinétique non négligeable, mais suffisamment basse pour qu'ils n'interagissent quasiment pas dans le reste de l'étoile. Ils emportent ainsi avec eux une grande part de l'énergie interne de l'étoile. La température du coeur de l'étoile à neutrons peut ainsi passer de 500 milliards de Kelvins à 1 milliard de Kelvins en 1 minute.
Ce qui est intéressant, c'est que le processus Urca direct ne peut avoir lieu que si le coeur de l'étoile à neutrons possède une fraction d'au moins 10% de protons. L'observation d'un rapide refroidissement qui ne peut qu'être produit par l'effet Urca direct fournit donc une information capitale sur la structure interne de cette étoile à neutrons, et permet par exemple de remettre en cause certains modèles d'étoiles à neutrons qui prédisent la présence de quarks libres ou de particules hadroniques comme des hypérons. 
Edward Brown et son équipe peuvent estimer que le processus n'a pas eu lieu dans tout le coeur de l'étoile à neutrons mais seulement dans 1% de son volume.
La fraction de protons dans le coeur peut donner une information sur ce qu'on appelle l'énergie de symétrie nucléaire, qui est la différence d'énergie délivrée par la transmutation du neutron en proton et du proton en neutron, et surtout sa dépendance en fonction de la densité du coeur, qui peut atteindre, dans le coeur d'une étoile à neutrons, 5 fois la densité des noyaux atomiques. Malheureusement, la masse de cette étoile à neutrons n'a pas pu être déterminée précisément, ce qui ne permet pas de conclure de manière robuste sur ce paramètre et sur sa structure interne.
La méthode de Edward Brown et ses collaborateurs va ouvrir la voie à plus de recherches de refroidissement accru dans d'autres étoiles à neutrons. De telles observations sont importantes car directement connectées aux propriétés fondamentales de la matière nucléaire ultradense, toujours mal connue.


Source

Rapid Neutrino Cooling in the Neutron Star MXB 1659-29
Edward F. Brown, Andrew Cumming, Farrukh J. Fattoyev, C. J. Horowitz, Dany Page, and Sanjay Reddy
Physical Review Letters 120, 182701 (30 April 2018)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'une étoile à neutrons (Dana Berry, NASA)

2) Localisation de la binaire X MXB 1659-29 (Rudy Wijnands et al. The Astrophysical Journal, 594:952-960)

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