Lors de sa formation, comment se fait-il que Jupiter ait pris 2 millions d'années pour grossir de 20 à 50 fois la masse de la Terre alors qu'il ne lui avait fallu auparavant qu'un seul million d'années pour atteindre 20 masses terrestres ? Une équipe d'astronomes suisses vient de trouver une explication.
Yann Alibert (Université de Berne) et ses collègues de Zürich ont tenté de comprendre l'histoire de la formation de Jupiter, qui l'a amené à la planète géante gazeuse que nous connaissons aujourd'hui avec sa masse 300 fois plus grande que celle de la Terre. Ils se sont pour cela penchés sur des données de composition d’astéroïdes obtenues il y a quelques années. Elles montraient qu'il devait exister deux populations distinctes de petits corps durant les deux premiers millions d'années du système solaire. Il était donc fort probable que Jupiter agissait à l'époque comme une sorte de barrière séparant la zone externe et la zone interne du système solaire, au moment où Jupiter passait de 20 à 50 masses terrestres.
Les astronomes suisses ont construit un modèle de formation de Jupiter qui est cohérent avec les données des astéroïdes. Dans leur article que publie Nature Astronomy cette semaine, Yann Alibert et ses collaborateurs montrent comment Jupiter a du grossir en plusieurs étapes. D'après ce modèle, Jupiter est née tout d'abord en accrétant de la poussière et des petits "cailloux" d'une taille centimétrique en grande quantité, durant 1 million d'années. Cette phase de grossissement rapide lui a permis d'atteindre une masse déjà très importante de 20 masses terrestres. Mais cette phase s'est arrêtée pour être suivie par une deuxième phase avec un taux d'accrétion plus faible, et surtout des morceaux beaucoup plus gros, cette fois-ci des petits corps d'une taille de l'ordre du kilomètre, des planétésimaux. D'après les chercheurs, le fait qu'il s'agisse dans cette phase de corps de grande taille a certes apporté à nouveau de la masse à l'embryon de planète géante, mais il a surtout apporté de l'énergie. Cette deuxième phase aurait duré deux millions d'années, pour laisser ensuite la place à la troisième phase de grossissement, à T0+3 millions d'années, cette fois-ci par une forte accrétion de gaz qui a conduit Jupiter jusqu'aux 300 masses terrestres que nous lui connaissons aujourd'hui.
Ce qu'expliquent les chercheurs, c'est que la Jupiter naissante aurait fortement perturbé le disque de poussières entourant le Soleil, en créant une zone de surdensité qui aurait confiné les petits cailloux à l'extérieur de son orbite. Les matériaux des régions extérieures n'auraient alors pas pu se mélanger avec ceux des régions internes du système solaire, jusqu'à ce que la protoplanète atteigne une masse suffisante pour perturber et diffuser des corps de taille moyenne de l'extérieur vers l'intérieur du système solaire.
D'après Yann Alibert et son équipe leur nouvelle modélisation indique que c'est l'apport d'énergie par les planétésimaux qui aurait retardé le grossissement de Jupiter. En effet, les collisions avec des blocs de l'ordre du kilomètre aurait apporté suffisamment d'énergie à l'atmosphère gazeuse de la planète sous forme de chaleur pour l'empêcher de se refroidir rapidement et de se contracter, et d'enclencher une forte accrétion de gaz. Cette dernière a ensuite pu se déployer lorsque le réservoir de planétésimaux s'est tari.
Les astronomes pensent avoir trouvé une explication pertinente pour expliquer l'histoire de la formation de Jupiter, et poussent même leur raisonnement vers le processus de formation d'autres planètes gazeuses comme Uranus et Neptune qui pourrait être assez similaire. Mais d'autres études seront nécessaires pour en savoir plus.
Source
The formation of Jupiter by hybrid pebble–planetesimal accretion
Yann Alibert, Julia Venturini, Ravit Helled, Sareh Ataiee, Remo Burn, Luc Senecal, Willy Benz, Lucio Mayer, Christoph Mordasini, Sascha P. Quanz & Maria Schönbächler
Nature Astronomy (27 august 2018)
Illustrations
1) L'hémisphère sud de Jupiter imagé par la sonde Juno (NASA/JPLCaltech/SwRI/MSSS/GeraldEichstaedt/Sean Doran)
2) Schéma des trois phases de grossissement de Jupiter (Alibert et al, Nature Astronomy)
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