dimanche 7 octobre 2018

Cassini dévoile des anneaux de Saturne en train de disparaître


La seconde information un peu décoiffante issue des résultats de Cassini dans son passage entre Saturne et ses anneaux que publie Science cette semaine, après celle de l'existence d'une ceinture de protons, c'est la mesure directe de l'interaction de l'anneau D avec l'atmosphère de Saturne. En plus de sa composition étonnamment riche en composés organiques (entre autres), on y découvre l'ampleur de l'érosion de cet anneau, qui produit une véritable "pluie" sur Saturne, composée d'eau, de silicates et de nombreuses molécules organiques diverses. Le flux de cette pluie d'anneaux atteint plusieurs dizaines de tonnes par seconde...




La pluie d'anneaux sur Saturne est un phénomène dont nous avions parlé il y a déjà plus de 5 ans ici même (voir là). Il s'agissait à l'époque d'une observation indirecte effectuée avec un télescope terrestre, avec pas mal d'incertitudes. Mais aujourd'hui, la sonde Cassini étant passé exactement là où se passe le phénomène, les incertitudes ne sont plus de mises et on connaît maintenant non seulement la taille des grains de poussière et de glace, leur composition (en masse atomique) et leur quantité.
L'instrument INMS de Cassini (Ion Neutral Mass Spectrometer) a permis à Hunter Waite (Southwest Research Institute, San Antonio) et ses collaborateurs européens et taïwanais de mesurer la composition de la haute atmosphère de Saturne en même temps que ma matière y tombant depuis les anneaux. L'hydrogène moléculaire domine largement les haute couches atmosphériques, mais ce qu'observent les planétologues, ce sont de très grandes quantités d'eau, de méthane, d'ammoniac, d'azote moléculaire, de monoxyde et dioxyde de carbone, ainsi que des fragments nanométriques de molécules organiques. Le flux mesuré tombant sur Saturne sur une bande de 8° autour de l'équateur est compris entre 4800 kg.s-1 et 45 000 kg.s-1.
Et pour la première fois, la composition des anneaux (de l'anneau D en l'occcurence)  est mesurée in situ avec une bonne précision via les particules qui tombent sur Saturne (ce qui est mesuré est la masse atomique par unité de charge électrique). Et la surprise est au rendez-vous! Il y a plus de molécules organiques (37%) que d'eau (24%), en pourcentages en masse. Une quantité importante de CO ou N2 y est également présente avec 20%.


La majorité des composés organiques détectés par le INMS sont malheureusement probablement des fragments de nanoparticules plus initialement grosses du fait de la vitesse relative de la sonde très élevée durant ses passages (31 km.s-1), qui aurait induit une cassure des grosses molécules sous l'impact dans la chambre du détecteur.
Les observations montrent aussi des variations significatives dans les mélanges d'espèces d'une orbite à l'autre. Les planétologues suggèrent donc que la région d'origine de cette pluie de matériaux serait variable soit dans le temps ou soit longitudinalement, et pourquoi pas une région très localisée de l'anneau D.
Cette pluie riche en composés autres que de l'eau peut affecter sensiblement la chimie atmosphérique et ionosphérique de Saturne en modifiant la composition en carbone. Mais surtout, cette forte érosion de l'anneau D a des implications importantes sur l'évolution globale de cet anneau mais aussi des autres. Les chercheurs estiment par exemple qu'il doit nécessairement exister un transfert de matière de l'anneau supérieur (l'anneau C) vers l'anneau D. En effet, la masse de l'anneau D ne vaut que 1% de celle de l'anneau C, soit 1016 kg. Mais avec le taux de perte mesuré : entre 4800 kg.s-1 et 45 000 kg.s-1, l'anneau D devrait disparaître en 7000 à 66000 ans.... Cela implique aussi qu'au même rythme de perte de matière, l'anneau C disparaîtrait en 700 000 à 7 millions d'années seulement. Or les planétologues pensent que l'anneau C ne pourrait pas transférer 1% de sa masse vers l'anneau D par viscosité sur un échelle de temps aussi réduite. La seule solution pour cela serait une perturbation par des débris de petits corps qui traverseraient les deux anneaux. Il n'en reste pas moins que la durée de vie des anneaux semble devoir être revue à la baisse, après que nous avons appris en janvier dernier que les anneaux de Saturne ne seraient âgés que de 200 millions d'années (voir ici). 

Hsiang-Wen Hsu (Université de Boulder) et ses collaborateurs américains et allemands ont, eux, exploité les données de l'instrument CDA (Cosmic Dust Analyser) obtenues durant les mêmes passages du Grand Finale de Cassini dans les 2000 km séparant la haute atmosphère et l'anneau D. Ils obtiennent des résultats qui vont dans le même sens, concernant cette fois des grains d'une dizaine de nanomètres. Les profils de flux qu'ils mesurent varient selon les configurations de pointage de l'analyseur de poussières.
Le maximum est observé quand la sonde traverse le plan des anneaux avec l'analyseur orienté pour être sensible à la population de poussière en mouvement prograde. Lorsque le détecteur a été retourné pour détecter la poussière en mouvement rétrograde, deux zones en excès apparaissent de part et d'autre du plan des anneaux, environ à la même latitude magnétique mais le pic de poussière sud est plus large et plus intense que celui situé au nord, ce qui prouve le rôle dominant du champ magnétique de Saturne dans la dynamique des nanograins chargés électriquement. Selon Hsu et son équipe, ces grains ont été éjectés des anneaux et sont en train de tomber vers Saturne en produisant la signature ionosphérique caractéristique qui avait déjà été observée.
Ils estiment que le flux vers Saturne de cette composante de grains nanométriques chargés est de quelques tonnes par seconde, soit une fraction inférieure à 0,1% de toute la matière deplétée des anneaux. Leur composition est essentiellement de l'eau (très majoritaire) et des silicates.

Les résultats du passage rapproché de Cassini dans l'interstice de quelques milliers de kilomètres séparant la haute atmosphère de Saturne de son premier anneau sont d'une richesse insoupçonnée. Ils nous montrent un nouveau visage de ces magnifiques anneaux, celui de beautés diaphanes en train de disparaître sous nos yeux admiratifs.


Sources

Chemical interactions between Saturn’s atmosphere and its rings
J. H. Waite et al.
Science Vol. 362 ( 05 Oct 2018)

In situ collection of dust grains falling from Saturn’s rings into its atmosphere
Hsiang-Wen Hsu et al.
Science Vol. 362 ( 05 Oct 2018)


Illustrations

1) Vue d'artiste de la sonde Cassini à la fin de sa mission (NASA/JPL-Caltech)

2) Composition de la pluie d'anneau tombant sur Saturne (Waite et al. / Science)

3) Vue schématique de la distribution des particules nanométriques dans l'environnement des anneaux de Saturne (Hsu et al./ Science)

1 commentaire :

Laura a dit…

Saturne sans ses anneaux n’est plus Saturne… Heureusement il nous reste encore de (très) longues années d’observation !