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jeudi 24 janvier 2019

Indice d'un lien intime entre supernova et sursaut gamma


Quand une étoile massive meure, il apparaît parfois au moment de l'explosion de la supernova un jet de particules et de rayonnement qui traverse l'enveloppe éjectée et y laisse une empreinte. Lorsque ce jet est vu avec un faible angle de visée, on observe une bouffée de rayons gamma (une GRB). Une étude qui vient d'être publiée montre pour la première fois en détails la trace du jet laissée dans l'enveloppe en expansion. 




La matière éjectée par l'explosion de l'étoile forme une enveloppe en expansion rapide. Cette matière peut atteindre la belle vitesse de 3% de la vitesse de la lumière (ce qui fait presque 10 000 km/s). Le jet quant à lui atteint presque la vitesse de la lumière. En émergeant de la surface de l'enveloppe de l'étoile, le jet de particules produit une forte bouffée de rayons gamma. Luca Izzo (Institute of Astrophysics of Andalusia) et ses collaborateurs ont étudié SN 2017iuk, une supernova qui était associée à une GRB apparus le 5 décembre 2017 dans une galaxie située à 500 millions d'années-lumière, sous l'angle de la spectroscopie pour mieux comprendre comment ça se passe et quel est le lien entre l'explosion, le jet et la GRB.

Les modèles théoriques prédisent que lorsqu'un jet transperce une enveloppe stellaire, il échauffe fortement le gaz, ce qui a pour effet de produire une sorte de bulle à haute pression. Les spécialistes appellent cette bulle de gaz chaud un "cocon". Or, comme le cocon accompagne le jet, il renferme donc une information sur l'interaction entre le jet et l'enveloppe stellaire en expansion et par là même sur les mécanismes de l'explosion elle-même. 
Les premiers rayons gamma apparaissent lorsque le cocon sort de l'enveloppe stellaire, puis ils sont suivis par un signal de rayons X, d'ultra-violet et enfin de lumière visible. Le cocon s'étend latéralement, faisant gonfler l'enveloppe résiduelle à travers de laquelle la lumière de la supernova doit passer avant de finalement atteindre nos télescopes. Dans les premiers jours, la lumière est fortement absorbée par le cocon, puis le gaz chaud devient très vite transparent.
Depuis des dizaines d'années, les astrophysiciens observaient soit l'émission des enveloppes éjectées (la lumière des supernovas) ou soit l'émission des jets (les GRB). Et pourtant, les cocons doivent transporter autant d'énergie que les deux premières composantes. La difficulté d'observation directe d'un cocon vient du fait que  pendant plusieurs jours, la luminosité de la bouffée gamma et celle de la supernova sont beaucoup plus intenses que celle émanant du cocon. Et quand nous ne voyons pas le jet dans son axe, donc pas de GRB détectable, le plus souvent, la supernova est détectée trop tardivement pour pouvoir observer correctement l'absorption caractéristique du cocon.



Mais avec SN 2017iuk/GRB171205A Luca Izzo et son équipe parviennent à observer un événement dans lequel on voit le sursaut gamma mais sa rémanence est suffisamment faible pour pouvoir apercevoir l'absorption du cocon seulement un jour après l'explosion.  
Selon les modèles théoriques, le cocon se meut plus vite que l'enveloppe, mais plus lentement que le jet. Et le jet doit apporter de la matière du cœur de l'étoile explosée vers le cocon.
C'est exactement ce qu'observent les astrophysiciens : ils détectent la présence d'une matière ayant une vitesse de 30% de la vitesse de la lumière composée principalement de fer, mais aussi de cobalt et de nickel, deux éléments produits dans l'explosion, en provenance directe du cœur de l'étoile. C'est la vitesse d'expansion d'enveloppe stellaire la plus élevée mesurée à ce jour. Luca Izzo et ses collègues montrent ainsi que de la matière est bien propulsée par le jet qui est à l'origine de la bouffée gamma, vers les couches externes de l'enveloppe résiduelle en expansion.

L'énergie déposée dans le cocon a pu être calculée et se révèle être très élevée, alors que le sursaut gamma associé paraissait assez faible, suggérant un jet un peu faiblard. Les GRB peu intenses pourraient donc juste indiquer un jet mal orienté vers nous, à moins qu'il ne s'agisse du signal du cocon lui-même en train de briser la surface de l'enveloppe stellaire.
Les processus d'explosion des étoiles massives ne sont pas encore complètement compris. Le rôle des jets fait partie de ces inconnues qui commencent tout juste à être dévoilées. Ainsi, même si les jets sont rarement observés en coïncidence avec les supernovas, ils pourraient être en fait bien plus communs que ce que l'on croit. Le plus probable est que la majorité des jets soient "choqués", c'est à dire qu'ils dissiperaient toute leur énergie alors qu'ils sont encore dans l'enveloppe stellaire en expansion. Ils ne seraient pas visibles sous forme de GRB mais leur cocon pourrait toujours s'extraire. Il est intéressant de noter que la présence de jets choqués a déjà été inférée à partir d'observations d'absorptions fortes dans des spectres de quelques supernovas qui n'étaient pas associées à une GRB. L'observation de Izzo et ses collaborateurs va dans le sens de cette interprétation. 

La prochaine génération de grands relevés va pouvoir détecter des supernovas très vite, moins d'une journée après leur explosion, ce qui va améliorer grandement l'étude des cocons, ces bulles de gaz très chaud à l'intérieur des enveloppes en expansion, de quoi finir par résoudre l'énigme du rôle des jets dans la mort explosive des étoiles massives.


Source

Signatures of a jet cocoon in early spectra of a supernova associated with a γ-ray burst
L. Izzo et al.
Nature volume 565, pages 324–327 (17 janvier 2019)


Illustration

1) Vue d'artiste d'une explosion d'étoile très massive avec formation de jets et de cocons (IAA-CSIC)

2) Schéma du processus de production d'un cocon par un jet parvenant à sortir de l'enveloppe (GRB) ou non (jet "choqué") (Nature)

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