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mardi 8 janvier 2019

Une matière noire détectable grâce aux pulsars


Les axions, particules de matière noire encore hypothétiques, pourraient révéler leur présence grâce aux étoiles à neutrons. C'est ce que suggère une équipe de physiciens américains qui propose d'exploiter le champ magnétique hors norme des étoiles à neutrons comme sonde à axions.




Les axions sont des particules très légères (avec une masse inférieure au milliélectronvolt) qui ont été imaginées à la fin des années 1970 pour résoudre une anomalie de violation de symétrie fondamentale au niveau des quarks (une anomalie toujours d'actualité). Il se trouve que dans cette théorie, les axions peuvent interagir avec un champ magnétique pour produire des photons de très basse énergie (dans le domaine des ondes radio). Une expérience américaine, ADMX, est aujourd'hui en train de chercher à détecter des axions indirectement en scannant toutes les longueurs d'ondes possibles, correspondant à la plage de masse la plus probable pour l'axion qui est donnée par le modèle de Peccei-Quinn. Le concept de cette expérience repose sur l'application d'un fort champ magnétique dans une sorte de grosse boite dans laquelle on cherche à détecter l'apparition de photons de basse énergie, qui sembleraient provenir de nulle part, mais qui seraient en fait les produits de désintégration des axions, baignant le milieu, dans le champ magnétique appliqué. On se doute que, si la théorie est vraie, l'expérience serait d'autant plus efficace que le champ magnétique appliqué est fort. Or, fabriquer des champs magnétiques très intenses sur Terre est toujours compliqué. 
Mais il existe des objets astrophysiques qui produisent des champs magnétiques des milliards de milliards de fois plus intenses que ce que nous pouvons produire sur Terre : les étoiles à neutrons. Il est donc tentant de vouloir les utiliser pour tester la théorie sous-jacente des axions. Anson Hook (Université du Maryland) et ses collègues viennent de calculer que cette méthode indirecte devait être tout à fait efficace.

L'intense champ magnétique produit par la région interne d'une étoile à neutrons produit un plasma (un gaz de particules chargées) tout autour, ainsi qu'un intense rayonnement radio émergeant de sa surface. Ce que montrent les physiciens américains dans l'article qu'ils publient dans Physical Review Letters, c'est que lorsqu'une étoile à neutrons (ou pulsar) se déplacerait dans un "nuage" d'axions au cours de son mouvement dans la galaxie, ces axions pourraient se désintégrer dans son champ magnétique principalement à une certaine distance de l'étoile à neutrons. Mais comme les axions sont, en théorie, des particules thermalisées dans le halo de la galaxie (des particules non relativistes, donc une matière noire "froide"), leur énergie totale (énergie cinétique + masse) est sensée être très bien définie et relativement faible, l'énergie (ou la fréquence) des ondes radio générées qu'ils devraient produire serait donc elle aussi bien définie et devrait être clairement détectable à l'intérieur du rayonnement radio naturel du pulsar.  
Qui plus est, les ondes radio peuvent facilement se réfléchir sur le plasma entourant le pulsar ce qui peut permettre d'amplifier le signal. Anson Hook et ses collaborateurs ont fait le calcul sur quelques étoiles à neutrons proches et trouvent que pour deux d'entre elles, le signal radio issus des axions serait d'ores et déjà dans la plage de sensibilité de nos radiotélescopes actuels.
Et il y a encore mieux. Il existe dans toutes les galaxies une région où se trouverait une plus forte concentration à la fois de pulsars et de matière noire (donc d'axions dans cette variante) : la région centrale des galaxies. Les chercheurs calculent que le signal radio correspondant à la désintégration des axions dans la magnétosphère des pulsars serait multiplié par plusieurs décades au centre des galaxies par rapport à des régions plus externes... C'est donc là qu'il faudrait chercher ce signal.

Cette méthode de détection indirecte de la matière noire sous forme d'axions semble très prometteuse mais il existe quand-même quelques inconvénients : comme les pulsars émettent naturellement de grande quantités d'ondes radio sous forme d'un faisceau périodique, les pulsars sur lesquels le signal de désintégration des axions serait le mieux discernable sont ceux dont le cône d'émission radio ne pointe pas vers nous, ou bien il faut que l'émission radio naturelle soit à une fréquence assez différente de celle du signal des axions. Seule une fraction des pulsars pourrait donc être exploitée pour détecter des axions.
D'autre part, ces étoiles à neutrons ne doivent pas être trop éloignées de nous, de manière à ce que le rayonnement radio qui serait induit par les axions ne subisse pas un redshift trop important du fait de l'expansion cosmique, ce qui le noierait dans le bruit de fond radio à plus basse fréquence. Les galaxies lointaines ne pourraient ainsi que difficilement être investiguées par cette méthode innovante. Mais fort heureusement, de très nombreuses galaxies proches peuvent être des cibles tout à fait pertinentes, à commencer par la nôtre.

Dans quelques années sera mis en service le plus grand observatoire radioastronomique, le SKA (Square Kilometer Array) qui pourra scruter tout le ciel avec une excellente résolution en énergie radio. Peut-être sera-t-il l'outil qui détectera les premiers signes de matière noire alors qu'il n'a pas du tout été conçu pour ça.


Source

Radio Signals from Axion Dark Matter Conversion in Neutron Star Magnetospheres
Anson Hook, Yonatan Kahn, Benjamin R. Safdi, and Zhiquan Sun
Physical Review Letters 121 (13 December 2018)


Illustration

1) Vue d'artiste d'un pulsar et de sa magnétosphère (NASA Goddard Space Flight Center)

2) Diagramme de Feynman de la production de photons par un axion (Caltech)

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