Le 22 septembre 2017, un neutrino très énergétique a été observé par le détecteur géant IceCube, pour la première fois en coïncidence avec une éruption de rayons gamma observée par le détecteur spatial Fermi-LAT en provenance d'un blazar nommé TXS 0506+056. Une fouille minutieuse dans 10 ans d'archives de IceCube permet aujourd'hui de retracer l'activité "neutrinos" du blazar incriminé et de comprendre des choses...
C'est une étude signée par le responsable scientifique de la collaboration IceCube, Francis Halzen (Université du Wisconsin) avec trois de ses collègues américains, qui nous fournit cette exploration dans le passé des données de IceCube focalisées sur la direction du blazar TXS 0506+056. L'extraordinaire luminosité du blazar (un noyau actif de galaxie vu dans l'axe de son jet polaire) malgré sa distance énorme laisse penser qu'il pourrait s'agir d'une catégorie spéciale à même de produire des rayons cosmiques énergétiques, notamment des particules issues de processus hadroniques (accélération de protons, produisant par la suite des pions, qui se désintègrent enfin en produisant des neutrinos et des photons gamma. La première détection en multimessagers neutrino + rayons gamma va dans ce sens, mais l'événement du 22 septembre 2017 ne concernait qu'un seul neutrino! Il était donc crucial de chercher si d'autres "bouffées" de neutrinos auraient pu avoir lieu dans le passé en provenance de TXS 0506+056.
Plusieurs indices pointent en effet vers une origine commune pour les neutrinos très énergétiques, les rayons gamma extragalactiques et les rayons cosmiques de plus de 100 GeV, à commencer par une densité d'énergie similaire.
Francis Halzen et ses collègues ont donc réanalysé 10 ans de données enregistrées par IceCube en sélectionnant précisément une direction d'arrivée des neutrinos correspondant à la direction du blazar TXS 0506+056. Et bingo! Les chercheurs ont découvert l'existence d'une très nette augmentation du flux de neutrinos, qui a duré 110 jours en 2014, provenant de la direction de TXS 0506+056. Cette bouffée de 2014 surpasse largement toute l'activité provenant du blazar sur les 10 ans enregistrés.
A partir de la bouffée de neutrinos de TXS 0506+056 de 2014, les chercheurs extrapolent ensuite pour expliquer le flux de neutrinos énergétiques diffus qu'ils détectent depuis 2013 dans IceCube, attribués à des sources extragalactiques. Ils font l'hypothèse que ces neutrinos proviennent de sources comme le blazar TXS 0506+056, qui seraient des émetteurs épisodiques de neutrinos. L'analyse basée sur le nombre de neutrinos ainsi détectés leur permet de fixer la proportion des blazars qui seraient de tels émetteurs intermittents de neutrinos : cette classe de blazars formerait 5% des blazars.
Mais les physiciens des astroparticules font aussi d'autres déductions : le flux de rayons cosmiques requis pour produire les neutrinos observés implique des sources de neutrinos très efficaces dans un environnement qui doit être très peu transparent pour les rayons gamma de haute énergie. Cette opacité de la source est nécessaire pour expliquer l'absence relative de rayons gamma observés en coïncidence avec la longue éruption de 2014. L'étude du rayonnement gamma produit durant l'éruption neutrino de 2014, faible mais pas nulle, montre, d'après Francis Halzen et ses collègues, que son absorption et ses interactions intrinsèques (dans la source), suivies par une interaction avec la lumière diffuse extragalactique, devait produire un flux gamma du même ordre que celui qui a été effectivement détecté durant la période par Fermi-LAT.
Ces blazars sont donc de meilleurs émetteurs de neutrinos que de photons gamma, ce que l'on peut traduire en disant qu'aucune éruption de rayons gamma ne doit être attendue quand une éruption de neutrinos est observée en provenance d'un blazar.
La détection d'un seul neutrino le 22 septembre 2017 aura ainsi permis, grâce à la localisation de sa source, de mieux comprendre ces sources à multimessagers que sont les blazars, émetteurs de neutrinos et de rayons cosmiques énergétiques en grande quantités, et de rayons gamma de plus grande énergie mais en plus faible quantité.
Source
On the Neutrino Flares from the Direction of TXS 0506+056
Francis Halzen, Ali Kheirandish, Thomas Weisgarber, and Scott P. Wakely
The Astrophysical Journal Letters, Volume 874, Number 1
Illustrations
1) Le bâtiment de la collaboration IceCube en Antarctique avec l'illustration du signal d'un neutrino tel qu'enregistré dans le volume de glace par plusieurs milliers de photomultiplicateurs (IceCube Collaboration)
2) Vue d'artiste d'un blazar émettant des neutrinos et des photons gamma vers la Terre (University of Wisconsin)
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