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27/04/19

Nouvelle mesure de la constante de Hubble plus précise, et plus différente


La mesure de la constante de Hubble, H0, le taux d’expansion actuel de l’Univers est aujourd’hui un des plus gros problèmes de la cosmologie : des mesures différentes trouvent des valeurs différentes, qui sont suffisamment précises les unes et les autres qu’elles ne sont pas conciliables entre elles : 67 km.s-1.Mpc-1 d’un côté, 74 km.s-1.Mpc-1 de l’autre. La méthode classique utilisant des supernovas de type Ia a été mise en cause face à la précision impressionnante des mesures issues du fond diffus cosmologique (CMB), mais aujourd’hui la précision obtenue avec les Céphéides et les supernovas rivalise avec celle sur le rayonnement du CMB, avec un nouveau record de précision qui éloigne encore un peu plus les deux valeurs...




Avant de voir en détail les nouveaux résultats de l'équipe menée par Adam Riess (Space Telescope Science Institute à Baltimore, prix Nobel 2011), qui viennent d'être acceptés pour publication dans The Astrophysical Journal, et ce qu’ils impliquent, il faut revenir un instant sur les différentes techniques qui sont utilisées pour évaluer la constante de Hubble H0. Le paramètre H0 est le facteur qui relie la vitesse de récession des objets astrophysiques tels que nous les voyons et leur distance par rapport à nous. Pour l’évaluer, il faut donc faire deux mesures : une mesure de distance et une mesure de vitesse. La mesure de vitesse est la plus facile à effectuer : il suffit de mesurer le décalage spectral des longueurs d’ondes émises, ce qu’on appelle le redshift (nommé z). Ce paramètre est directement proportionnel à la vitesse de récession.
Pour la mesure de distance, c’est une autre affaire. Le plus évident est d’utiliser des chandelles standard : des objets dont la luminosité intrinsèque est connue, ce qui permet d’en déduire leur distance en observant leur luminosité apparente, qui dépend directement de la luminosité intrinsèque et de l’inverse de la distance au carré. 
Il existe deux types de chandelles standard : les étoiles Céphéides (un type particulier d’étoiles pulsantes) et les supernovas Ia (une explosion thermonucléaire d’étoile naine blanche). Les premières sont des étoiles variables dont la période de pulsation est proportionnelle à leur luminosité maximale. Mesurer leur période de pulsation en association avec leur luminosité permet ainsi d’en déduire leur distance si on connaît le facteur de proportionnalité. Comme la luminosité intrinsèque augmente en fonction de la période de pulsation, observer des Céphéides de très longue période permet de voir des Céphéides très éloignées. Les secondes sont des explosions qui ont lieu lorsque l’étoile naine blanche voit sa masse dépasser sa limite de stabilité (la limite de Chandrasekhar : 1,44 masses solaires). Le maximum d’intensité de leur courbe de luminosité est quasi toujours le même, ce qui permet, à partir du suivi de la luminosité de ces supernovas, d’en déduite là aussi leur distance. Les supernovas étant extrêmement plus brillantes que des étoiles normales, elles peuvent être observées dans des galaxies très lointaines, à plusieurs milliards d'années-lumière de distance.

Mesurer par des échelles de distance
La méthode classique employée par les astrophysiciens pour évaluer des distances repose sur les deux types de chandelles standard. On utilise un premier type de chandelle (les Céphéides) pour calibrer le second type (les supernovas Ia). Mais les Céphéides doivent elles aussi être calibrées par un autre moyen pour déterminer le facteur de proportionnalité entre période et luminosité. Ce premier calibrage est obtenu par les mesures de distances les plus simples qui existent : des mesures de parallaxes (le mouvement angulaire apparent des étoiles dans le ciel qui est produit par le mouvement de la Terre à 6 mois d’intervalle).



La distance d’étoiles Céphéides proches est donc déterminée à la fois par leur mesure de parallaxe et par leur période de pulsation, ce qui permet de les calibrer. A partir de ce calibrage, des Céphéides plus lointaines, situées dans d’autres galaxies sont utilisées pour en déterminer la distance. Mais on choisit spécifiquement des galaxies dans lesquelles sont apparues des supernovas Ia dont les courbes de lumière ont pu être mesurées avec précision. Obtenant la distance grâce à des Céphéides et des supernovas situées à la même distance permet de calibrer ces secondes chandelles que sont les supernovas Ia. On poursuit alors l’évaluation de distances de galaxies les plus lointaines possibles où apparaissent des supernovas Ia. Cette mesure est appelée la méthode de l’échelle des distances. C’est cette technique qu’utilise la collaboration SHoES (Supernova H0 for the Equation of State) de Adam Riess. Le gros défaut de cette méthode est qu’elle est très sensible à la moindre incertitude ou erreur qui peut apparaître dans une des étapes du calcul, notamment l'évaluation de la distance des Céphéides.

Mesurer par le Fond Diffus Cosmologique
L’autre méthode classique est très différente, elle ne consiste plus à mesurer une distance et une vitesse, mais à simplement analyser le contenu du fond diffus cosmologique (CMB), et plus précisément comment se répartissent les minuscules fluctuations de température du rayonnement, correspondant à des fluctuations de densité du plasma de l’Univers primordial. La distribution spatiale (ou angulaire) de ces fluctuations peut être complètement reconstruite par un modèle théorique qui fait intervenir une petite dizaine de paramètres physiques, dont notamment la constante de Hubble H0, mais aussi la quantité de matière totale, la quantité de matière baryonique, la courbure de l’espace et d’autres paramètres cosmologiques.

C’est ce modèle qu’on appelle le modèle standard 𝚲CDM. Ce sont les mesures ultra-précises du fond diffus cosmologique effectuée par le satellite Planck en 2015 qui fournissent aujourd’hui la valeur de H0 la plus précise à ce jour par cette méthode : H0 = 67,4 ± 0,5 km.s-1.Mpc-1 (valeur affinée en 2018). Le gros défaut de cette méthode est qu’elle dépend entièrement de la véracité du modèle cosmologique et des ces différents paramètres. Modifier un paramètre peut faire bouger tous les autres.


Mesurer par les Oscillations Acoustiques Baryoniques
Et puis il existe une autre méthode de mesure de H0 moins classique qui repose sur l’observation de la répartition à grande échelle des amas de galaxies, la trace des "oscillations acoustiques baryoniques" du plasma primordial avant l’émission du fond diffus cosmologique. C'est ce qu'utilisent notamment les chercheurs de la collaboration DES (Dark Energy Survey). Ce qu'on appelle les Oscillations Acoustiques Baryoniques sont intimement liées au fond diffus cosmologique, mais sont aussi visibles dans l'Univers local. On l’a vu, le fond diffus cosmologique est marqué par une multitude de fluctuations de température qui sont autant de fluctuations de densité qui existaient dans le plasma primordial. Or, on sait que dans un tel plasma (avant que les électrons se combinent aux protons et aux alpha pour former des atomes d’hydrogène et d’hélium et que les photons soient enfin libres de se propager, 380 000 ans après la singularité initiale), il devait exister des ondes de densité autour de chaque surdensité de matière. Ces oscillations acoustiques (très similaires à des ondes sonores) étaient produites par le jeu incessant de répulsion/attraction induit par le rayonnement et la gravitation et se manifestaient sous la forme de surdensités sphériques entourant chaque fluctuation de densité. Mais surtout, le point crucial de ce phénomène qui a été compris à la fin des années 1970 est que les surdensités se sont figées au moment de la recombinaison des électrons avec les baryons, quand la température de l’Univers est devenue suffisamment basse et que les photons sont devenus libres.


Et ces oscillations acoustiques baryoniques, figées 380 000 ans après le Big Bang, se voient toujours aujourd’hui comme à toutes les époques cosmiques ultérieures à la recombinaison. Les surdensités sphériques du plasma ont en effet suivi l’expansion de l’Univers et ont produit les régions où sont nées les galaxies et leurs amas 500 millions d’années plus tard. Ainsi, lorsque l’on analyse finement la répartition des amas de galaxie, on peut déceler une distance caractéristique entre les amas, qui dépend de l’époque (du redshift). Cette distance entre grandes structures galactiques vaut par exemple 490 millions d’années-lumière dans l’Univers local. C’est cette distance caractéristique que mesurent les astrophysiciens de la collaboration DES et qu’ils ont exploitée l'année dernière pour calibrer quelques centaines de supernovas de type Ia. Connaissant la longueur caractéristique que doivent avoir les traces des oscillations acoustiques baryoniques pour un redshift donné, on peut évaluer la distance correspondante en observant l’étendue angulaire de cette longueur caractéristique entre grandes structures galactiques. Il n’y a plus qu’à travailler sur des galaxies où sont apparues et ont été suivies des supernovas de type Ia pour arriver à un calibrage en distance des supernovas Ia. La meilleure valeur de H0 obtenue par cette méthode dite de l'échelle de distances inversée est H0 = 67,77 ± 1,30 km.s-1.Mpc-1. Cette méthode possède l'inconvénient de dépendre de l'Univers primordial et donc du modèle cosmologique.

Mesurer par des effets de lentilles gravitationnelles
Il existe aussi un autre type de mesures de H0 complètement indépendant à la fois des échelles de distances et du modèle cosmologique. La collaboration H0LiCOW utilise par exemple l'effet de lentille gravitationnelle fort produisant des dédoublements d'objets très lointains, dont les trajets lumineux parcourent différentes distances. L'analyse du temps d'arrivée et des caractéristiques de décalage spectral des différentes images fantômes du même objet qui sont produites par une grosse masse en avant plan (galaxie ou amas de galaxies) permet de déterminer la constante de Hubble. 



Et H0LiCOW obtient systématiquement des valeurs de H0 supérieures à 71,5 km.s-1.Mpc-1, avec une incertitude d'environ ±3 km.s-1.Mpc-1 : H0 = 71,9±2,7 km.s-1.Mpc-1 obtenu avec le quasar quadruplement multiplié HE0435-1223 par exemple.

Des nouvelles mesures de Céphéides plus précises
Les résultats obtenus à l’aide des Céphéides et des SN Ia, inconsistants avec les résultats de Planck et du modèle standard ont souvent été mis en doute, tant ces mesures sont délicates à mener. La nature de chandelle standard des Céphéides et des supernovas Ia a tour à tour été mise en question, sans jamais vraiment convaincre. Car les résultats apparaissent en fait de plus en plus solides au fur et à mesure que s'ajoutent de nouvelles observations. Et ce sont cette fois-ci des nouvelles observations de Céphéides dans le Grand Nuage de Magellan (LMC) qui permettent aujourd'hui à Adam Riess et son équipe de conclure à une nouvelle valeur de la constante de Hubble ayant une précision de seulement 1,91% :
H074,03 ± 1,42 km.s-1.Mpc-1
Pour obtenir une réduction de 15% de l'incertitude sur H0 par rapport à ce qu'ils obtenaient l'année dernière, Riess et ses collègues ont observé 70 Céphéides à longue période toutes situées dans le LMC, avec le télescope spatial Hubble.  Ils ont bénéficié de trois améliorations qui leur ont permis de réduire l'incertitude sur le calibrage de l'échelle des distances par les Céphéides de 2,5% à 1,3%, dont notamment un meilleur contrôle gyroscopique du télescope spatial pour réduire ses infimes mouvements parasites. 

L'écart se creuse encore un peu plus
La différence qui existe entre la valeur de H0 mesurée "localement" via l'échelle des distances avec Céphéides et Supernovas Ia (confortée par les observations de dédoublements gravitationnels) et la valeur mesurée indirectement via le Fond Diffus Cosmologique et ses fluctuations de température (confortée par les observations des oscillations acoustiques baryoniques) vaut donc maintenant 6,6 ±1,5 km.s-1.Mpc-1. Cet écart a une signifiance statistique de 4,4 sigma (c'est à dire que la probabilité qu'il s'agisse d'un effet du hasard n'est que de 0,001%).
Riess et ses collaborateurs disent clairement que le désaccord entre les deux valeurs ne peut plus être dû à une erreur statistique ou systématique et qu'il implique forcément l'existence d'une nouvelle physique qui va au-delà du modèle 𝚲CDM. 

Il y a donc clairement une différence de H0 quand on la mesure dans l'Univers local et quand on la mesure à partir de l'Univers primordial décrit par les paramètres du modèle cosmologique. Plusieurs solutions théoriques sont d'ores et déjà envisageables pour parvenir à faire disparaître cette forte tension sur H0 entre les deux familles de mesures : 

1) Une injection d'énergie noire (ou d'expansion) avant la recombinaison et l'émission du fond diffus cosmologique, ce qui aurait notamment pour effet de modifier la taille des oscillations acoustiques, on parle dans ce cas d'"énergie sombre précoce",

2) L'existence d'une espèce supplémentaire de particules relativistes (des neutrinos) apportant des interactions en surplus dans l'Univers primordial (on parle alors de "rayonnement sombre"),

3) L'existence d'une interaction plus forte que prévu entre particules de matière noire et particules de matière baryonique.

Adam Riess et ses collaborateurs vont poursuivre leur quête de la mesure de H0 la plus précise possible, en raffinant toujours plus la mesure de l'échelle des distances, que ce soit sur les Céphéides ou sur les supernovas Ia. Les mesures de parallaxes ultra-précises de Gaia seront probablement très précieuses dans cette quête. Les astrophysiciens américains souhaitent maintenant véritablement passer de la découverte d'une différence au diagnostic de son origine... et les trois pistes actuelles sont toutes passionnantes.

Et les perspectives de nouvelles mesures indépendantes viennent de s'ouvrir d'avantage grâce aux détections d'ondes gravitationnelles qui vont pouvoir être utilisées elles aussi comme des chandelles standard. Une première mesure de ce type sur GW170814 a très récemment fourni une valeur de H0 égale à 75 km.s-1.Mpc-1 mais encore avec une incertitude énorme de +40/-32 km.s-1.Mpc-1. L'article relatant cette mesure est paru hier, et il montre donc que la méthode fonctionne. La multiplication de détections d'ondes gravitationnelles qui est aujourd'hui en cours ne pourra que réduire ces incertitudes...


Source 

Large Magellanic Cloud Cepheid Standards Provide a 1% Foundation for the Determination of the Hubble Constant and Stronger Evidence for Physics Beyond ΛCDM
Adam G. Riess, Stefano Casertano, Wenlong Yuan, Lucas M. Macri, and Dan Scolnic
Accepté pour publication dans The Astrophysical Journal (26 mars 2019)
https://arxiv.org/pdf/1903.07603.pdf


Illustrations

1) Relation mesurée entre période de pulsation et luminosité pour des Céphéides de notre galaxie et du Grand Nuage de Magellan (W. Freedman/NASA/Caltech)

2) L'échelle des distances mesurées par les Céphéides et les supernovas (Hubble Telescope Science Institute)

3) Illustration du phénomène d'oscillation acoustique baryonique laissant un trace sur la distribution des galaxies dans l'Univers (E.M. Huff, SDSS-III, South Pole Telescope, Z. Rostomian)

4) Image du quasar HE0435-1223 démultiplié 4 fois par lentille gravitationnelle, utilisé par H0LiCOW pour evaluer la constante de Hubble (ESA/Hubble, NASA, Suyu et al)

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