Il
y a tout juste une semaine, je vous parlais du processus de capture rapide de neutrons (le
« r-process »), à l’origine de nombreux éléments lourds qui composent
la Terre. Alors que le phénomène classiquement considéré aujourd’hui pour
produire ces captures neutroniques rapides est la fusion de deux étoiles à
neutrons, impliquant comme je le rappelais la présence d’un tel cataclysme à
proximité du Soleil peu de temps avant qu’il naisse, une toute nouvelle étude
qui vient de paraître cette semaine elle aussi dans Nature apporte un nouvel éclairage sur l’origine possible de cette
nucléosynthèse par r-process : les
fusions d’étoiles à neutrons n’entreraient en jeu que dans 20% des cas, 80%
pourraient provenir en fait de collapsars,
des effondrements gravitationnels d’étoiles très massives en rotation rapide,
qui mènent à des supernovas à bouffée de rayons gamma (ou hypernovas).
On se souvient que l’analyse de la kilonova associée à la fusion d’étoiles à neutrons observée le 17 août 2017 avait montré la présence d’un disque d’accrétion formé autour du trou noir nouveau-né qui devait être la source dominante des éléments lourds produits par capture rapide de neutrons dans le cataclysme. Or, des disques d’accrétion similaires doivent aussi se former dans les collapsars (qui correspondent au phénomène d’effondrement gravitationnel brutal d’une étoile très massive (plus de 30 masses solaires) en rotation rapide. Ces collapsars vont produire très vite une supernova et la création directe d’un trou noir, accompagné par une bouffée de rayons gamma collimatée de longue durée (une GRB longue).
Les
collapsars ont ainsi naturellement été soupçonnés de produire de nombreux
éléments lourds par le r-process. Daniel Siegel (Columbia University) et ses
collègues ont donc cherché à vérifier à quel niveau les collapsars pouvaient
participer à la production d’éléments lourds, et ils ont une des surprises. Ils
ont effectué des simulations complexes du collapse d’étoiles massives (de la magnétohydrodynamique
relativiste en 3D avec refroidissement neutrino), en faisant varier la masse du
disque d’accrétion afin d’évaluer la quantité d’éléments de nucléosynthèse qui
y est produite, notamment par capture neutronique rapide.
Les
chercheurs trouvent que la quantité d’éléments lourds produits par r-process,
qui est éjectée du disque d’accrétion formé autour du trou noir au cours de
l’explosion de la supernova qui suit
immédiatement, est suffisamment importante pour expliquer la
quasi-totalité des éléments lourds rencontrés partout dans l’Univers. Ils
montrent que la rareté de ce phénomène de collapsar, par rapport aux phénomènes
de fusion d’étoiles à neutron, est compensée par la plus grande quantité de
noyaux lourds produite. La proportion que Siegel et ses collaborateurs
calculent vaut 80%. Les collapsars pourraient être responsables de 80% des
éléments lourds de la table périodique de Mendeleiev, contre seulement 20% pour
les fusions d’étoiles à neutrons…
Comme
les collapsars apparaissent surtout parmi les premières générations d’étoiles,
la trouvaille de Siegel et ses collaborateurs trouve une explication naturelle
à l’observation mal comprise de la présence d’étoiles de notre Galaxie qui sont
pauvres en métaux mais très enrichies en éléments lourds comme l’europium. On
peut observer par exemple une certaine augmentation de l’abondance relative de
l’europium par rapport au fer quand la métallicité augmente (un indicateur du
temps via les générations d’étoiles successives), mais cette augmentation dans
le temps, d’après les spécialistes, est incohérente avec une origine de type
fusion d’étoiles à neutrons, dont le nombre est censé diminuer comme l’inverse
de la durée. Les astrophysiciens américains montrent qu’une population de
collapsars peut beaucoup mieux expliquer les ratios europium/fer qui sont
observés en fonction de l’âge des étoiles.
Enfin,
une autre observation vient encore conforter le résultat des chercheurs américains.
Elle concerne la galaxie naine Reticulum II. Cette galaxie montre des signes
évidents qu’elle a été « polluée » par des éléments lourds tôt dans
son histoire par une source à la fois rare et intense, des éléments typiques du
r-process. Mais la présence de couples d’étoiles à neutrons est assez peu
probable dans des galaxies aussi minuscules, car les supernovas qui ont donné
naissance à ces étoiles à neutrons auraient dû leur apporter une impulsion
initiale très faible (pour l’une et pour l’autre) afin qu’elles puissent rester
liées gravitationnellement, ce qui est moins le cas dans une grosse galaxie
très peuplée. Un autre élément improbable concerne l’échelle de temps associée :
pour que les éléments lourds de Reticulum II aient été produits par une fusion
d’étoiles à neutrons, celles-ci auraient dû coalescer très vite, en moins de
100 millions d’années, l’échelle de temps de formation des étoiles. Improbable.
A contrario, les collapsars apparaissent chez des étoiles très massives qui ont
une durée de vie très courte, donc seulement quelques millions d’années après
leur naissance, ce qui colle beaucoup mieux.
Cette
étude remet donc en cause la conclusion de l’étude parue la semaine dernière
sur l’origine des éléments lourds de notre système solaire. Etant fondée sur le
calcul de la probabilité d’apparition d’une fusion d’étoiles à neutrons à
proximité de la nébuleuse proto-solaire en inférant que les éléments lourds
étaient nécessairement produits par ce cataclysme, s’il faut le remplacer par
une supernova à bouffée de rayons gamma et son collapsar, la datation resterait
bien sûr la même, mais la distance à notre nébuleuse primitive qui a été
calculée en serait fortement augmentée…
Source
Collapsars as a major source of r-process elements
Daniel M. Siegel, Jennifer Barnes & Brian D.
Metzger
Nature volume
569, pages241–244 (9 may 2019)
Illustration
Vue
d’artiste d’un collapsar (NASA / SkyWorks Digital)
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