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jeudi 17 octobre 2019

Les magnétars issus de fusions d'étoiles massives


D’où vient le champ magnétique si intense de ces étoiles à neutrons hors normes qu’on appelle des magnétars ? Une équipe d’astrophysiciens allemands vient peut-être de trouver une explication grâce à des simulations de magnétohydrodynamique de la fusion de couples d’étoiles massives. Une étude parue dans Nature.




Environ 10% des étoiles massives (qui ont une masse de plus de 1,5 masses solaires) possèdent des champs magnétiques de surface très intenses. Or il a été prédit il y a quelques années que des fusions d'étoiles de la séquence principale pouvaient produire de tels champs magnétiques intenses. Et il se trouve que 10%, c'est aussi la fraction estimée d'étoiles massives qui seraient issues de fusion. 
L'hypothèse d'un lien entre les deux est par ailleurs renforcée par l'absence d'étoiles très magnétisées dans les couples binaires rapprochés. 
Fabian Schneider (Zentrum für Astronomie der Universität Heidelberg) et ses collaborateurs ont donc décidé de creuser cette hypothèse sur l'origine des étoiles massives fortement magnétisées grâce à des simulations de magnétohydrodynamique à trois dimensions, des simulations qui modélisent les interactions des champs magnétiques en association avec les mouvements de matière, le tout dans les environnements très particuliers que sont les plasmas des étoiles en interaction gravitationnelle.
Ils ont simulé la fusion d'un couple d'étoiles de 9 et 8 masses solaires en train de consumer leur coeur d'hydrogène et âgées de 9 millions d'années avec un code nommé AREPO. Ils ont fait en sorte que l'étoile résultante puisse ressembler  à τ Scorpii, qui a une masse de 17 Mʘ avec des étoiles initiales qui ont l'âge de celles de l'association Upper Scorpius où se trouve τ Scorpii.

Les chercheurs parviennent à reconstruire des champs magnétiques très intenses en faisant fusionner leur deux étoiles numériques et l'étoile résultante apparaît bien plus jeune et plus bleue que des étoiles du même âge.
Au moment du contact entre les deux étoiles, les chercheurs observent une phase dynamique de transfert de masse avec un taux très élevé montant jusqu'à 17 Mʘ par an, qui va de l'étoile la plus massive, l'étoile primaire, vers l'étoile la moins massive, l'étoile secondaire. Le transfert de masse emporte du moment angulaire et accélère la coalescence. Le flux d'accrétion de matière s'écrase sur la surface de l'étoile secondaire et c'est dans ce flux d'accrétion qui s'étend sur presqu'un rayon solaire que le champ magnétique se retrouve fortement amplifié. L'intensité du champ magnétique sature  dans la simulation à une valeur de 108 Gauss, ce qui correspond à une amplification de l'énergie magnétique par un facteur 1018!
Schneider et ses collaborateurs montrent que lorsque l'enveloppe de l'étoile primaire est déchirée autour de l'étoile secondaire et que les deux coeurs fusionnent, des vortex se forment à l'interface des deux anciens coeurs. Ces vortex contribuent de manière décisive à l'amplification du champ magnétique.  Dans le résultat de la fusion stellaire, le champ magnétique amplifié est étendu à travers toute l'étoile massive et donc également dans son coeur. Les chercheurs allemands calculent que la pression magnétique atteint 30% de la pression du gaz dans certaines régions de la "nouvelle" étoile, alors qu'elle n'en représentait qu'environ 1% dans les deux étoiles avant fusion. 
Leur résultat correspond très bien au cas de τ Scorpii qui est une trainarde bleue magnétisée dont l'âge apparent est inférieur à 5 millions d'années alors qu'elle doit être née il y a environ 9 millions d'années comme les autres étoiles de l'association de Upper Scorpius.  
Il faut savoir en outre qu'une forte amplification de champ magnétique est également observée dans la coalescence de deux étoiles naines blanches, dans la fusion de deux étoiles à neutrons et dans la phase d'enveloppe commune lorsqu'une étoile spirale à l'intérieur de l'enveloppe d'une compagne géante.
Lorsque Schneider et ses collègues regardent de plus près la valeur du flux magnétique au niveau du coeur de l'étoile résultante, à la fin de leur simulation de MHD, c'est à dire là où on retrouve une masse de 1,5 Mʘ, ils obtiennent 4 × 1028 G cm2, ce qui leur permet d'estimer ce qui se passerait si l'étoile s'effondre en supernova pour laisser derrière elle une étoile à neutrons de 10 km de rayon. En faisant l'hypothèse d'une conservation du flux magnétique, ils montrent que le champ magnétique à la surface de l'étoile à neutrons serait de 1016 G. Un tel champ magnétique doit affecter fortement le processus explosif de la supernova. La valeur trouvée est à rapprocher de la valeur du champ magnétique qui est estimé dans les magnétars, comprise entre 1013 et 1015 G, donc en bon accord (un facteur 10 ici est un bon accord).  

Le processus de fusion de deux étoiles massives pourrait donc in fine expliquer l'origine des magnétars. Le taux de naissance des magnétars dans notre galaxie est estimé à 0,3 par siècle et celui des supernovas à effondrement de coeur à 2 par siècle. Cela suggère que 15% des supernovas à effondrement de coeur produisent un magnétar, un chiffre très proche du 10% d'étoiles massives fortement magnétisées, très probablement issues de la fusion de deux étoiles.


Source

Stellar mergers as the origin of magnetic massive stars
Fabian Schneider et al.
Nature volume 574, pages211–214 (9 october 2019)


Illustration

Résultat de la simulation des chercheurs allemands, coupe dans le plan orbital du couple d'étoiles en train de fusionner, la couleur indique l'intensité du champ magnétique (Schneider, Ohlmann/Max Planck Institüt)

1 commentaire:

  1. Bonjour

    Question d'un béotien: vous dites que le transfert de masse s'effectue de la l'étoile la plus massive vers la moins massive (même si la différence n'est ici que d'une masse solaire). J'aurais intuitivement pensé le contraire. Pourriez vous m'expliquer la raison du sens de ce transfert.

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