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lundi 6 avril 2020

Anomalie chimique du Soleil : Jupiter en cause


La composition du Soleil est différente de celle de la majorité des étoiles similaires en température, gravité de surface et métallicité. Les éléments réfractaires (qui composent par ailleurs les planètes rocheuses) y sont notamment 10% moins abondants que dans ces autres étoiles, ce qui n'est pas le cas des éléments plus volatils. Deux astrophysiciens britanniques proposent une solution pour expliquer ce phénomène : tout serait la faute de Jupiter... Une étude parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.



Le fait que le Soleil soit déplété en éléments réfractaires (des éléments qui se condensent à plus de 1500° comme l'Aluminium, le Scandium, le Calcium, le Titane, le Thorium ou encore des terres rares) fait tout de suite penser à une ségrégation des éléments chimiques dans le nuage protosolaire qui a donné naissance au système solaire. La formation des premières planètes aurait pu retenir ces éléments réfractaires dans leur propre croûte rocheuse et donc empêcher qu'ils se retrouvent absorbés par le Soleil.
Mais des récentes découvertes ont montré que des étoiles similaires au Soleil possèdent fréquemment des planètes de type "super-Terre" qui peuvent contenir bien plus d'éléments réfractaires que la Terre, balayant cette première explication trop simple.  Richard Booth (Cambridge University)  et James Owen (Imperial College de Londres) proposent donc un tout autre mécanisme pour expliquer la dépletion relative du Soleil en éléments réfractaires. Les deux astrophysiciens  se sont intéressés à la formation des planètes géantes. Ils ont créé un modèle de disque protosolaire composé de gaz d'éléments volatiles (typiquement du carbone et de l'oxygène) et de poussières réfractaires  et il l'ont laissé évoluer dans le temps. Ils ont étudiés plusieurs cas différents : avec ou sans formation de planètes géantes. 
Ce que Owen et Booth trouvent dans leurs données de simulation, c'est qu'une planète géante qui se se serait formée dans le premier million d'année comme Jupiter a pour effet de créer un gap, un interstice, dans le disque protoplanétaire, qui "piège" la poussière à l'extérieur de l'orbite de la planète, l'empêchant d'être accrétée par le Soleil. 
Selon Owen et Booth, si la planète géante se forme suffisamment tôt alors que le disque protoplanétaire est encore massif, la planète peut piéger à l'extérieur de son orbite une masse de poussière plus de 100 fois la masse de la Terre. Et ils observent également que, à l'inverse, les éléments volatils ne sont pas affectés par cet interstice. Le Soleil absorbe donc plus de gaz que de poussières réfractaires, ce qui accentue sa déplétion relative en éléments réfractaires. 
Les deux chercheurs britanniques calculent que ce mécanisme peut expliquer très facilement l'écart de 10% qui est observé, la valeur qu'ils obtiennent pouvant atteindre 15%, alors que la séquestration simple par la formation des planètes rocheuses ne peut expliquer qu'une dépletion de 2 à 3%. 

Et l'étude statistique des cas indique que l'incidence des étoiles qui montrent une dépletion en éléments réfractaires est cohérente à la fois avec le taux de planètes géantes qui ont été découvertes et avec des disques de poussière et de gaz en voie de transition qui indiquent des phénomènes de dépletion de certains éléments en cours d'accrétion sur l'étoile naissante. Les plus fortes déplétions en éléments réfractaires semblent favorisées dans les disques massifs et de longue durée de vie, qui se trouvent être aussi très favorables pour la formation des planètes géantes.
Il reste maintenant aux astrophysiciens à améliorer leur modèle pour prendre en compte la condensation des éléments pris un par un. Premièrement modéliser l'évolution chimique  et le transport des éléments réfractaires et volatiles dans un disque protoplanétaire en évolution, et deuxièmement modéliser les interactions entre planètes et disque pour mieux contrôler comment différentes espèces peuvent entrer dans le flux de gaz et traverser l'interstice planétaire ou bien être accrétées par la planète elle-même.

Source

Fingerprints of giant planets in the composition of solar twins
Richard A Booth, James E Owen
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 493, Issue 4, (April 2020)


Illustration

Vue d'artiste d'une jeune Jupiter (ESO/L. Calçada (ESO/L. Calçada)

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