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jeudi 23 avril 2020

La naine blanche, le trou noir et les rayons X périodiques


En septembre 2019, une équipe internationale publiait dans Nature une étude décrivant une émission de rayons X mous quasi-périodique à très courte période, seulement 9h, en provenance du trou noir supermassif d’une petite galaxie nommée GSN 069 (voir ici). Aujourd’hui, un astrophysicien britannique propose une solution pour cette source énigmatique. Il publie son étude dans les Monthly Notices of The Royal Astronomical Society.




Ce sont les télescopes spatiaux Chandra et XMM-Newton, dédiés à la détection des rayons X qui ont permis la mise en évidence de ce qui ressemble à une éruption de rayons X toutes les 9h à proximité immédiate du trou noir de GSN 069. Ce trou noir fait partie des plus petits trous noirs supermassifs connus : « seulement » 400 000 masses solaires, 10 fois plus petit que notre Sgr A*. L’équipe de Giovanni Miniutti n’avait pas trouvé d’explication très convaincante à leur observation en septembre dernier, proposant des processus de destruction d’étoile avec des résidus distribués de façon inhomogène... Andrew King (Université de Leicester) s’est donc emparé de ces données pour essayer de trouver une explication plus pertinente.
La galaxie GSN 069 se trouve à une distance de 250 millions d’années-lumière. Et la source de rayons X intermittente qui est détectée semble s’étendre sur une distance qui est très proche du rayon gravitationnel du trou noir (son horizon des événements), calculé à partir de sa masse. L’émission de rayons X suit un spectre de corps noir dont la température est de 1 million de Kelvin et montre un rayon de 900 000 km. Or le rayon de l’horizon d’un trou noir (en rotation) de 400 000 masses solaires vaut 600 000 km ! L’émission de rayons X périodique avec une période de 9h est donc localisée à seulement 1,5 fois le rayon de l’horizon du trou noir, très probablement au niveau du disque d’accrétion de matière qui l’entoure. Mais pourquoi cette périodicité de 9 heures ?

Le scénario que propose Andrew King est le suivant : une étoile géante rouge aurait été capturée dans le champ gravitationnel du trou noir supermassif. Les couches externes de la géante rouge auraient été rapidement arrachées pour être accrétées par le trou noir, laissant derrière elles le cœur de l’étoile géante sous la forme d’une naine blanche composée principalement d’hélium.
Cette naine blanche qui n’aurait plus qu’une masse égale à 0,21 masse solaire serait positionnée sur une orbite très elliptique autour du trou noir, avec une excentricité de 0,94. L’interprétation des données des rayons X périodiques que fait Andrew King est que l’étoile orbiterait autour du trou noir en 9h et passe extrêmement près de son horizon lors de son périastre, à 15 fois le rayon gravitationnel : 9 millions de km (24 fois la distance Terre-Lune).

Le passage au plus près dure très peu de temps, la vitesse de l’étoile étant alors très élevée. Et à chaque passage de la naine blanche à son périastre, le champ gravitationnel du trou noir arrache une petite quantité de matière de la naine blanche. Cette matière entrerait alors en contact avec le disque d’accrétion qui se trouve autour du trou noir et cela produirait à chaque fois un fort échauffement se traduisant par une émission de rayons X.
D’après King, le couple doit émettre également des ondes gravitationnelles au moment où ils sont le plus proche l’un de l’autre. Et l’astrophysicien britannique prédit quel devrait être le destin de cette naine blanche autour de ce gros trou noir. Au fur et à mesure qu’elle s’allège, la naine blanche doit gonfler un peu. Parallèlement, étant moins massive, elle devra s’éloigner un peu du trou noir, sa trajectoire elliptique s’élargissant pour devenir un peu plus circulaire. Le transfert de masse devrait donc diminuer dans le futur. Mais l’étoile naine blanche restera toujours suffisamment proche du trou noir pour que ce dernier lui arrache de la matière pendant le restant de sa vie. King calcule qu’à très très long terme (des milliers de milliards d’années), la naine blanche deviendra une planète de la masse de Jupiter, dépouillée des couches d’hélium qui lui restaient.

Les astrophysiciens ont déjà trouvé de nombreux cas d’étoiles qui, s’étant approchées trop près d’un trou noir massif, ont été détruites par les forces de marée gravitationnelle qu’il produit, en émettant au passage un feu d’artifice de rayonnements. Mais les cas où l’étoile n’est pas entièrement détruite sont extrêmement rares. Des trajectoires rasantes comme celle qui serait à l’œuvre dans GSN 069 pourraient néanmoins être plus fréquentes que des trajectoires menant à des destructions maréales, elles seraient simplement mal détectées, selon King. Par exemple, pour une étoile survivante un peu plus massive que cette petite naine, sa période orbitale serait trop longue pour être détectée par nos télescopes qui devraient être pointés de très longues durées sur le même objet pour déceler une émission périodique. Et dans le cas de trous noirs plus massifs encore, ceux-ci pourraient directement avaler l’étoile sans la détruire, la faisant brusquement disparaître.
Andrew King estime que le transfert de masse d’étoiles proches, voire l’absorption quand elles ne sont pas détruites, peut être la voie principale de grossissement pour les trous noirs du type de GSN 069, de quelques centaines de milliers de masses solaires.  

Bien évidemment, comme nous l’avons vu très récemment encore avec l’étoile S2 autour de notre trou noir supermassif Sgr A*, les étoiles très proches d’un trou noir ont une orbite qui est régie par la Relativité Générale, et la naine blanche dépecée par GSN 069* n’est pas en reste. King calcule que la précession relativiste de l’orbite de la naine blanche doit être telle que l’ellipse de l’orbite fait un tour complet du trou noir en seulement environ 2 jours ! (l’axe de l’ellipse se décale d’un angle de 2pi/5 par tour…). En d’autres termes, après 5 rotations, l’ellipse se retrouve au même endroit autour du trou noir… Et ce qui est passionnant, c’est que l’astronome britannique montre que cette précession relativiste doit se voir dans les données de rayons X, avec une périodicité dans le signal qui viendrait se superposer au signal périodique de 9h qui a été observé par XMM-Newton et Chandra. Mais pour cela, il faudra observer GSN 069 sur une longue durée en continu (plusieurs heures d’affilée), ce qui n’a pas été fait par les télescopes spatiaux pour le moment. Cela permettrait de vérifier si ce scénario est correct.

Source

GSN 069 – A tidal disruption near miss
Andrew King
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 493, Issue 1, March 2020, https://doi.org/10.1093/mnrasl/slaa020


Illustration

Vue d'artiste de la trajectoire de l'étoile naine blanche autour du trou noir supermassf de GSN 069 donnant lieu à une émission de rayons X à chaque passage au plus proche (NASA/CXC/M. Weiss)

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    "le rayon de l’horizon d’un trou noir (en rotation) de 400 000 masses solaires vaut 60 000 km". Le rayon de Schwarzschild d'un TN, Rs=2GM/c² est, en Km, d'environ 3M/Mo, soit pour 400 000 Mo Rs=1 200 000 Km. Pour les TN en rotation, le rayon de Kerr est compris entre 1/2 Rs (TN extrème en rotation maxi) et Rs (rotation nulle); donc ici entre 600 000 et 1 200 000 Km. Il faut enlever un 0 à la masse, ou en ajouter un aux rayons et distances...

    Sur le site de Chandra, la masse de GSN 069 est bien notée 400 000 Mo ; Le Rk serait donc d'au moins 600 000 Km, le périastre de la NB 9 millions de Km ?

    Ceci n'enlève rien à l’intérêt de l'article ; je note en particulier un nouveau type d'astre (à ma connaissance), la naine blanche à hélium.

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  2. Merci Pascal de vérifier mes chiffres ! Effectivement, j'ai fait une belle coquille d'un facteur 10!.. De la faute du papier de King qui donne le rayon gravitationnel en cm... Je n'est pas vérifié par la masse, erreur de a part. Vous aurez compris qu'ici on considère une rotation maximale, donc R=GM/c².
    Je vais corriger le fichier son aussi. En revanche pour youtube...

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Merci !