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jeudi 20 août 2020

La naine blanche qui a survécu à sa propre explosion


SDSS J1240+6710 est une étoile naine blanche unique en son genre. Non seulement elle se déplace à une vitesse très élevée (250 km/s), mais en plus elle est toute petite et possède une composition très atypique... Cette naine blanche aurait survécu à une supernova foirée. Une étude parue dans les Monthly Notices of the Royal Astronomy.


Les naines blanches, rappelons-le, sont les coeurs qui subsistent à la fin de vie des étoiles peu massives après qu'elles se sont débarrassées de l'enveloppe qui leur restait. La majorité des étoiles naines blanches sont formées d'un mélange Carbone/Oxygène (C/O), les autres étant constituées d'Oxygène et de Néon (O/Ne). Elles possèdent généralement une fine atmosphère d'hydrogène et d'hélium où l'on peut parfois rencontrer les éléments constituant leur coeur. La métallicité des naines blanches ne va donc jamais au delà de la deuxième ligne de la table périodique de Mendeleïev, soit un numéro atomique égal à 10 (le néon justement).
SDSS J1240+6710 a été découverte en 2015, située à 1432 années-lumière dans la constellation du Dragon. Elle s'est très vite singularisée par les éléments qu'elle arborait : une atmosphère très riche en oxygène avec des traces de néon, mais aussi du magnésium (Z=12) et du silicium (Z=14).

Boris Gaensicke (Université de Warwick) et ses collaborateurs l'ont étudiée avec le télescope Hubble et son spectrographe COS (Cosmic Origin Spectrograph) pour tenter d'en savoir plus sur cette étrange naine blanche si petite et si rapide. Et ce qu'observent les astrophysiciens dans le spectre de SDSS J1240+6710, en plus des premiers éléments identifiés, ce sont d'autres éléments : le carbone, le sodium (Z=11) et l'aluminium (Z=13).
Ces éléments n'ont rien à faire dans l'atmosphère d'une naine blanche. Ce sont les premiers éléments qui sont produits lors des premières réactions thermonucléaires d'une supernova. Et c'est à partir de ces premiers éléments que sont produits ensuite très rapidement les éléments du groupe du fer : fer, nickel, chrome, titane et manganèse. Or, il n'y a pas la moindre trace de ces éléments lourds dans les spectres de SDSS J1240+6710... 
A partir de ces observations, les astrophysiciens estiment que la naine blanche aurait vécu le tout début d'une explosion en supernova, l'oxygène aurait fusionné, mais partiellement seulement. La fusion du silicium n'aurait pas été déclenchée.
Les réactions thermonucléaires se seraient arrêtées pour une raison inconnue, et la supernova n'aurait pas eu lieu, au sens où on l'entend pour une supernova de type Ia, avec la disparition complète de la naine.
Il se peut aussi, selon Gaensicke  et ses collaborateurs qu'elle ait vécu en couple avec une autre étoile et que l'allumage thermonucléaire asymétrique ait très vite éjecté les deux compagnes dans des directions opposées, ce qui expliquerait la grande vitesse de SDSS J1240+6710 ainsi que sa petite masse. Parce qu'il s'agirait tout de même d'une sorte de supernova, mais partielle, avec une grosse perte de masse de la naine blanche.
On ne parle pas de supernova de type Ia dans ce cas atypique. Il s'agirait d'une supernova "ratée", équivalent à un nouveau type, d'autant que sans le nickel-56 radioactif qui est à l'origine de la luminosité rémanente des supernovas Ia, cette supernova partielle a dû être très rapide et ressembler à un flash de lumière très bref, et donc très difficile à observer.

C'est en modélisant la distribution spectrale et en adoptant la valeur de distance calculée par la parallaxe avec Gaia que Gaensicke et ses collaborateurs peuvent calculer la masse de ce résidu de naine blanche : 0,41 ± 0,05 M⊙. Et c'est aussi grâce aux données de Gaia qu'a été mesurée sa vitesse. Celle-ci vaut 250 km/s dans le référentiel galactique, mais dans la direction opposée à la rotation du disque galactique, ce qui lui fait une vitesse relative à nous de 466 ± 30 km/s ! Les chercheurs estiment que SDSS J1240+6710 aurait perdu environ la moitié de sa masse dans le cataclysme qui l'a propulsée à grande vitesse.
Certaines étoiles peuvent survivre à leur fin annoncée, et on ne sait pas pourquoi...

Source

SDSS J124043.01+671034.68: the partially burned remnant of a low-mass white dwarf that underwent thermonuclear ignition? 
Boris T. Gänsicke et al. 
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 496, Issue 4, August 2020


Illustration

Vue d'artiste de la supernova ratée (University of Warwick/Mark Garlick)

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Ne peut-on pas rapprocher le cas de SDSS J1240+6710 avec celui des SN type Iax dont la détonation du carbone suite à l'accrétion d’Hélium aboutit à une éjection partielle , asymétrique et à un résidu naine blanche à haute vélocité et comportant des éléments lourds ; sauf que dans le dernier cas, les réactions thermonucléaires vont jusqu'au fer, ensuite réaccrété (naine blanche à cœur de fer) alors qu'ils ne dépassent pas le silicium dans le premier.

    Finalement n'existe-t-il pas une sorte de continuum, en fonction de la masse concernée par l'explosion thermonucléaire (et de sa composition) entre les novæ (fusion très partielle d'hydrogène laissant la naine blanche intacte) et les SN Ia classiques (fusion du cœur CO jusqu'au fer et explosion totale) dont SDSS J1240+6710 et les SN Iax seraient des stades intermédiaires, avec comme mécanisme commun l'accrétion sur une naine blanche ?

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  2. Oui, on peut parler de continuum. L'ampleur de la fusion peut être très variable, ce qui produit les différents cas que nous observons (et que nous n'avons évidemment pas encore tous pu observer...)

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Merci !