Des astronomes viennent de découvrir que la croûte glacée de Europe, satellite de Jupiter qui abrite un océan liquide, s'est complètement réorientée en pivotant de près de 70° par rapport à son axe de rotation il y a seulement quelques millions d'années. Les pôles actuels de Europe ne sont pas du tout là où ils étaient il y a quelques millions d'années... Une étude parue dans Geophysical Research Letters.
Paul Shenk (Lunar and Planetary Institute, Universities Space Research Association, Houston) et ses collaborateurs ont analysé des vieilles images de Europe enregistrées par les sondes Voyager dans les années 1980 et Galileo entre 1995 et 2003. Ils parviennent à déterminer que les motifs circulaires à grande échelle qui sont observés sur la croûte de glace du satellite (des dépressions concentriques circulaires) se sont formés à la faveur d'une réorientation importante de l'ensemble de la calotte, un processus que les spécialistes nomment une "migration polaire vraie ".
C'est la construction d'une carte topographique globale de Europe avec une résolution de 200 m en couleur, nécessaire pour préparer le retour vers Europe, qui a mené les chercheurs à comprendre que le système de fractures profondes de 200 m qui sont visibles à la surface faisait partie des motifs circulaires identifiés précédemment, signe d'une migration polaire. Ces fissures concentriques font entre 100 et 300 km de longueur pour une largeur de 1 à 2 km, distribuées sur des zones étendues de 10 à 20 km.
La meilleure solution permettant d'expliquer les trois motifs circulaires observés correspond à un axe de rotation initial (que les planétologues appelle le paléopôle) situé à 19°Nord, 75°Est.
Un tel mouvement de la couche glacée n'est évidemment possible que si la couche de glace n'est pas liée à un noyau rocheux, mais si elle flotte sur un liquide.
C'est parce que les fractures observées, associées à ce mouvement à grande échelle, traversent différents types de terrain sur la surface de Europe, incluant des ejecta du jeune cratère Manannan, un cratère de 23 km de diamètre, que les chercheurs en déduisent que l'événement a eu lieu très récemment dans l'histoire du satellite Jovien. Les planétologues savent en effet que le cratère Manannan est le deuxième plus jeune cratère de Europe derrière le dénommé Pwyll. Il le savent d'après l'observation de la préservation de leurs rayons brillants et sombres qui tracent l'impact dont ils sont la marque résiduelle.
Les chercheurs pensent que la croûte de glace a pu s'épaissir par endroits au cours du temps, du fait de variations spatiales des effets de marée et de l'insolation, ce qui pourrait avoir pour conséquence dans certains cas une croûte instable vis à vis de la rotation et donc fournissant une origine possible pour le phénomène de migration polaire.
Cette découverte a pour conséquence, selon les planétologues, que l'histoire tectonique de Europe devrait être revue de fond en comble. Les propriétés de la couche de glace qui sont déduites de cette étude pourront heureusement être validées ou invalidées par la sonde Europa Clipper qui devrait être lancée par la NASA dans cinq ans. Le mouvement de la croûte doit avoir produit une distribution asymétrique des cratères ainsi que des perturbations gravitationnelles et de forme sur la structure interne de Europe qui seront toutes deux mesurables par la sonde.
Les planétologues prédisent également que la réorientation récente devrait induire un décalage de la variation d'épaisseur par rapport au motif attendu en cas d'équilibre. En effet, l'échelle de temps pour que la croûte de glace se réajuste en termes thermiques et d'épaisseur à la suite d'un événement de migration polaire vraie est proportionnelle à l'épaisseur de glace au carré et inversement proportionnelle à la diffusivité thermique. Pour une épaisseur de 20 km, cette échelle de temps vaut 12 millions d'années. Or l'âge moyen de la surface d'Europe est estimé valoir 50 millions d'années. La distribution de l'épaisseur de glace sur Europe doit donc encore représenter son état d'avant la grosse rotation de la croûte si l'analyse de Shenk et collaborateurs est correcte.
Là encore, Europa Clipper pourra le confirmer sans problème grâce à ses instruments de mesure dédiés.
Source
A Very Young Age for True Polar Wander on Europa from Related Fracturing
Schenk P., Matsuyama I., and Nimmo F. (2020)
Geophysical research letters, e2020GL088364
Illustration
Gros plan de la surface de Europe montrant des éléments caractéristiques signant une migration polaire (Shenk et al.)
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