Un amas globulaire extrêmement pauvre en éléments lourds a été caractérisé dans la galaxie d’Andromède. RBC EXT8 apparaît beaucoup trop pauvre en « métaux » pour la masse qu’il arbore, de quoi retravailler la théorie de la formation de ces très vieux groupes denses d’étoiles. Une étude parue dans Science.
L’amas globulaire RBC EXT8 est l’un des amas globulaires les plus brillants et les plus massifs de la galaxie d’Andromède (M31), il orbite autour de cette galaxie jumelle de la Voie Lactée assez loin, à 88 000 années-lumière de son centre. M31 se situant rappelons-le à 2,5 millions d’années-lumière de la Voie Lactée.
Comme les amas globulaires sont très majoritairement peuplés d’étoiles très vieilles qui peuvent avoir plus de 10 milliards d’années, on ne s’attend pas à voir une forte métallicité, c’est-à-dire une forte abondance d’éléments lourds (plus lourds que l’hélium) dans les spectres photosphériques de ces étoiles. En effet, ces très vieilles étoiles se sont formées alors que peu d’étoiles massives avaient déjà explosé et dispersé leurs « métaux » dans leur voisinage. La métallicité est le plus souvent évaluée à partir de l’abondance en fer par rapport à l’abondance en hydrogène. On la définit par le ratio d’abondance du fer par rapport à l’hydrogène, mais relativement à une référence qui est le ratio mesuré sur le Soleil, et on l’exprime en échelle logarithmique. Ainsi, une métallicité [Fe/H]= -1 signifie que l’abondance en fer par rapport à l’hydrogène est 10 fois plus faible (10-1) que celle du Soleil. Une valeur [Fe/H]= 2 signifie que ce ratio d’abondance et 100 fois plus élevé (102) que la valeur solaire.
Les amas globulaires doivent certes avoir une métallicité faible du fait de leur grand âge, mais de nombreuses observations sur les amas globulaires de notre galaxie et d’autres galaxies suggèrent qu’il existe un pallier en dessous duquel les amas globulaires ne peuvent pas descendre. Ce pallier de métallicité se situe à une valeur [Fe/H]= -2,5 (soit 300 fois moins que la valeur solaire).
Søren Larsen (Radbout University) et ses collaborateurs ont étudié EXT8 un peu par hasard avec le télescope Keck à Hawaï (ils devaient étudier au départ des amas globulaires de la galaxie M33), sous l’angle de la spectroscopie à haute résolution, de manière à pouvoir déceler toutes les raies spécifiques à de nombreux éléments chimiques que les astronomes appellent des métaux, c’est-à-dire les éléments plus lourds que l’hélium qui sont produits principalement dans le cœur des étoiles et dispersés dans le milieu à la fin de leur vie.
Les astrophysiciens ne se contentent pas de mesurer les raies du fer et de l’hydrogène mais aussi d’autres éléments, relatifs au fer, comme le magnésium ou le sodium. Ce qu’ils trouvent est déconcertant, puisque la valeur de métallicité de cet amas vaut -2,91 ± 0,04. Elle se trouve bien en deça de la valeur pallier communément adoptée (-2,91 correspond à une valeur 800 fois inférieure à la valeur solaire…). Et l’autre surprise vient de la masse de EXT8, car il fait partie des amas globulaires les plus massifs avec 1,14 millions de masses solaires, alors que « normalement » plus un amas (ou une structure stellaire en général) est massif, plus sa métallicité doit être forte. On comprend aisément pourquoi : plus il a d’étoiles initialement dans un amas, plus il y a d’étoiles massives susceptibles d’exploser et de disséminer leurs éléments lourds ensuite réutilisés pour former d’autres étoiles. Les amas massifs ont également une meilleure efficacité à conserver leurs étoiles grâce à leur gravité propre. Ce sont ces mêmes arguments qui peuvent expliquer l’existence d’un pallier inférieur pour la valeur de métallicité : les amas de faible masse à l’origine, donc finalement moins « métalliques », se seraient déjà évaporés dans leur galaxie et ne seraient plus visibles aujourd’hui.
Mais voilà que le résultat obtenu sur EXT8 vient chambouler cette image sans doute trop simpliste. Il est beaucoup trop massif pour avoir une métallicité aussi faible. Larsen et son équipe mesurent également l’abondance en magnésium relative au fer et trouvent [Mg/Fe] = -0,35 ± 0,05, ce qui veut dire que le magnésium est encore moins abondant que le fer par rapport à l’hydrogène (par rapport au cas du Soleil toujours). Or le magnésium fait partie des éléments qui sont produits via le processus α dans la nucléosynthèse stellaire. Les autres éléments qui entrent en jeu dans ce processus sont le silicium, le titane et le calcium. Mais les chercheurs mesurent également les ratios d’abondance de ces trois éléments, et ils sont au contraire positifs : [Si/Fe] = +0,65, [Ca/Fe] = +0,35 et [Ti/Fe] = +0,19… Il y a donc environ relativement deux fois plus de ces éléments que de fer dans EXT8. Un tel enrichissement en éléments α est normal pour une population de veilles étoiles qui a connu de nombreuses supernovas à effondrement de cœur, mais l’abondance en magnésium devrait suivre la même voie…
Cette déplétion en magnésium peut peut-être permettre de trouver une piste d’explication à l’anomalie globale de métallicité qui est observée dans cet amas selon Larsen et son équipe. Ils notent en effet que dans notre galaxie existe un amas globulaire nommé NGC 2419, qui se trouve lui aussi à la périphérie du halo galactique, et qui possède des étoiles individuelles avec une abondance relative [Mg/Fe] = -1 alors que d’autres étoiles arborent une valeur très différente de [Mg/Fe] = -0,5. Les spécialistes pensent à partir de ces observations qu’il existe deux populations d’étoiles distinctes dans l’amas globulaire NGC 2419.
Pour EXT8, on ne peut pas détecter les étoiles individuellement, la valeur [Mg/Fe] est donc une moyenne sur tout l’amas, mais pour tester si il n’y aurait pas le même type de sous-populations, Larsen et ses collègues font le calcul et montrent que, en divisant en deux les étoiles de EXT8, 50% ayant une valeur [Mg/Fe] de -1 et l’autre moitié une valeur de +0,3, on peut retrouver la valeur moyenne qui est observée. Il pourrait donc bien y avoir deux populations d’étoiles distinctes dans EXT8…
Dans le paradigme de la formation hiérarchique des galaxies, les amas globulaires pauvres en métaux doivent se former dans les galaxies de faible masse dans l’Univers jeune. Ces petites galaxies fusionnent ensuite entre elles pour former des grandes galaxies. La corrélation qui existe entre masse et métallicité dans les galaxies qui en découle fixe une limite en masse pour les amas globulaires pour une métallicité donnée : Avec la métallicité de EXT8 [Fe/H] = -2,91, ce maximum serait de l’ordre de 105 M☉. Des amas aussi massifs que EXT8 (1,14 106 M☉) et aussi pauvres en métaux doivent donc être extrêmement rares. Les chercheurs font une petite simulation pour estimer cette probabilité : ils trouvent que sur une population de 10 000 amas globulaires de plus de 105 M☉, seulement 0,03% peuvent être plus massifs que 106 M☉ et avoir en même temps une métallicité inférieure à -2,5. Sachant que la galaxie d’Andromède possède environ 500 amas globulaires, si la moitié d’entre eux fait plus de 105 masses solaires, cela voudrait dire que la probabilité de trouver EXT8 serait de 6 à 7%...
Source
An extremely metal-deficient globular cluster in the Andromeda Galaxy
Søren S. Larsen et al.
Science Vol. 370, Issue 6519, (20 Nov 2020:)
https://doi.org/10.1126/science.abb1970
Illustrations
1) EXT 8 dans le halo dela galaxie d'Andromède (ESASKY, CFHT)
2) l'amas globulaire NGC 6441, un des plus massifs de notre galaxie (HUBBLE/ESA AND NASA, G. PIOTTO)
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