Les chercheurs de la collaboration Borexino viennent d'obtenir la première preuve expérimentale de l'existence du cycle de fusions nucléaires CNO (carbone-azote-oxygène) dans le Soleil. Ils ont pu le mettre en évidence grâce à la détection des neutrinos spécifiques qui sont produit dans ce processus. Ils publient leurs résultats dans Nature.
Le cycle CNO est un processus de fusion très minoritaire au sein du Soleil, il ne représente qu'environ 1% de toute l'énergie qu'il produit par fusion nucléaire, et donc les neutrinos qui sont produits lors des réactions de ce cycle ne représentent eux aussi qu'un centième du flux de neutrinos solaires qui nous bombardent en permanence (700 millions sur le total des 60 milliards par centimètre carré par seconde...). Le cycle CNO est en revanche le mécanisme dominant dans les étoiles plus massives et plus chaudes.
Dans le Soleil, la voie principale de fusion nucléaire (la chaîne appelée p-p) implique des noyaux d'hydrogène qui en fusionnant vont former un noyau de deutérium, qui à son tour interagira avec un autre noyau d'hydrogène pour former de l'hélium.
Le cycle CNO, lui, a été compris dès la fin des années 1930 par les physiciens allemands Hans Bethe et Carl Friedrich von Weizsäcker, indépendamment l'un de l'autre. Il implique des réactions nucléaires successives qui via la production d'isotopes de carbone (C), azote (N) et oxygène (O) radioactifs et stables, transforme finalement quatre noyaux d'hydrogène en un noyau d'hélium. Des modèles théoriques prédisaient qu'une petite fraction de l'énergie produite par le Soleil devait l'être par le cycle CNO mais il n'avait encore jamais pu être mis en évidence expérimentalement. C'est désormais chose faite grâce aux neutrinos qu'a détectés Borexino depuis le laboratoire souterrain du Gran Sasso où l'expérience est installée depuis 2007.
Le détecteur est constitué d'une cuve sphérique de 4,25 m de rayon contenant 280 tonnes de scintillateur liquide, bardée de 2212 détecteurs photomultiplicateurs. Lorsqu'un neutrino interagit (rarement) dans le volume de scintillateur par diffusion élastique sur un électron, l'électron de recul ionise le milieu et un petit flash de lumière de scintillation est produit, puis détecté par les photomultiplicateurs. Environ 100 neutrinos par jour peuvent ainsi être détectés par Borexino. Leur énergie est reconstruite à partir de la quantité de photons de scintillation détectés et la position de leur interaction dans le détecteur est déterminée via leurs temps d'arrivée entre les différents détecteurs de lumière.
La détection des neutrinos solaires est un gros challenge dans ce type de détecteur à cause des signaux parasites qui viennent du bruit de fond radioactif, même en site souterrain à l'abri des muons cosmiques.
Le succès de Borexino est le résultat d'une purification radioactive inédite, associée à une sélection drastique des matériaux et des protocoles d'assemblages de très haute propreté. Malgré tous leur efforts, les physiciens ont été encore confrontés à une petite pollution du détecteur en 11C (un élément radioactif β+ d'origine cosmogénique, produit indirectement par les muons cosmiques via des neutrons secondaires) et surtout en 210Bi, un élément radioactif naturel présent partout, dont les électrons de désintégration β- sont très similaires aux reculs d'électrons attendus comme signature d'une interaction de neutrino. Mais les physiciens de Borexino montrent comment ils sont parvenus à contrôler ses bruits de fond pour extraire le vrai signal des neutrinos du cycle CNO.
Depuis ses débuts, Borexino avait bien sûr déjà détecté et caractérisé les neutrinos qui sont produits lors de plusieurs réaction du cycle p-p, mais pour mettre en évidence ceux qui sont produits dans le cycle CNO, il fallait les isoler par leur énergie ce qui revient à trouver une aiguille dans une botte de foin, avec seulement quelques rares événements par jour. Car les neutrinos sont émis avec un spectre en énergie particulier qui dépend de l'élément radioactif dont ils sont issus. Dans le cycle CNO, qui comporte en fait un cycle principal et un cycle secondaire (très minoritaire et qui fait intervenir aussi le fluor), les neutrinos sont produits par trois désintégrations beta plus : celles du 15O, du 13N et du 17F. Ils ont tous une énergie maximale comprise entre 1 MeV et 2 MeV, ce qui les différencie des neutrinos produits dans la chaine pp qui ont une énergie maximale d'un peu plus de 400 keV et de ceux de la désintégration du bore-8 qui peuvent atteindre plus de 10 MeV.
Finalement, les physiciens des astroparticules de Borexino parviennent à isoler dans leur détecteur 7,2 (+3,0 -1,7) neutrinos "CNO" par jour pour 100 tonnes de scintillateur. Connaissant le nombre d'électrons "cibles" présents dans leur détecteur (3,307 ± 0.015 × 1031 e-) et la probabilité d'interaction des neutrinos du cycle CNO sur les électrons, les chercheurs peuvent déduire quel est le flux de ces neutrinos qui nous arrive sur la tête le jour et par les pieds la nuit : 7,0 (+3,0 -2,0) × 108 neutrinos.cm-2.s-1.
Comme dans le cycle CNO, la fusion de l'hydrogène est catalysée par le carbone, l'azote et l'oxygène, le taux de fusion et le flux de neutrinos qui sont produits dans ce processus, sont directement liés à l'abondance de ces éléments "lourds", ces "métaux", dans le coeur du Soleil. La mesure des neutrinos du cycle CNO permet ainsi de sonder de manière unique la métallicité du coeur du Soleil, qui représente en fait sa métallicité lors de sa naissance. Les neutrinos du cycle CNO sont donc une sonde très importante et leur mise en évidence pour la première fois par l'expérience est une avancée majeure pour la communauté des astrophysiciens spécialistes du Soleil, des astrophysiciens nucléaires et des astrophysiciens des particules...
Source
Experimental evidence of neutrinos produced in the CNO fusion cycle in the Sun
The Borexino Collaboration
Nature volume 587 (25 november 2020)
Illustrations
1) Vue d'artiste du détecteur Borexino mêlé avec le Soleil (Borexino Collaboration/Maxim Gromov)
2) Schéma du cycle de fusion CNO
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