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mardi 23 février 2021

Détection d'un neutrino astrophysique issu d'une destruction maréale d'étoile


Pour la première fois, un neutrino ultra-énergétique détecté par IceCube est identifié comme ayant pour origine un événement de destruction stellaire par un trou noir supermassif. Et c'est accessoirement le deuxième neutrino astrophysique pour lequel on peut mettre un nom sur la source. Deux études parues dans le même numéro de Nature Astronomy y sont consacrées.

Les événements de destruction d'étoile par effet de marée gravitationnelle dans le voisinage immédiat d'un trou noir massif sont des sondes très intéressantes car ils produisent des rayonnements sur de longues durées, qui peuvent durer plusieurs mois voire plusieurs années. Un tel événement a été détecté  en avril 2019 avec le Zwicky Transient Facility (ZTF) un télescope automatique de 1,3 m l'observatoire du mont Palomar en Californie. Robert Stein (Institut für Physik, Humboldt-Universität zu Berlin) et ses collaborateurs l'ont par la suite identifié formellement dans une recherche spécifique d'événements transitoires en coïncidence avec des détections de neutrinos énergétiques par IceCube. 
Le ZTF a été spécialement conçu pour imager en une seule fois des centaines de milliers d'objets (étoiles et galaxies) et permet ainsi de déceler l'apparition d'une évolution rapide (supernova ou autre événement transitoire comme les événements de destruction marale (TDE, Tidal Destruction Event)). Il ne lui suffit que de trois nuits au ZTF  pour scanner l'ensemble du ciel. Depuis sa mise en service, le télescope exploité par Caltech a détecté 30 événements de destruction maréale, multipliant par deux leur nombre connu.
Ces événements transitoires sont parmi les plus brillants de l'Univers, et ce dans de nombreux domaines de longueurs d'ondes différents, des ondes radio aux rayons X. Les TDE (Tidal Disruption Events) ont été divisés en deux sous catégories : il y a les TDE "thermiques", qui ne montrent pas de présence de jets, et les TDE "non-thermiques", ou TDE "à jets", qui sont associés on l'aura compris, à un jet de matière relativiste. Cette dernière catégorie représente seulement quelques pourcents des quelques dizaines de TDE connus aujourd'hui. AT2019dsg est un peu atypique car il émet non seulement en rayons X mous et en UV comme le font les TDE thermiques, et aussi en ondes radio. La diversité des TDE thermiques observée est en partie due à l'angle de vue avec lequel on les observe. Selon l'inclinaison, on observera plus ou moins de rayons X de basse énergie ou d'UV.

Les chercheurs ont nommé l'événement du 9 avril 2019 AT2019dsg, il a eu lieu dans une galaxie située à 700 millions d'années-lumière, cataloguée comme 2MASX J20570298+1412165. Le trou noir en cause dans cette destruction d'étoile ferait environ 30 millions de masses solaires d'après les chercheurs. La probabilité de trouver par hasard un événement de destruction maréale émettant des ondes radio, en coïncidence avec une détection de neutrino est de l'ordre de 0,5% et lorsque l'on prend en compte son flux en énergie, cette probabilité tombe à 0,2%. Inversement, l'origine astrophysique du neutrino IceCube-191001A, détecté le 1er octobre 2019, a une probabilité de 59% lorsque l'on ne considère que son énergie (une origine atmosphérique n'est pas complètement exclue), mais la coïncidence spatiale et temporelle avec le TDE AT2019dsg fait grimper la probabilité, et offre aux chercheurs la rare opportunité d'explorer les mécanismes physiques qui ont pu donner naissance à ce neutrino dans un événement de destruction maréale d'étoile. 
AT2019dsg coïncide bien spatialement et temporellement avec le neutrino ultra-énergétique détecté par IceCube cinq mois plus tard, qui avait l'énergie considérable de 0,2 PeV. Stein et ses collaborateurs expliquent leurs observations de la contrepartie électromagnétique du neutrino IceCube-191001A avec un modèle "multizone". L'étoile déchirée par l'influence gravitationnelle du trou noir produit une éruption de rayonnement incluant du rayonnement synchrotron (rayons X et radio) en une zone étendue. Stein et ses collaborateurs observent une décroissance du flux de rayons X de 98% en 160 jours. Pour eux, il n'y a pas de claire évidence de la présence de jets dans ce TDE. Ils attribuent notamment la rapide chute de luminosité X par un refroidissement très efficace. Les chercheurs ont également découvert que l'émission d'ondes radio s'est étonnamment poursuivie durablement pendant plusieurs mois sans faiblir autant que la partie visible et UV. Stein et son équipe suggèrent que les particules accélérées lors du TDE peuvent produire des neutrinos dans trois zones distinctes : dans le disque externe par des collisions avec les photons UV, dans le disque interne par des collisions avec les photons X et dans l'écoulement de matière par des collisions de particules entre elles.

Mais le fait que le neutrino ait été détecté 5 mois après la détection du TDE peut aussi être expliqué par un autre modèle, qui a été développé par les théoriciens Walter Winter (DESY) et Cecilia Lunardini (Arizona State University) et qui se fonde lui sur la présence de jets de particules dans le TDE. Leur analyse théorique est publiée à la suite de l'article de l'équipe de Stein dans le même volume de Nature Astronomy. Ils montrent comment les TDE peuvent accélérer des rayons cosmiques jusqu'à des centaines de TeV. C'est la présence d'un jet relativiste qui permettrait cette association. Dans ce modèle, un cocon en expansion obscurcit progressivement les rayons X qui sont émis par le disque d'accrétion des résidus de l'étoile, et en parallèle, ce cocon de gaz devient une cible pour des réactions photonucléaires de rayons X rétrodiffusés. Ces réactions des photons sur les protons produisent aussi des neutrinos. Les deux théoriciens parviennent ainsi à retrouver un écart temporel de l'ordre de plusieurs mois entre le début de la destruction de l'étoile et l'émission de neutrinos, en cohérence avec les observations. 
Pour les deux chercheurs, AT2019dsg serait donc un TDE à jets, et c'est sa forte luminosité en rayons X qui serait la cause d'une production efficace de neutrinos. Pour eux, un TDE brillant en rayons X devrait aussi être "brillant" en neutrinos. Les deux types de modèles (TDE sans jets ou avec jets) ne sont donc pas encore départagés, mais peuvent tous les deux produire suffisamment de neutrinos d'énergie suffisamment élevée pour expliquer la détection de IceCube.
Dans le futur, les astrophysiciens à multimessagers espèrent pouvoir trouver de nombreuses autres associations entre neutrinos de très haute énergie et leur source visible avec des photons. La première source astrophysique d'un neutrino ultra-énergétique avait été clairement identifiée en 2018 (un neutrino détecté par IceCube en 2017), il s'agissait du blazar TXS 0506-056. Il aura donc fallu trois ans pour identifier la deuxième source, un objet très différent, même si la cause primaire qui est à l'origine de ces puissantes accélérations de particules est toujours la même, un trou noir supermassif.

Les astrophysiciens des astroparticules attendent beaucoup de la prochaine mise à niveau de IceCube qui multipliera par 10 son volume de détection et donc son taux de détection. Du côté des photons et notamment des sources transitoires et plus spécifiquement des événements de destruction maréale, c'est sur des grands instruments comme l'observatoire  Vera Rubin ou les télescopes orbitaux e-ROSITA et Einstein que les astrophysiciens mettent tous leurs espoirs. 


Sources

A tidal disruption event coincident with a high-energy neutrino
Robert Stein et al.
Nature Astronomy (22 february 2021)

A concordance scenario for the observed neutrino from a tidal disruption event
Walter Winter & Cecilia Lunardini 
Nature Astronomy (22 february 2021)


Illustrations

Vue d'artiste de l'événement de destruction maréale AT2019dsg, dans sa version "à jets" (DESY, Science Communication Lab)

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