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vendredi 19 mars 2021

La toile cosmique révélée à grand redshift par l'émission de fluorescence de ses galaxies naines


Le modèle cosmologique standard prédit que les galaxies naissent au sein de filaments de gaz et de matière noire. Pour la première fois, ces filaments ont pu être observés directement grâce à l'émission UV de l'hydrogène neutre redshiftée dans l'infra-rouge grâce à la très grande distance spatiotemporelle qui nous en sépare. Une observation effectuée avec l'instrument MUSE du VLT et rapportée dans Astronomy and Astrophysics

Ces observations de l'émission diffuse de la raie Lyman alpha (une raie de désexcitation (ou fluorescence) de l'atome d'hydrogène) lorsque l’Univers était âgé de seulement 0,8 à 2,2 milliards d’années (un redshift compris entre 3,1 et 6,7) suggèrent l’existence à cette époque de très nombreuses galaxies naines qui restaient insoupçonnées jusque là. Roland Bacon (Centre de Recherche Astrophysique de Lyon/CNRS/Université Lyon 1) et ses collaborateurs français et européens ont utilisé le Very Large Telescope de l'ESO muni de son imageur MUSE sur une période de 140 heures, pointé sur une région qui fait partie du célèbre champ ultra-profond de Hubble. Ils ont donc logiquement appelé cette image le MUSE Extremely Deep Field.  

Dans la zone d'Univers explorée, les astrophysiciens décèlent 22 régions de surdensité galactique, où 5 d'entre elles abritent des filaments de gaz trahis par leur émission Lyman alpha. Or 70% de la totalité de cette luminosité Ly alpha provient d'au delà du milieu circumgalactique associé à des "émetteurs Ly alpha" identifiés (c'est à dire des galaxies à forte production d'UV, donc formant des étoiles à taux élevé). En appliquant une série de simulations, les chercheurs peuvent déterminer que cette émission Lyman alpha étendue qui paraît décorrélée des galaxies doit en fait provenir d'une multitude de galaxies naines qui ne peuvent pas être vues individuellement car trop peu lumineuses. Bacon et ses collaborateurs montrent en effet qu'au redshift z=3, l'émission Ly alpha ne peut être excitée par le fond UV cosmique que pour 34% et cette proportion tombe à 10% pour des redshifts plus élevés. Il y aurait donc bien une très grande population de galaxies produisant suffisamment d'UV pour exciter leur hydrogène qui leur fera émettre chacune une très faible luminosité dans la raie de fluorescence Ly alpha (on parle de luminosité ultra faible, inférieure à 1040 erg.s-1). Ces galaxies pourraient même avoir une luminosité inférieure à 1037 erg.s-1.
En considérant ensuite que c'est le rayonnement UV de leurs très jeunes étoiles qui est responsable de la fluorescence de leur hydrogène, la luminosité Ly alpha minimale qui est ainsi déterminée à partir des observations et des simulations permet aux chercheurs de calculer le taux de formation d'étoiles maximal que ces galaxies naines doivent connaître. Et il est minuscule... elle ne doivent produire qu'une étoile tous les 10 000 ans tout au plus (un taux de formation environ 10000 fois plus faible que celui de notre galaxie aujourd'hui).

La détection de la structure de la toile cosmique par son émission de fluorescence Lyman alpha dans un environnement de filaments à l'extérieur des structures massives qui forment les noeuds entre filaments est un jalon important dans la recherche de signatures de cette toile à grand redshift. 
Roland Bacon et ses collaborateurs, du fait du champ restreint du MUSE Extremely Deep Field, ne peuvent malheureusement pas tracer toute la longueur des filaments qui dépassent l'échelle du Megaparsec. Ils souhaitent maintenant étendre le même type d'observation sur d'autres champs plus grands pour traquer toujours plus les filaments de la toile cosmique. Un nouveau spectrographe, nommé BlueMUSE, adapté pour imager des longueurs d'ondes un peu moins infra-rouge, devrait permettre dans un futur proche d'aller explorer l'émission Lyman alpha un peu moins redshiftée, et donc jusqu'à l'époque cosmique un peu plus récente du pic de formation stellaire dans les galaxies, vers un redshift de 2 (environ 3,5 milliards d'années après le Big Bang). Cette évolution de MUSE devrait par la même occasion permettre un champ de vue plus grand et un temps de télescope moins long... 

La découverte de l'existence de milliards de galaxies naines dans les filaments de gaz de la "toile cosmique" à cette époque de l'Univers de moins de 2 milliards d'années va dans tous les cas très certainement avoir quelques conséquences pour tous ceux qui développent des modèles de formation galactique. 


Source

The MUSE Extremely Deep Field: the Cosmic Web in Emission at High Redshift
Roland Bacon et al.
Astronomy & Astrophysics (18 mars 2021)


Illustrations

1) Un des filaments d’hydrogène (en bleu) découverts par MUSE dans le champ ultra-profond de Hubble.  L’image en arrière-plan est celle de Hubble. (Roland Bacon, David Mary, ESO et NASA)

2) L'émission Ly alpha diffuse étendue de la surdensité observée à z = 3.07 (Bacon et al.)


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