Une analyse de la structure de la croûte glacée d'Encelade arrive à la conclusion que la différence d'épaisseur de la glace est liée à des courants océaniques sous-jacents. Une étude publiée dans Nature Geoscience.
Encelade est la sixième plus grosse lune de Saturne, et c'est en 2014 que la sonde Cassini qui l'a survolée à de multiples reprises entre 2004 et 2017, a montré les évidences de la présence d'un océan liquide salé sous la croûte de glace d'environ 30 km de profondeur. Les panaches qui sortent de grandes fissures visibles au pôle sud d'Encelade ont été en partie analysés et ont montré une composition aqueuse riche en minéraux et en composés organiques. Et cet océan est très différent des océans terrestres, outre le fait qu'il est recouvert d'une épaisse croûte de glace, il couvre la totalité de la surface du noyau rocheux de Encelade et sa structure thermique est inversée : il est froid en surface (interface avec la glace) et chaud sur son plancher (échauffement du noyau rocheux par friction interne par les effets de marée).
Ana Lobo (Caltech) et ses collaborateurs montrent que l'océan d'Encelade aurait un point commun avec les océans terrestre : l'existence de courants importants. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont étudié attentivement la structure de la croûte de glace qui recouvre l'eau liquide. Un point crucial, qui est d'ailleurs commun avec les océans terrestres, est que l'océan de Encelade est salé. Or des variations de salinité entraînent nécessairement des mouvements des masses d'eau. Cassini avait révélé par des mesures de champs gravitationnel et de température que la croûte de glace n'avait pas la même épaisseur à l'équateur et aux pôles, surtout au pôle sud. Et les planétologues s'accordent pour dire que les régions de faible épaisseur sont associées à de la fonte de glace tandis que les régions plus épaisses sont associées à de la formation de glace. Et quand une eau salée gèle, elle "expulse" son sel dissout, qui se retrouve donc dans l'eau environnante qui se retrouve plus "lourde", cette eau "coule" vers le bas. Dans les régions où la glace fond, il se passe l'exact opposé, la salinité décroît, et la densité de l'eau avec, elle remonte...
Ana Lobo et ses collaborateurs ont ainsi pu placer des contraintes sur la circulation océanique d'Encelade uniquement en déterminant la distribution d'épaisseur de la croûte de glace. Les modèles numériques qu'ils ont produits indiquent bien l'existence très probable de courants océaniques qui connectent les régions équatoriales et polaires. De tels mouvements océaniques n'étaient pas imaginés auparavant. Les planétologues pensaient juste à des mouvements de convection verticaux entre le plancher océanique et l'interface eau-glace. L'existence de véritables courants océaniques pourrait avoir pour conséquence un brassage important de la chaleur interne ainsi que des potentiels nutriments pour des bestioles. Dans les océans terrestres, il a en effet été démontré que les mélanges adiabatiques, ou les remous le long des isopycnes (les lignes joignant les points de même densité), sont une voie importante pour l'apport de nutriments jusqu'à la surface et peuvent y moduler la productivité des organismes vivants. Déterminer la distribution des flux océaniques peut alors donner une idée sur quelles seraient les régions les plus favorables au développement d'organismes vivants dans un tel océan subglaciaire.
Le modèle de Lobo et son équipe implique que des couches d'eau à faible salinité se trouvent à proximité de l'interface eau-glace au niveau du pôle sud (et donc des grandes fissures). Cela indiquerait alors selon les chercheurs que la salinité globale de l'océan serait en fait plus importante que ce qu'a pu mesurer Cassini dans les panaches sortant des fissures.
Les planétologues précisent que ce qu'ils décrivent pour Encelade doit être valable pour d'autres mondes océaniques où le volume liquide est fortement influencé par une stratification. Cela devrait a priori être le cas pour Titan (autour de Saturne) pour lequel on sait que la croûte de glace a une épaisseur qui peut varier de 10 km d'une région à l'autre, mais aussi pour Europe et Ganymède (autour de Jupiter). La bonne nouvelle est que ces trois satellites seront visités dans les vingt ans qui viennent respectivement par les sondes Dragonfly, Europa Clipper et JUICE, dont l'un des objectifs premier sera l'étude de leurs océans et de leur croûte glacée.
Source
A pole-to-equator ocean overturning circulation on Enceladus
Ana Lobo et al.
Nature Geoscience (March 25, 2021)
Illustration
Encelade imagée par la sonde Cassini ( NASA / ESA / JPL / SSI / Cassini Imaging Team)
Bonjour,
RépondreSupprimerIl me semble que le problème de la circulation océanique doit distinguer les cas d'Europe / Encelade d'un côté (océan en contact avec la couche rocheuse) et de Titan / Ganymède de l'autre (océan entre 2 couches de glace) : ne peut-on s'attendre à une salinité et à un gradient thermique, donc à une circulation thermo-hyaline, bien différents ? Les conclusions de l'étude sur Encelade pourraient ainsi s'appliquer à Europe, mais pas aux autres ? Les chances d'un développement biologique sont par ailleurs bien moindres dans le deuxième cas.
A-t-on possibilité de mesurer l'altitude de la surface de la calotte, par rapport à une surface théorique, pour déterminer les différences d'épaisseur de la glace?
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