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jeudi 22 avril 2021

Le titane confirme le modèle d'explosion des supernovas de type II conduite par les neutrinos


Des traces de titane viennent enfin d'être détectées dans un célèbre résidu de supernova : Cassiopeia A (Cas A), ce qui met en lumière le rôle fondamental des neutrinos dans le processus d'explosion lors du collapse gravitationnel d'une étoile massive. Une étude publiée dans Nature

C'est avec le télescope spatial Chandra que Toshiki Sato (Université de Rikkyo) et ses collaborateurs japonais et américains ont réussi à identifier un petit excès de rayons X dans le spectre de Cas A, à l'énergie qui est celle d'une raie d'émission caractéristique du titane. Cas A est un jeune résidu de supernova dont l'âge est estimé à 350 ans, et qui est situé à 11000 années-lumière. 
Les chercheurs ont déterminé que le titane est un élément qui est formé dans l'explosion d'étoiles massives (les supernovas à effondrement de coeur, de type II, dont Cas A est un beau spécimen de résidu). Lors de la création d'une étoile à neutrons dans l'effondrement gravitationnel très rapide, l'intérieur de l'étoile massive qui s'effondre rebondit sur la surface du noyau stellaire, inversant alors l'implosion. il se produit immédiatement une onde de choc qui se propage à travers le reste de l'étoile condamnée toujours en cours d'effondrement, produisant au passage de nouveaux éléments par réactions nucléaires. Et les flux très intenses de neutrinos qui sont produits lors de ce cataclysme jouent un rôle crucial par l'échauffement qu'ils produisent pour l'entraînement de bulles de plasma qui s'éloignent rapidement de l'étoile à neutrons et qui vont aider l'onde de choc à traverser les couches externes de l'étoile qui se meuvent encore vers le centre de ce reste de l'étoile. Ces bulles continuent donc à faire avancer l'onde de choc pour finalement déclencher l'explosion de la supernova tout en produisant de très nombreux noyaux atomiques de plus en plus lourds, jusqu'à l'uranium.
La présence de titane stable (Ti-48) et de chrome dans un résidu de supernova confirme la présence de ces bulles qui sont induites par les neutrinos, seules à même de les produire avec la température et la pression qu'elles fournissent. Ici c'est le première fois que l'on détecte la présence de titane stable (Ti-48). Il aura fallu aux astrophysiciens en tout 18 jours cumulés d'observation avec Chandra, étalés entre 2000 et 2018 pour construire le spectre en énergie révélant la petite bosse du titane stable. 

Les bulles qui s'échappent du coeur de l'étoile en effondrement et qui accompagnent l'onde de choc peuvent créer une explosion asymétrique, qui peut avoir des conséquences sur la matière qui est éjectée. C'est ce qui est visible sur Cas A où une zone située au sud-est de l'éjecta forme des excroissances et apparaît plus riche en éléments lourds comme le fer-56. 
L'échauffement intense induit par le flux de neutrinos qui sera à la base de la production des grandes bulles de matière  est si intense qu'il disloque des noyaux d'atomes légers en leur constituants : protons, neutrons et particules alpha (noyaux d'hélium). Les astrophysiciens spécialistes des fournaises de supernovas appellent ça un panache de haute entropie. L'entropie élevée fait ici référence à une combinaison alliant faible densité et énergie extrêmement élevée. 
C'est quand la matière commence à se refroidir au fur et à mesure que l'énergie chute pour former des noyaux spécifiques par le processus appelé le gel riche en alpha. On y retrouve des noyaux composés de multiples de 4 nucléons (2 protons+2 neutrons, qui forment un noyau d'hélium) : le Ni-56 (14 alphas), le Cr-52 (13 alphas) et le Ti-48 (12 alphas). Parmi ces trois noyaux, seul le Ni-56 est radioactif et donne finalement du Fe-56 par désintégrations béta+ en passant par le Co-56, avec des demi-vies de 6 jours puis 77 jours. On ne doit donc plus voir que le Fe-56, le Cr-52 et le Ti-48. 

Le fer-56 avait déjà été observé dans Cas-A et les chercheurs se sont donc focalisés sur cette zone d'excroissance de la nébuleuse résiduelle riche en fer pour tenter de mettre en évidence le crome-52 et le titane-48.
Les chercheurs, à partir des excès de rayons X qui correspondent à des raies du chrome et du titane (à 4,8 keV et 5,8 keV) montrent que les rapports de masse Ti/Fe et Cr/Fe qui sont mesurés sont tout à fait cohérents avec l'existence d'un processus de gel riche en α, et donc indirectement d'une déflagration à forte convection conduite par les neutrinos et qui s'avère asymétrique.
Les astrophysciens peuvent également déterminer la masse de fer et de titane qu'ils détectent à la périphérie sud-est de Cas-A : la quantité de fer-56 est évaluée à 0,001 masse solaire, ce qui correspond à 1% de la masse totale de fer contenue dans le résidu, et quant au titane il représente 0,001 de la masse du fer, donc 10-6 masse solaire, équivalent environ à la masse de la Terre... 

Toshiki Sato et ses collaborateurs mesurent également la vitesse actuelle de l'éjecta de Cas A, car le modèle de l'échauffement par neutrinos et du gel riche en alphas stipule que la vitesse doit être comprise entre 4000 et 5000 km/s. Ils mesurent une vitesse supérieure à 4000 km/s pour la matière riche en fer-56. Le processus semble donc validé par les observations, en attendant d'autres observations sur d'autres résidus de supernova de type II pour renforcer ce modèle d'une explosion conduite par le flux de neutrinos issus du coeur stellaire effondré en étoile à neutrons.
Les chercheurs attendent beaucoup des futurs télescopes spatiaux X à calorimètre qui doivent fournir des très hautes résolutions en énergie, comme XRIM et ATHENA. Ils pourraient encore mieux détecter le titane-48, mais aussi un autre élément clé du processus, le Zinc-64... 

Source

High-entropy ejecta plumes in Cassiopeia A from neutrino-driven convection
Toshiki Sato et al.
Nature volume 592  (21 april 2021)


Illustrations

1) Cas A imagée avec Chandra, la zone riche en fer-56 qui est étudiée ici est en bas à gauche (sud-est inversé) (Sato et al.)

2) Spectre mesuré par Sato et ses collaborateurs avec Chandra (Sato et al./Nature)


12 commentaires:

  1. Bonjour,

    Si j'ai bien compris, le "gel riche en alpha" prévu dans la convection conduite par les neutrinos aboutit à des noyaux alpha, comportant par définition un nombre pair et égal de protons et de neutrons ; il s'agit ici du Ti 44, Cr 48, Fe 52 et Ni 56 ; tous sont instables et aboutissent après 2 désintégrations béta +, aux éléments stables respectifs : Ca 44, Ti 48, Cr 52 et Fe 56 qui ont eux 4 neutrons de plus que de protons.

    Seuls ces derniers sont actuellement décelables, à l'exception du Ti 44 dont la demi-vie de 60 ans (contre quelques heures ou jours pour les autres noyaux instables), non négligeable au regard de l'ancienneté de la SN (240 ans) autorise la détection par sa radioactivité (en X)

    C'est ce qui a été rapporté en 06/2017 dans the astrophysical journal, apportant une première "preuve par le titane" -le 44, pas le 48- du rôle des neutrinos dans (au moins certaines) SN II. Cf https://www.riken.jp/en/news_pneubs/research_ws/pr/2017/20170622_2/

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  2. Ce qui se passe avec Cas A, c'est que le Ti-44 n'est pas visible au même endroit que le Fe-56 : le Ti-44 est observé vers le centre du résidu. Ici par exemple, les auteurs précisent qu'ils ne détectent pas le Ti-44 dans les excroissances du sud-Est. La détection du Ti-44 est plus ancienne que 2017, elle date de 2014, toujours dans Cas A. Et on en avait parlé d'ailleurs (le moteur de recherche du blog est super efficace !) C'est là : https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2014/02/des-etoiles-en-ebullition-avant.html

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  3. Existe-t-il une explication aux localisations différentes du Ti 44 et du Fe 56 ?

    Le rôle des neutrinos était-il déjà invoqué pour la production du Ti 44 en 2014 ?

    Bonne soirée

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  4. Bonsol ! Merci encore une fois pour votre admirable travail de lecture d'article et de vulgarisation de résultats récents.
    Petite question concernant l'image ("fig.1") : quel est le codage couleur ? Il y a aussi l'ambiguité de l'appellation "sud-est" qui revient deux fois, et dont le déchiffrage est mais seulement en partie dans la légende 1 : "sud-est inversé". Inversé… juste gauche-droite, ou bien aussi haut-bas ? Est-ce que cette zone "sud-est" est dans le quadrant bas-gauche, en mode cadran horaire : vers 8-h à 9+h (marquée "high-entropy", dont non, a priori), ou bien le panache vert du quadrant haut-gauche, entre 10-h et 11h au cadran horaire (et donc au « sud-sud-est inversé » des plumes) ? Ça doit être évident pour un astronome, mais pas au géologue que je suis ! :-) Et donc les couleurs, le vert, l'orange-brun et le cyan, qui j'imagine codent les abondances relatives des trois éléments : Fe-56, Cr-52 et Ti-48 ? Merci d'avance.

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  5. Bonsoir Eric38, L'inversion est juste en miroir droite/gauche. la zone étudiée ici est celle des "high entropy plumes".
    Pour ce qui est des couleurs, c'est un peu complexe, il s'agit d'une image composite : en rouge : le fer, en bleu : le titane-44 (non observé dans cette étude) et en vert, c'est le ratio Si/Mg...

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  6. @Pascal : on ne parlait pas des neutrinos en 2014 mais de la production de bulles... Et je citais en conclusion une hypothèse spéculative sur le fait qu'on ne voit le Ti-44 qu'au centre : l'évolution de l'étoile à neutrons en étoile de quarks, qui aurait eu pour effet de produire de gros flux de neutrons qui auraient détruit le Ni-56 au centre... Hormis cette spéculation, je ne connais pas d'autres propositions à ce sujet.

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  7. J'ai trouvé ceci : "about half of the iron produced by the explosion could reside in the central region that has not yet been
    heated to X-ray emission temperatures by the reverse shock
    from the ejecta-environment interaction. After 56Ni has decayed to stable 56Fe, ionization by the reverse shock is necessary to enable Fe X-ray emission from atomic transitions. In
    contrast, 44Ti continues to be radioactive well into the SNR
    stage, even at the age of Cas A, and therefore radiates Xrays by nuclear transitions"https://arxiv.org/pdf/1610.05643.pdf

    La différence entre les 2 traceurs concernerait leur visibilité en X ?

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  8. Merci Pascal, un gros papier très intéressant qui après vérif a été publié en juin 2017 dans The Astrophysical Journal (Volume 842, Number 1) et qui m'avait échappé à l'époque (ou bien qui m'avait fait peur avec ses 20 pages bien remplies! Il a reçu à ce jour 62 citations! (c'est beaucoup).
    L'explication proposée est simple, en plus du fait qu'ils précisent qu'il peut exister des zones dans le résidu qui ont un ratio Ti/Fe qui peut varier fortement (ce qui peut expliquer pourquoi on ne voit pas de Ti-44 dans les plumes du sud-est, il faut que le fer56 soit fortement ionisé pour qu'il émette en X (recombinaison des électrons dans le cortège électronique) et comme il le serait beaucoup plus en périphérie qu'au centre du fait des effets de chocs, on le verrait surtout à la périphérie et peu au centre, alors qu'il y en aurait tout de même de bonne quantités là même où est vu le Ti-44, qui lui, n'a pas besoin d'être ionisé pour émettre des X puisqu'il en crache en se désintégrant... Du coup, j'ai vérifié dans mes bases de données nucléaires préférées, la raie X prépondérante du Ti44 est à 4,09 keV, donc pas tout à fait à la valeur qu'on voit dans le spectre (4,8 keV), le blueshift liés à la vitesse de l'éjecta ?

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  9. Un décalage de 4.09 à 4.8 KeV correspondrait à des vitesses irréalistes (> 50 000 km/s)

    Si on se réfère au papier de Grefenstette de 2014 et à sa carte, que tu cites dans ton billet de 02/2014, https://arxiv.org/ftp/arxiv/papers/1403/1403.4978.pdf, il a utilisé pour le 44 Ti la raie à 67.86 KeV dans la bande 65-70 KeV de NuSTAR et constaté un redshift de 0.47 +/- 0.26 KeV du centroïde, soit une vélocité radiale de 1100 à 3000 km/s pour une vitesse max des éjectas de l'ordre de 5300 km/s-proche de celui des récentes simulations- ; il signale aussi un élargissement de la raie, avec une demi largeur de 0.86 KeV (thermique, je suppose ?). 2 autres raies importantes du 44 Ti (78.36 et 1157 KeV) étaient limite ou hors bande passante pour NuSTAR.

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  10. moi, quand j'ai la flemme de faire les calculs, je sais que quelqu'un les fera à ma place ;-)) c'est quand même curieux cet écart entre 4,09 et 4,8 keV...
    Pour être précis, la raie à 67.86 keV est une transition gamma et non un X (provenant du noyau et non du cortège électronique). Il y en une autre de quasi même intensité à 78.32 keV mais la raie gamma à 1157 keV ne vient pas du ti-44 mais de son fils le Sc-44 qui décroit en 3,97h de demi-vie vers Ca-44. Les deux (Ti-44 et Sc-44) décroissent par capture électronique (équivalent à béta+).

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  11. bon, je ne dois pas assez dormir ... J'ai comparé les torchons avec les serviettes!... Le 4,09 keV est bien une raie du Ti-44 mais le 4,8 keV est une raie du Ti-48! (celle qu'on voit dans le spectre de cet article). Donc tout est normal. D'ailleurs, si on regarde attentivement le spectre de la figure que je montre, et surtout les résidus en dessous, avec les yeux de la foi, on peut voir un petit excès à 4,1 keV, qui pourrait refléter la présence de Ti-44 en faible quantité dans ces plumes. Mais c'est un signal non significatif visiblement, trop proche de fluctuations statistiques...

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  12. je n'avais pas compris d'où tu tirais le 4.8 KeV, tout s'explique, ouf !

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Merci !