C'est avec le télescope spatial NICER (Neutron star Interior Composition Explorer) qui est installé sur la station spatiale internationale que Teruaki Enoto (RIKEN, Japon) et ses nombreux collaborateurs ont étudié le résidu de supernova qui trône au centre de la nébuleuse du Crabe. Ils ont enregistré l'activité des éruptions de rayons X provenant du pulsar et les ont comparées ensuite aux enregistrements en ondes radio qui ont été effectués au même moment par des radiotélescopes terrestres.
Parmi les plus de 2800 pulsars qui sont catalogués, le pulsar du Crabe (qui est âgé de 970 ans) est l'un des rares à montrer des pulsations radio "géantes", qui apparaissent sporadiquement. Elles sont appelées "géantes" car elles peuvent être des centaines ou des milliers de fois plus brillantes que les pulsations radio normales.
Le pulsar du Crabe est souvent utilisé comme une source de référence en radioastronomie. Il faut dire qu'étant distant de 6500 années-lumière, il apparaît comme l'un des pulsars les plus lumineux du ciel que ce soit en ondes radio ou en rayons X. La supernova qui lui a donné naissance a explosé en 1054 et l'étoile à neutrons tourne aujourd'hui sur elle-même 30 fois par seconde.
Enoto et ses collaborateurs ont pointé NICER vers le Crabe pendant deux ans de manière discontinue, entre août 2017 et août 2019. Pour le suivi en ondes radio, les astrophysiciens ont exploité deux radiotélescopes japonais : celui de 34 m du centre de technologie spatiale de Kashima et celui de 64 m de la JAXA situé à Usuda. Les rayons X étaient observés jusqu'à une énergie de 10 keV tandis que les ondes radio étaient enregistrées à une fréquence de 2 GHz (ce qui fait des photons de 8 µeV).
Pour la première fois, les données dans les deux longueurs d'ondes (ou énergies, ou fréquences si vous préférez) montrent une augmentation très significative de la luminosité X en coïncidence avec l'apparition de pulses radio géants. La grande force de NICER est de pouvoir déterminer le temps d'arrivée d'un signal de rayons X avec une précision de 100 nanosecondes. Et son autre grand atout est de pouvoir encaisser des flux importants, ce qui permettait d'observer sereinement le Crabe sans risque de saturation.
Après analyse de 26650 pulses radio géants observés sur plus de 3,7 millions de rotations du pulsar, Enoto et ses collaborateurs montrent que le flux de rayons X est systématiquement augmenté de 3,8% lorsqu'il est détecté en même temps qu'un pulse radio géant. Les chercheurs notent également qu'une augmentation du flux lumineux visible avait été observée en 2003, elle aussi en coïncidence avec les pulses radio géants et elle était de l'ordre de 3,2%, étonnamment très similaire...
Une augmentation de 3,8% du flux X est certes extrêmement faible si on la compare avec la différence entre un pulse radio normal et un pulse radio géant (100 à 1000 fois plus intense!). Mais il faut raisonner ici en termes d'énergie. Les rayons X sont 1 milliard de fois plus énergétiques que les ondes radio, donc une toute petite augmentation du flux implique une très grosse augmentation de l'énergie qui est émise.
L'existence de cette coïncidence entre l'augmentation du flux des pulses radio et des rayons X (mais aussi de la lumière visible) indique selon les astrophysiciens la présence d'un processus sous-jacent qui produit une émission électromagnétique sur tout le spectre.
Enoto et ses collaborateurs concluent que l'énergie totale qui est dissipée lors d'un pulse radio géant serait des dizaines ou des centaines de fois plus élevée que ce que l'on pouvait déduire des pulses radio seuls. Mais ils ne savent toujours pas quel mécanisme physique serait à l'origine de ces éruptions sporadiques intenses qui ne suivent pas la périodicité de l'émission normale du pulsar qui est directement liée à sa rotation propre.
Les chercheurs déduisent tout de même que la distribution en énergie des particules à l'origine des pulses radio géants est similaire à celles des particules responsables des pulses radio normaux, ce qui signifie une accélération dans la magnétosphère du pulsar ou un flux de plasma dans le plan équatorial. L'émission de rayons X associée aux pulses radio géants indique quant à elle une efficacité inférieure à 1% pour le rayonnement d'énergie par l'émission radio, ce qui pourrait être cohérent avec un modèle de reconnexion magnétique.
Un autre modèle de l'émission à haute énergie associée aux pulses radio géants invoque une augmentation temporaire de la densité de particules dans la région d'émission. La différence d'augmentation entre d'une part les ondes radio (de l'ordre d'un facteur 100) et d'autre part les rayons X et le visible (environ +4%) proviendrait de la nature des rayonnements : une émission incohérente pour les X et le visible, qui est proportionnelle au nombre de particules, et une émission cohérente pour les ondes radio, qui est elle proportionnelle au carré du nombre de particules.
D'autres modèles sont mentionnés par Teruaki Enoto et ses collaborateurs comme l'émission de rayonnements par des particules de haute énergie dans des blobs de plasma générés par des reconnexions magnétiques, ce qu'on appelle des plasmoides, ou par des absorptions résonantes de photons radio par des particules qui réémettent des rayons X.
Et il est bien sûr tentant de chercher un lien avec le phénomène des FRB, les sursauts rapides d'ondes radio que l'on pense de plus en plus issus de magnétars. Les pulses radio géants de pulsars jeunes ou de magnétars ont déjà été évoqués dans différentes études comme étant des analogues à basse énergie des FRB, mais ces propositions ont souvent été très controversées. Tout dépend en effet de l'efficacité énergétique de l'émission radio des pulses radio géants, qui est une fonction de la luminosité de décélération des pulsars. Le taux de décélération de la rotation du pulsar doit être proportionnelle à l'inverse de cette efficacité, qui ne pouvait qu'être supposée.
Mais Enoto et ses collaborateurs expliquent dans leur conclusion que comme ils ont déterminé que l'efficacité de l'émission radio coïncidente avec l'augmentation du flux X devait être très faible, de l'ordre de 1%, cela implique que le taux de décélération du pulsar devrait être multiplié par un facteur 100. Or, lorsqu'on calcule le temps caractéristique de décélération d'un pulsar (considéré comme étant une source de FRB) en considérant une efficacité maximale de 1 pour l'émission radio, on trouve une durée de 100 ans. Selon Enoto on devrait alors dans ce cas observer une très rapide décroissance du flux radio en provenance des FRB, sur l'échelle d'un an seulement. Or, on observe des FRB répétitifs à l'image du fameux FRB 121102 qui montrent des flux radio constants sur plusieurs années. Pour Enoto et ses collaborateurs, la connexion entre FRB répétitifs et pulses radio géants doit donc être rejetée. Il faudra trouver une autre explication.
Source
Enhanced x-ray emission coinciding with giant radio pulses from the Crab Pulsar
Teruaki Enoto et al.
Science Vol. 372 (09 Apr 2021)
Illustration
Image composite multi-longueurs d'ondes de la nébuleuse du Crabe (NASA, ESA, G. Dubner (IAFE, CONICET-University of Buenos Aires) et al.; A. Loll et al.; T. Temim et al.; F. Seward et al.; VLA/NRAO/AUI/NSF; Chandra/CXC; Spitzer/JPL-Caltech; XMM-Newton/ESA; and Hubble/STScI)
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