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dimanche 2 mai 2021

Naines blanches : un effet dynamo à l'origine des forts champs magnétiques


Une équipe d'astrophysiciens propose une solution très élégante pour expliquer la grande diversité de la magnétisation des étoiles naines blanches, certaines possédant de très forts champs magnétiques et d'autres pas du tout. Les spécialistes se grattaient la tête depuis très longtemps... L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

L'origine des champs magnétiques dans les naines blanches est un problème fondamental non résolu en astrophysique stellaire. En particulier, le nombre de naines blanches fortement magnétiques (plus de 106 G) dans les populations d'étoiles naines blanches dans des systèmes binaires liés par leur évolution n'a jamais pu être reproduit par aucun des scénarios proposés jusqu'à présent. Par ailleurs, les naines blanches fortement magnétiques sont absentes parmi les étoiles binaires détachées qui sont plus jeunes qu'environ un milliard d'années. Mais, parmi les systèmes d'étoiles binaires semi-détachées contenant une naine blanche qui accrète de la matière à partir d'une étoile de faible masse (des systèmes qu'on appelle aussi des variables cataclysmiques), plus d'un tiers hébergent une naine blanche fortement magnétique...
C'est pour comprendre pourquoi on rencontre autant de diversité magnétique dans les systèmes binaires à naine blanche et in fine comprendre l'origine de champ magnétique dans les naines blanches que Matthias Schreiber (Universidad Técnica Federico Santa María, Valparaíso) et ses collaborateurs ont étudié ces systèmes binaires incluant une naine blanche par une modélisation de l'évolution de tels systèmes. Les astrophysiciens étudient comment doit évoluer le champ magnétique de la naine blanche qui est en cours de cristallisation lorsqu'elle se refroidit et comment son champ magnétique interagit avec le champ magnétique de son étoile compagne, ainsi qu'avec le flux de matière accrété entre les deux compagnes. 

L'idée élégante que proposent Schreiber et ses collaborateurs est fondée sur l'effet bien connu de la dynamo. Dans le mécanisme de dynamo qu'il proposent, le champ magnétique est généré par des courants électriques causés par le mouvement convectif à la surface du noyau de la naine blanche. Ces courants convectifs sont produits par la chaleur qui s'échappe du noyau en cours de solidification. L'ingrédient principal de la dynamo est un noyau solide entouré d'un manteau convectif.
Après que l'étoile progénitrice de la naine blanche a éjecté son enveloppe, la naine blanche est très chaude et composée de carbone et d'oxygène liquides. Et lorsqu'elle s'est suffisamment refroidie, son noyau commence à se cristalliser et sa configuration devient similaire à celle d'une planète comme la Terre : un noyau solide entouré d'un liquide convectif. 
Les mouvements de matière dans les cellules de convection sont autant de mouvements périodiques de charges électriques qui vont donc produire un champ magnétique. Les vitesses dans le liquide sont beaucoup plus élevées dans les naines blanches que dans des planètes, les champs générés sont donc beaucoup plus forts (jusqu'à 1 million de fois plus fort).

Schreiber et ses collaborateurs montrent qu'ensuite, selon leur modèle, lorsque le champ magnétique généré dans la naine blanche se connecte avec celui de l'étoile secondaire du système binaire, des couples de synchronisation peuvent apparaître dans les lignes de champ induisant une perte de moment angulaire moins forte. Cela peut amener au détachement de la binaire pendant une période de temps relativement courte (elles sont alors qualifiées de semi-détachées). Les auteurs prennent pour exemple le cas de AR Scorpii qui est une binaire représentative des 15 naines blanches fortement magnétiques connues dans des binaires semi-détachées, et qui correspond bien avec ce que dit leur modèle.
Le couple peut ensuite recommencer un transfert de matière mais cette fois-ci, cette accrétion est dirigée par le champ magnétique très intense de la naine blanche, donc suivant une direction poloïdale et non plus dans le plan de rotation.

Bien qu'un mécanisme différent, comme une fusion à enveloppe commune et/ou une fusion de deux naines blanches soit probablement nécessaire, selon les chercheurs, pour expliquer la plupart des naines blanches isolées dont l'intensité du champ magnétique dépasse 1 MG, la nouvelle séquence évolutive prédite par leur modèle s'avère être en excellent accord avec les observations d'étoiles binaires rapprochées contenant des naines blanches fortement magnétisées.

Ce modèle d'évolution à partir de la production de champ magnétique par effet dynamo induit par la cristallisation du noyau des naines blanches au cours de leur refroidissement permet ainsi à Schreiber et ses collaborateurs d'expliquer en même temps l'existence de naines blanches si fortement magnétisées et pourquoi il en existe encore une fraction importante dans les variables cataclysmiques. Selon ce modèle, le fait de ne pas voir de naines blanches très magnétiques dans les systèmes binaires de moins de 1 milliard d'années vient simplement du fait qu'elles ne se sont pas encore suffisamment refroidies pour cristalliser leur noyau et donc induire l'effet dynamo responsable de la génération du champ magnétique. Le mécanisme de génération du champ magnétique proposé est finalement le même que celui qui existe dans les planètes, mais à des échelles très différentes. Encore fallait-il oser y penser.

Source

The origin and evolution of magnetic white dwarfs in close binary stars
Matthias Schreiber, et al. 
Nature Astronomy (29 april 2021)


Illustrations

1) Vue d'artiste de l'intérieur cristallisé d'une naine blanche  (University of Warwick / Mark Garlick)

2) Les différentes étapes d'évolution du couple binaire du modèle développé (Schreiber et al. )

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je ne comprend pas bien en quoi la genèse du fort champ magnétique de certaines NB est liée à leur binarité dans le scénario présenté ici (d'ailleurs ce n'est pas le cas général pour les planètes ou les petites étoiles) ; est-ce du fait de l'évolution de leur spin ? Une autre source de chaleur interne liée à la cristallisation a été évoquée, la sédimentation de l'oxygène par rapport au carbone, elle serait peut-être à prendre en compte dans le calcul du refroidissement des NB et de leur convection.

    Une autre origine du champ magnétique a été proposée, où la binarité est essentielle, celle de la phase d'enveloppe commune au stade géante rouge, qui parait expliquer les forts champs magnétiques tant de nombreuses variables cataclysmiques que de certaines NB isolées qui seraient le fruit d'une fusion : " the origin of high magnetic fields in
    white dwarfs relies on a magnetic dynamo during the common envelope phase of binary evolution"
    Binary Star Origin of High Field Magnetic White Dwarfs https://arxiv.org/pdf/0805.0115.pdf

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  2. C'est la référence n°18 de ce présent papier :-) , je cite le passage où il y est fait référence, et qui détaille la différence :
    Several hypotheses have been put forward to explain magnetic field generation in white dwarfs in the past few decades. In their present form, none of the fossil field scenario(17), a dynamo operating during common-envelope evolution(18) or a double-white-dwarf merger(19) can be the main formation mechanism for close magnetic white dwarf binaries. This is because, in all these cases, the magnetic fields are generated during the formation process of the white dwarf. That is, according to these theories, detached post-common-envelope binaries containing hot white dwarfs should also host strong magnetic fields, which is clearly not the case(16).

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  3. Merci Eric pour ta réponse ; j'ignore qui a raison, mais si j'ai bien compris, selon Tout et al. le champ magnétique provient de la rotation différentielle et de la convection de l'enveloppe, laquelle est alimentée par le transfert du moment orbital des coeurs à celle-ci ; ensuite tout dépend de la séparation du système à la fin de la phase CE : "The closer the cores at the end of CE
    evolution the greater the differential rotation in the CE and
    so the stronger the expected frozen in magnetic field." Donc cela expliquerait que les systèmes détachés post CE, à la plus grande séparation, ont un champ magnétique final plus faible ? A moins que l'argument de Schreiber ne repose sur l'existence de systèmes détachés à NB à la fois très magnétique et froide (donc vieille) par opposition aux NB chaudes ?

    Et bien sûr les 2 scénarios ne sont pas exclusifs.

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Merci !