jeudi 1 juillet 2021

Découverte de la naine blanche la plus massive, donc la plus petite


Plus une naine blanche est massive, plus elle est petite. Une équipe d’astrophysiciens vient encore de la démontrer en publiant la découverte de la naine blanche la plus petite jamais identifiée, à peine plus grande que la Lune, mais c’est aussi la naine blanche la plus massive connue, avec une masse à peine en dessous de sa limite de stabilité. L’étude est publiée dans Nature sous le titre A highly magnetized and rapidly rotating white dwarf as small as the Moon

Ilaria Caiazzo (CalTech) et ses collaborateurs ont découvert ZTF J1901+1458 avec le Zwicky Transient Facility (ZTF) à l'observatoire Palomar, puis l’ont caractérisée avec deux télescopes Hawaïens : Keck et Pan-STARRS (Panoramic Survey Telescope and Rapid Response System) ainsi qu'avec Gaia et Swift en orbite. Elle se trouve à seulement 130 années-lumière et est âgée de 100 millions d’années.
On le rappelle, la phase naine blanche est le destin de 97% des étoiles qui constituent les galaxies, les étoiles qui ont une masse initiale inférieure à 8 masses solaires et qui ne produisent donc pas d’explosion à la fin de leur vie. Ces cadavres d’étoiles ont une masse d’une fraction de masse solaire et au maximum de 1,44 masses solaires, la limite de Chandrasekhar au-delà de laquelle elles ne sont pas stables et ne peuvent que disparaître par fusion thermonucléaire si elles atteignent cette masse par mégarde.
Comme de nombreuses étoiles vivent en couple, si elles sont toutes les deux de faible masse, elles finiront par former un couple de naines blanches. Et un tel couple de naines blanches qui se tournent autour l’une de l’autre finissent par perdre de l’énergie rotationnelle sous forme de faibles ondes gravitationnelles. En se rapprochant inéluctablement, les deux naines blanches peuvent soit fusionner pour former une plus grosse naine blanche si la somme de leur masse ne dépasse pas 1,44 masses solaires, ou bien produire une explosion de supernova de type Ia dans le cas contraire. Lorsqu’elles peuvent fusionner, il résulte une naine blanche plus massive, et donc de rayon plus petit que celui qu’arboraient les deux étoiles naines blanches initiales. Ce faisant, le processus de fusion renforce également l’intensité du champ magnétique à cause du puissant effet dynamo qui doit apparaître durant la fusion, et il accélère fortement la rotation par rapport à celle des deux progénitrices, simplement du fait de la conservation du moment cinétique : le moment cinétique orbital du couple devient le moment cinétique de la seule étoile naine résultante.

Ilaria Caiazzo et son équipe montrent que ZTF J1901+1458 doit être le résultat d’une telle fusion de deux naines blanches car elle a une masse de 1,35 masses solaires, un champ magnétique entre 6 et 9 108 Gauss et une période de rotation de 6,94 minutes, battant presque le record de la naine blanche la plus rapide qui a une période de 5,3 minutes (la durée pour faire un tour sur elle-même). ZTF J1901+1458 a un diamètre de seulement 4280 km (la Lune a rappelons-le un diamètre de 3500 km). L’intensité très élevée du champ magnétique a été caractérisée par le spectre de l'étoile à l'aide du spectromètre imageur à basse résolution de l'observatoire Keck (LRIS) . C’est cette valeur de champ magnétique anormalement élevée, associée à la vitesse de rotation impressionnante pour une naine blanche, qui mènent sur la piste d’un résultat de fusion de deux petites naines blanches. Le diamètre de ZTF J1901+1458 a été déterminé grâce aux données du télescope Swift en UV. La masse de l’étoile est déduite directement de son diamètre, à partir des modèles de composition nucléaire des naines blanches.

Il existe deux autres naines blanches extrêmement massives pour lesquelles le diamètre a été mesuré : RE J0317-8532 et WD1832+0892, toutes deux ayant un diamètre d'environ 5000 km. Elles sont toutes deux variables avec des périodes courtes (environ 6 min et 12 min, respectivement). Mais alors que WD1832+0892 ne présente aucune preuve de magnétisme, RE J0317-853 semble avoir un champ magnétique qui varie entre 1,85 108 G et 4,25 10G. Ainsi, ZTF J1901+1458 et RE J0317-853, avec leur rotation rapide, leur masse élevée et leur champ magnétique intense, sont probablement les deux seules restes connus d’une fusion de naines blanches.
Caiazzo et ses collaborateurs pensent que du fait de sa forte masse et de la grande densité de son cœur, la naine blanche ZTF J1901+1458 pourrait être en train de se transformer en étoile à neutrons en refroidissant. Cette proposition reste spéculative mais les chercheurs montrent que dans le noyau de la naine blanche, les électrons peuvent être capturés par les protons des noyaux atomiques pour former des neutrons (un processus appelé Urca) et que la perte d’électrons avec émission de neutrinos accélère la perte d’énergie et accélère la compression, qui augmente à son tour le taux de capture électronique etc… Ce processus réduit la limite de stabilité en masse et fait bien sûr diminuer la taille de l’étoile.
Les chercheurs montrent que si ZTF J1901+1458 a une composition interne oxygène-néon (comme on s'y attend d'après sa masse), sa densité centrale serait juste au seuil de capture des électrons sur le 23Na, et sa masse se situerait alors à moins de 2% de la masse maximale possible pour une naine blanche de ce type. La relation masse-rayon utilisé par Caiazzo et ses collaborateurs a été calculée en supposant que la composition du noyau est homogène - une bonne hypothèse puisque ZTF J1901+1458 a a priori  moins de 100 millions d'années. Cependant, si elle était en fait un peu plus âgée, sur quelques centaines de millions d'années, les éléments les plus lourds, comme le Na, doivent progressivement descendre vers le centre. Selon les chercheurs, si l'étoile se trouve à l’extrémité des contraintes sur sa taille et si au moins 60% du 23Na parvient à couler au centre et subir une désintégration bêta avant que le noyau ne se cristallise et que la sédimentation ne s'arrête, il s'ensuivrait une capture d'électrons sur le 24Mg. L'étoile alors rétrécirait fortement et la pression interne ne serait plus en mesure de la soutenir car la masse maximale autorisée pour la nouvelle composition serait inférieure à la masse effective de la naine blanche (qui elle ne change pas).
L'étoile s'effondrerait alors d’avantage et s'échaufferait, entraînant le début de la capture d'électrons sur le Néon cette fois, puis l'allumage de la combustion nucléaire de l'oxygène. Et là c'en serait fini : la naine blanche subirait alors une supernova thermonucléaire disruptive ou bien imploserait pour former une étoile à neutrons. La probabilité d'un tel effondrement est quand-même très incertaine, car elle dépend des échelles de temps des processus de sédimentation et de cristallisation, deux processus très mal connus pour les naines blanches de forte masse. Mais la possibilité de ce nouveau canal de formation des étoiles à neutrons est très intéressante. Si, lors de l'effondrement, aucun moment cinétique n'est perdu et que le flux magnétique est conservé, l'étoile à neutrons nouvellement née, aurait un champ magnétique d’environ 2 1013 G et une période de rotation d’environ 15 ms, ce qui ressemblerait trait pour trait à un jeune pulsar. En raison de l'effondrement progressif, l'étoile à neutrons ne recevrait probablement pas une forte impulsion initiale a contrario de ce qui peut se passer lors d'une supernova. Une telle population d'étoiles à neutrons devrait alors être plutôt concentrée dans le plan galactique.

De plus, la relative proximité de ZTF J1901+1458 (41 parsecs) signifie qu'il ne s'agit pas d'un type d'objet rare, selon Caiazzo et ses collaboraterus, et donc que ce canal de formation contribuerait de manière appréciable à la population totale des étoiles à neutrons. Aujourd’hui le ZTF découvre un grand nombre de naines blanches similaires, massives et rapidement variables. Ce futur échantillon élargi aidera évidemment à encore mieux comprendre l'origine et le destin de ces cadavres stellaires qui bougent encore.

Source

A highly magnetized and rapidly rotating white dwarf as small as the Moon
Ilaria Caiazzo et al.
Nature 595, 39–42 (1 july 2021)


Illustration

Vue d’artiste de la naine blanche ZTF J1901+1458, comparée à la Lune (Giuseppe Parisi)

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour,

La diversité des processus évoqués ou constatés par les spécialistes de l'évolution stellaire est fascinante, en particulier quand la binarité s'en mêle ; en même temps il est surprenant de voir à l'oeuvre un même processus, la capture électronique, dans des circonstances assez différentes (évolution d'une NB résultant d'une fusion récente, ou bien d'un coeur d'une étoile SAGB-cf billet du 29/06) mais aboutissant dans tous les cas à une augmentation de la compacité par baisse de la pression de dégénérescence électronique et éventuellement à la combustion explosive de l'oxygène.