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24/08/21

Découverte d'un nouveau pulsar en couple avec une autre étoile à neutrons


Parmi les presque 2900 pulsars qui ont été découverts depuis 1967 et les travaux pionniers de Jocelyn Bell-Burnell, qui vient de recevoir aujourd'hui-même une nouvelle distinction de la Royal Society (la Copley Medal), nous n’en connaissons que 15 qui sont binaires avec une étoile à neutrons pour compagne, et seulement un seul qui est constitué de deux pulsars détectables. Aujourd’hui, c’est un nouveau pulsar binaire accompagné d’une étoile à neutrons qui vient d’être découvert par une équipe internationale, avec à la clé l’observation d’un phénomène relativiste. L’étude a été acceptée par The Astrophysical Journal.  

Les pulsars sont sans doute les objets les plus intéressants de l'Univers puisqu’ils mettent en jeu toutes les interactions fondamentales connues en physique, de la gravitation à l’électromagnétisme en passant par les interactions nucléaires faibles et fortes. Ces étoiles à neutrons en rotation rapide émettent des faisceaux radio à la manière d’un phare lors de leur rotation sur elles-mêmes créant des impulsions lorsque le faisceau traverse notre ligne de visée. A partir de ces signaux périodiques, les astronomes peuvent prédire très précisément le moment où ces impulsions arriveront grâce à ce qu’on appelle le "chronométrage des pulsars". L'étude des variations du temps d'arrivée de ces impulsions permet d’étudier la cinématique des pulsars et notamment de faire des tests de la relativité générale. C’est de cette façon qu’ont été détectées pour la première fois en 1974 par Hulse et Taylor, indirectement, les ondes gravitationnelles sur un pulsar binaire (PSR B1913+16).

L’étude fine des pulsars offre des possibilités d’investigation des processus des supernovas ou encore de la structure interne des étoiles à neutrons et le comportement de la matière dans cet état extrême de densité. Elle est d’autant plus intéressante lorsque le pulsar et accompagné d’une autre étoile à neutrons et a fortiori d’un second pulsar.

Gabriella Agazie (West Virginia University) et ses collaborateurs états-uniens, canadiens, britanniques et australiens ont mis en évidence la nature binaire du pulsar dénommé PSR J1759+5036. Ce pulsar a été découvert pour la première fois alors qu'un autre pulsar proche était observé par le télescope Green Bank de 100 mètres. C’est lors d'observations ultérieures de PSR J1759+5036 que les chercheurs ont remarqué que sa période de pulsation (donc sa vitesse de rotation) changeait au cours du temps et qu’il n’était pas détectable tout le temps. Sur 109 observations différentes réparties pendant sept ans, PSR J1759+5036 n'a pu être détecté que 50 fois. La période de rotation du pulsar oscille autour de 176,4 ms avec une variation de +-0,04 ms…  

A partir de ce suivi intermittent mais très précis, Agazie et ses collaborateurs ont tout de même pu déterminer tous les paramètres képlériens (c’est-à-dire non relativistes) du couple binaire qui décrivent l’orbite : demi-grand axe (6,82 secondes-lumière, soit 2,046 millions de km, ou 6 fois la distance Terre-Lune), excentricité (0,308), période orbitale (2,04 jours). Et les chercheurs sont même allés un cran plus loin en réussissant à déterminer un paramètre dit post-képlérien, c’est-à-dire un paramètre relativiste, en l’occurrence l’avance du périastre, qui n’est autre que l’équivalent du premier effet relativiste qui avait été prédit par Einstein pour l’orbite de Mercure dès novembre 1915, expliquant brillamment les observations alors incomprises depuis des décennies.

Comme l’avance du périastre dépend de la masse des corps qui sont en jeu, Agazie et son équipe peuvent déterminer la masse totale du couple, ce qui les mène directement sur la nature du compagnon du pulsar. Il faut noter également que l’excentricité de l’orbite mesurée grâce aux infimes variations de période du signal est de 0,3, ce qui est plus importante que celle de la plupart des pulsars connus dans les systèmes binaires (une orbite circulaire correspond à une excentricité qui vaut 0).

La masse totale du système qui est déterminée vaut 2,62 masses solaires, ce qui est assez élevé pour un pulsar binaire. Les astrophysiciens ont ensuite déterminé la probabilité respective des deux masses engagées dans le couple en traçant la masse de l’un en fonction de la masse de l’autre et avec la contrainte de l’avance du périastre observée. La masse du pulsar est comprise entre 1,26 et 1,79 masses solaires tandis que la masse de la compagne est comprise entre 0,84 et 1,37 masses solaires.

Agazie et ses collaborateurs ne peuvent pas exclure complètement que la compagne soit une naine blanche, mais pour eux, le ralentissement et les paramètres orbitaux rendent probable l’étoile à neutrons. En faisant l’hypothèse qu’une étoile à neutrons doive avoir une masse supérieure à 1,2 masses solaires, les chercheurs notent que la probabilité que la masse de la compagne soit effectivement supérieure à 1,2 masses solaire se monte à 16%. Un autre indice vient de l’angle d’inclinaison du système. Si la masse de la compagne est supérieure à 1,2 masses solaires (donc une étoile à neutrons), l’angle d’inclinaison devrait être inférieur à 44°. Or, les chercheurs peuvent déterminer l’angle d’inclinaison en fonction de la masse des deux composantes : il doit être compris entre 35° et 75°, ce qui est donc tout à fait compatible avec une compagne de type étoiles à neutrons.

Pour parfaire leur argumentation, les chercheurs décrivent des observations qu’ils ont par la suite effectuées dans le domaine visible avec le télescope de 2 m de Las Cumbres et dans lesquelles ils n’ont rien observé à l’emplacement du pulsar, plaçant une limite de magnitude visible de 23.5 pour ces observations. En considérant alors qu’une étoile naine blanche aurait cette luminosité maximale juste inférieure au seuil de détection, les astrophysiciens calculent la température et l’âge correspondant d’une étoile naine blanche pour la distance estimée du pulsar, avec pour hypothèse une masse minimale de 0,8 et maximale de 1,2 masses solaires.

Avec l’hypothèse d’une masse de 0,8 masse solaire, la naine blanche devrait avoir une température inférieure à 6600 K et un âge supérieur à 3,5 milliards d’années, et avec une masse de 1,2 masses solaires, la température devrait être inférieure à 9700 K et son âge supérieur à 2,6 milliards d’années. Un grand nombre de configurations de naines blanches peuvent donc être éliminées par cette non détection, mais pas toutes.

Le dernier argument qui fait pencher fortement Gabriella Agazie et ses collaborateurs en faveur de l’étoile à neutrons vient de l’excentricité de l’orbite relativement élevée. En effet, la plupart des systèmes binaires pulsar-naine blanche forment une orbite circulaire (e=0). Il existe évidemment quelques exceptions comme PSR J2305+4707 and PSR J1755−2550 qui ont une excentricité non nulle, mais les astrophysiciens remarquent que ces deux pulsars binaires ont des caractéristiques très différentes de PSR J1759+5036, comme par exemple un très jeune âge de moins de 30 millions d’années.
 

Source

The Green Bank Northern Celestial Cap Pulsar Survey. VI. Discovery and Timing of PSR J1759+5036: A Double Neutron Star Binary Pulsar
Gabriella Agazie et al.
A paraître dans The Astrophysical Journal


Illustrations 

1. Vue d'artiste d'un pulsar binaire constitué de 2 pulsars (John Rowe)
2. Evolution de la période de rotation de PSR J1759+5036 en fonction du temps, signant un mouvement dans un système binaire. Les zones rouges sont des périodes de non détection du pulsar (Agazie et al.)

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