Une nouvelle étude publiée dans Nature Astronomy révèle que Saturne, comme Jupiter, semble posséder un gros noyau diffus qui s'étend jusqu'à sur 60 % de son rayon, de quoi bouleverser l'image classique que l'on avait des planètes géantes gazeuses.
Les astronomes se demandent depuis longtemps à quoi ressemblent les entrailles de Saturne : le noyau est-il solide ou liquide ? Est-ce que la matière est mélangée ou bien forme-t-elle plusieurs couches ? Et comment Saturne peut-elle générer un champ magnétique dont l'axe est presque exactement centré sur l'axe de rotation de la planète, ce qui est inhabituel pour les planètes dont les champs magnétiques proviennent du brassage d'un noyau ?
C'est en étudiant les ondes sismiques qui sont visibles dans les anneaux de Saturne et étudiées de près par la sonde Cassini (dont les données continuent à être exploitées 4 ans après sa destruction dans Saturne) que Christopher Mankovich et Jim Fuller (Caltech) ont réussi à mieux comprendre la structure interne de la géante.
Alors que les lunes influencent les anneaux extérieurs, c'est la planète elle-même qui tire sur les anneaux intérieurs, façonnant les particules de glace par des ondulations (ou ondes de gravité).
Cassini n'a pas pris d'image directe des ondes de gravité des anneaux, mais les astronomes ont utilisé la sonde pour observer une occultation d'étoile à travers les anneaux. Lorsque l'étoile passait derrière un anneau donné, les instruments de la sonde mesuraient l'atténuation de sa lumière pour déterminer sa densité. En utilisant plusieurs occultations stellaires de ce type, Mankovich et Fuller ont pu mesurer les ondulations spécifiques de l'anneau C.
En particulier, l'une des ondes montrait une fréquence très basse que les chercheurs ne pouvaient pas facilement expliquer. Mais pour les planétologues américains, cette fréquence indique l'apparition d'un tremblement qui a pénétré profondément dans les couches internes de Saturne. L'analyse des deux chercheurs de cette secousse à basse fréquence indique qu'il n'y a probablement pas de noyau interne solide bien délimité, mais juste un gradient continu, avec plus de roche et de glace vers le centre. Autour de ce gros noyau aux bords diffus qui doit produire un mélange avec le fluide d'hélium et d'hydrogène à très forte pression se trouve l'enveloppe gazeuse (hydrogène et hélium).
En combinant ces données sismiques avec les mesures des champs gravitationnels locaux effectuées par Cassini et avec les modèles numériques de l'intérieur de Saturne, les chercheurs concluent que le noyau de la planète a une masse 55 fois supérieure à celle de la Terre, la roche et la glace représentant à elles seules 17 fois la Terre. L'hydrogène et l'hélium gazeux de la planète se mélangent progressivement avec de plus en plus de glace et de roche à mesure que l'on se rapproche du centre de la planète. Les mesures du champ gravitationnel par Cassini permettent de déduire que l'hélium est également plus concentré vers le centre de Saturne, ce qui est cohérent avec les idées précédentes de "pluie d'hélium", dans lesquelles des gouttes d'hélium se condensent à partir de l'hydrogène et se déposent vers le noyau.
Ce résultat inédit invite à repenser la formation des planètes géantes de notre système solaire : les nouveaux modèles évolutifs suggèrent donc qu'une grosse moitié interne de Saturne peut conserver une stratification, même si la convection entraînée par le refroidissement homogénéise rapidement les couches externes. Une alternative à ces modèles serait que Saturne se soit formée effectivement avec une interface noyau-enveloppe plus abrupte, mais qui se serait érodée avec le temps pour donner la structure diffuse qui est observée aujourd'hui. Selon les chercheurs, cette hypothèse est permise par la miscibilité de l'eau, des silicates et du fer dans l'hydrogène métallique fluide. Dans ce scénario, le mélange ascendant des éléments denses à partir de la limite du noyau peut néanmoins être limité par une convection stratifiée à double diffusion, et il n'est alors pas certain qu'une stratification de la composition jusqu'à 0,6 fois le rayon de Saturne puisse être obtenue. Une autre possibilité, moins probable selon eux, est que le noyau diffus se soit créé tardivement sous l'effet d'un impact massif frontal.
Ces résultats font écho au noyau diffus que l'on pense exister dans Jupiter sur la base de son champ de gravité. Mais contrairement au champ de gravité statique, la sismologie sonde directement la stabilité des fluides à l'intérieur d'une planète. Et la sismologie des anneaux exige que l'intérieur de Saturne soit stable du point de vue convectif sur environ la moitié du rayon de la planète, ce qui constitue un écart fondamental par rapport aux précédents modèles de structure interne publiés et contraints par le seul champ de gravité. Sur cette région stable, la chaleur est probablement transportée par un mélange à double diffusion, peut-être sous la forme d'une convection en couches et c'est cette grande région stratifiée stable qui retarderait le refroidissement de la planète et contribuerait à expliquer la température étonnamment élevée de Saturne.
Enfin, les chercheurs montrent que la région stratifiée stable de Saturne devrait englober une grande partie de la zone électriquement conductrice de l'intérieur de la géante, ce qui poserait un défi apparent pour expliquer la dynamo magnétique de Saturne et son champ externe axisymétrique. Mais la structure qu'ils proposent permet de produire des pressions qui dépassent 106 bars, une pression énorme où on s'attend à trouver une grande conductivité électrique et donc la structure resterait propice à l'action d'un effet dynamo.
Mais Mankovich et Fuller conviennent en conclusion que des structures internes plus complexes, contenant peut-être deux ou plusieurs coquilles stratifiées de manière stable, pourraient être nécessaires pour obtenir une image complète de l'intérieur de Saturne...
Source
A diffuse core in Saturn revealed by ring seismology
Christopher R. Mankovich & Jim Fuller
Nature Astronomy (16 august 2021)
Illustration
Vue d'artiste de la structure interne de Saturne déterminée dans l'étude de Mankovich et Fuller (Caltech / R. Hurt (IPAC))
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