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21/10/21

NGC 2005 : Un amas globulaire relique d'une fusion entre galaxies naines


La composition chimique des étoiles de l'amas globulaire NGC 2005 diffère nettement de celle des autres étoiles du Grand Nuage de Magellan. C'est la première preuve de la fusion de galaxies naines en dehors de la Voie Lactée. Cette observation d'une équipe italienne est publiée dans Nature Astronomy.


On sait que notre galaxie a grandi en absorbant des galaxies plus petites. Mais aujourd'hui, Alessio Mucciarelli (Université de Bologne) et ses collaborateurs montrent qu'une galaxie naine elle aussi peut absorber des galaxies plus petites qu'elle. Selon la théorie dominante décrivant la formation des grandes structures cosmiques, les grandes galaxies telles que la Voie Lactée se sont formées par fusion avec des galaxies plus petites, et ces dernières années, des preuves de cette théorie ont effectivement été trouvées pour notre galaxie grâce notamment au satellite Gaia. Mucciarelli et son équipe ont étudié le Grand Nuage de Magellan, la plus célèbre galaxie naine satellite de notre galaxie. Ils se sont particulièrement intéressés à ses amas globulaires, ces groupes sphériques de milliers ou de millions d'étoiles dont le noyau peut résister même après des milliards d'années de poussée et de traction dans une galaxie.  Rappelons que le Grand Nuage de Magellan (LMC) est une galaxie dont la masse totale est de l'ordre de 200 milliards de masses solaires (6 fois moins que la Voie Lactée), dont 3 milliards de masses solaires en étoiles.  

Les chercheurs italiens ont analysé la composition chimique de onze amas globulaires du LMC grâce à des observations spectroscopiques par le Very Large Telescope et les télescopes Magellan au Chili. Sur les 11 amas globulaires étudiés dans le Grand Nuage de Magellan, l'un d'entre eux présente une composition chimique nettement différente. Il s'agit de l'amas globulaire NGC 2005. Cet amas contient environ 200 000 étoiles et est situé à ~0,23 kpc (750 années-lumière) du centre du Grand Nuage de Magellan.
NGC 2005 est un amas globulaire relativement massif (M ≈ 2 à 3 105 M). Ce qu'ont remarqué Mucciarelli et ses collègues c'est que NGC 2005 contient beaucoup moins de zinc, de cuivre, de silicium et de calcium que les dix autres amas. Les chercheurs mesurent  des rapports d'abondance qui sont systématiquement plus faibles  que ceux mesurés dans les autres amas globulaires du LMC avec pourtant des métallicités similaires (abondance en fer par rapport à l'hydrogène). Cette sous-abondance est visible pour presque toutes les éléments, y compris des éléments comme le Si, Ca, Sc, Ti, V, Mn, Co, Ni, Cu, Zn, Ba, La et Eu, qui se forment pourtant à partir de différents canaux de nucléosynthèse (c'est-à-dire à partir de supernovas à effondrement de coeur ou thermonucléaires, d'hypernovas et de processus de capture lente et rapide de neutrons. Les cinq amas globulaires du LMC qui ont une métallicité [Fe/H] comparable à celui de NGC 2005 (-1.75 < [Fe/H] < -1.69 dex) ont des rapports d'abondance entre éléments qui sont très similaires les uns aux autres. Ils constituent un groupe homogène d'amas partageant la même chimie. Ces amas se sont donc formés dans des environnements qui ont connu une histoire d'enrichissement chimique similaire, probablement dans le LMC lui-même. Mais les fortes différences chimiques entre NGC 2005 et ce groupe d'amas indiquent un chemin d'enrichissement chimique complètement différent. Pour Mucciarelli et ses collaborateurs, cela révèle que NGC 2005 ne peut pas s'être formé dans le même environnement que le reste des amas du LMC à cette métallicité, mais qu'il doit être né ailleurs, dans un système qui a converti son gaz en étoiles à un rythme plus lent.

En d'autres termes, l'amas doit être une relique d'une petite galaxie qui a été absorbée par le LMC il y a plusieurs milliards d'années, une époque où le Grand Nuage de Magellan n'était pas aussi grand qu'aujourd'hui. Au fil du temps, la majeure partie de la petite galaxie aurait été disloquée et la plupart des étoiles dispersées, mais son coeur aurait subsisté sous la forme de l'amas globulaire NGC 2005.

Le fait que l'abondance en zinc relativement à l'abondance en fer soit si faible dans NGC 2005 par rapport aux autres amas globulaires du Grand Nuage de Magellan fait dire aux chercheurs qu'il s'est formé à partir d'un gaz faiblement enrichi par des étoiles massives. En effet, dans le cadre de nos modèles, le Zn provient principalement d'étoiles massives (>30 M) de faible métallicité explosant en hypernovas. Si la formation de ces étoiles massives est supprimée, moins de Zn est formé, ce qui entraîne un rapport [Zn/Fe] globalement plus faible. Or il a été récemment démontré que les très faibles taux de formation d'étoiles attendus dans les systèmes stellaires pauvres en métaux et à faible luminosité conduisent à une limite supérieure de masse dans la fonction de masse initiale (IMF) à l'échelle de la galaxie (la répartition des masses des étoiles) qui est faible. En considérant des taux de formation d'étoiles inférieurs à ~5 × 10-4 M par an et une limite supérieure de masse de 40 M pour l'IMF de la galaxie, Mucciarelli et ses collègues obtiennent un ajustement remarquablement bon du rapport [Zn/Fe] qui est observé pour NGC 2005. Ils obtiennent ainsi la carte d'identité probable de la galaxie naine sphéroïdale qui était la progénitrice de NGC 2005 : une galaxie à très faible formation d'étoiles, pauvre en métaux et à faible luminosité qui ne pouvait pas produire d'étoiles de plus de 40 masses solaires, donc produisant très peu de zinc.

Cette découverte est une preuve observationnelle que le processus d'assemblage hiérarchique des galaxies a également fonctionné dans la formation de nos galaxies satellites les plus proches. Ce processus de formation hiérarchique des galaxies, des plus petites au plus grandes est une prédiction du modèle standard cosmologique ⋀CDM. Jusqu'à aujourd'hui, on savait que le Grand Nuage de Magellan était une grosse galaxie naine qui était elle même entourée de plusieurs galaxies naines plus petites, des galaxies naines sphéroïdales dont la masse totale correspond à 10% de celle de la galaxie autour de laquelle elles orbitent (une autre prédiction du modèle ⋀CDM, qui prédit entre 4 et 40 satellites autour du Grand Nuage de Magellan avec une satellite prépondérante). Le Petit Nuage de Magellan, avec sa masse totale de 2 milliards de masses solaires correspond parfaitement à ce qui est attendu. Mais, même si on sait que les deux Nuages de Magellan interagissent entre eux aujourd'hui, on n'avait encore jamais de preuve d'interactions passées entre galaxies naines de type fusions. NGC 2005 serait la preuve qu'une telle fusion a eu lieu. 

Source

A relic from a past merger event in the Large Magellanic Cloud
A. Mucciarelli, et al.
Nature Astronomy (18 october 2021)


Illustration

Image du Grand Nuage de Magellan (à droite) et de l'amas globulaire NGC 2005 HLA/Fabian RR/ESO/VMC Survey

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