Une équipe d’astrophysiciens vient d’observer le couple de trous noirs supermassifs les plus proches l’un de l’autre, et le plus proche de nous. Ils ne sont séparés que par 500 parsecs (1600 années-lumière). L’étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.
C’est avec le Very Large Telescope de l’ESO, que Karina Voggel (Observatoire astronomique de Strasbourg) et ses collaborateurs internationaux ont réussi mettre en évidence ce couple de trous noirs supermassifs dans la galaxie NGC 7727. Cette galaxie, qui montre deux noyaux actifs, se situe à 27,4 megaparsecs (environ 89 millions d’années-lumière) de la Terre. Le second noyau de NGC 7727 avait été découvert en 2018 par Schweitzer et al. qui avait alors identifié des signes de noyau actif épluché, et donc potentiellement d’un second trou noir.
En 2020, un catalogue de couples de trous noirs supermassifs avait été publié mais tous ces doubles noyaux actifs de galaxie (AGN) avaient des séparations comprises entre environ 1 et 20 kpc et sont dans des galaxies très éloignées.
Pour confirmer ces AGN doubles, plusieurs études ont utilisé la spectroscopie à champ intégral pour résoudre spatialement les régions de raies d'émission de chaque noyau actif. Mais, à ces distances, le système de détection le plus avancé peut juste identifier la présence de deux composantes indépendantes mais pas la composante stellaire qui entoure les trous noirs supermassifs dans leur sphère d'influence.
Dans le catalogue, il n'existe qu'un seul candidat pour un couple avec une séparation inférieure à 1 kpc : une paire de quasars trouvée en 2014 dont la séparation projetée est de 800 pc.
Quant au couple de trous noirs supermassifs connu le plus proche de nous, il se trouvait jusqu’à aujourd’hui dans la galaxie NGC6240, découvert en 2003, et situé à 144 Mpc (470 millions d’années-lumière). Mais ce n’est qu’en 2020 qu’une équipe d’astrophysiciens menée par Wolfram Kollatschny à Göttingen a pu confirmer qu’il s’agissait bien de deux trous noirs supermassifs grâce déjà à des observations avec MUSE sur le VLT. Les chercheurs ont atteint une résolution spatiale suffisamment bonne pour montrer que les raies d'émission proviennent de deux composantes stellaires distinctes et ils ont même identifié des signes montrant qu'il pourrait s'agir d'un système triple avec trois trous noirs en accrétion avec une séparation d’environ 1 kpc. Cette galaxie est en revanche trop éloignée pour une mesure de la masse dynamique des trous noirs.
Deux records sont donc battus aujourd’hui, en même temps et à plate couture : Le record de faible distance par rapport à la Terre, et celui de la séparation entre les deux trous noirs : 89 millions d’années-lumière et 1600 années-lumière.
Un tel couple de trous noirs supermassifs lié gravitationnellement se forme lorsque deux galaxies entrent en collision et finissent par fusionner. Les deux trous noirs supermassifs vont spiraler l’un vers l’autre pour finir par former un couple lié par la gravitation. Les astronomes estiment que la fusion galactique qui a donné naissance à la galaxie NGC 7727, qui montre aujourd’hui une forme irrégulière, a dû avoir lieu il y a environ un milliard d’années. A la question de savoir quand aura lieu la fusion gigantesque des deux trous noirs, les chercheurs peuvent donner un chiffre en étudiant la vitesse des deux trous noirs. Ça serait dans 250 millions d’années.
Karina Voggel et ses collaborateurs parviennent aussi à déterminer la masse de chacun des deux trous noirs, pour la première fois grâce à l’étude fine du mouvement des étoiles qui les entourent dans chacun des deux noyaux actifs. Ils ont pour cela utilisé le spectrographe à champ intégral MUSE (Multi-Unit Spectroscopic Explorer) monté sur le VLT. Les deux trous noirs apparaissent très différents : le plus gros, qui se trouve au centre photométrique de la galaxie, fait 154 millions de masses solaires et le plus petit, séparé de 500 parsecs (1600 années-lumière) fait seulement 6,33 millions de masses solaires (il est quand même un peu plus gros que Sgr A*…).
Les chercheurs remarquent un point notable : le trou noir numéro 2, le petit, forme 3% de la masse du noyau d’étoiles qui l’accompagne, ce qui est supérieur à ce qu’on attend généralement dans la relation entre masse de trou noir et masse de bulbe galactique. Cela renforce l’idée que ce second trou noir est bien issu d’une galaxie qui a fusionné avec NGC 7727 et Voggel et ses collaborateurs estiment la masse initiale de son bulbe (avant fusion) à 5 milliards de masses solaires (alors qu’il n’en fait plus que 210 millions aujourd’hui). Cette galaxie devait donc faire environ 10 milliards de masse solaire selon les chercheurs, qui en déduisent que le ratio de masse avec NGC 7727 était de 1 à 5 : ce que les spécialistes appellent une « fusion mineure ».
Un point très intéressant est que ce système de trous noirs n’avait pas pu être détecté avant car il ne rayonne que très peu de rayons X. Les chercheurs pensent ainsi que le nombre de trous noirs supermassifs un peu cachés comme ce couple pourrait être important. Le nombre de trous noirs supermassifs connus dans ce qu’on appelle l’Univers local (une distance de moins de 200 millions d’années-lumière) pourrait augmenter de 30%.
Les astrophysiciens pensent déjà à tous les trous noirs supermassifs en couple ou seuls qu’ils vont pouvoir déceler et caractériser grâce aux futurs grands télescopes comme l’ELT qui devrait être mis en service dans 10 ans. Avec son miroir démesuré et l’instrument HARMONI, ce dernier devrait offrir une résolution spatiale 10 fois meilleure que les 0,1 seconde d’arc atteinte par le VLT avec MUSE…
Source
First direct dynamical detection of a dual supermassive black hole
system at sub-kiloparsec separation
Karina Voggel et al.
à paraître dans Astronomy&Astrophysics
Illustration
Vue rapprochée et large des deux noyaux galactiques dans NGC 7727 (ESO/Voggel et al.; ESO/VST ATLAS team)
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