Le célèbre résidu de supernova Cassiopée A ne se dilate pas uniformément : une zone se déplace à rebours, vers l'intérieur. C'est l'étrangeté qu'ont découverte des chercheurs de l'université d'Amsterdam et de Harvard. Ils publient leurs travaux dans The Astrophysical Journal.
La supernova qui a donné naissance à ce résidu sphérique en expansion a explosé aux alentours de 1670 mais elle ne devait pas être visible à l'oeil nu à l'époque du fait d'une trop grande quantité de poussière et de gaz entourant l'étoile située à 11000 années-lumière. La nébuleuse de Cassiopée A s'étend à une vitesse moyenne comprise entre 4 000 et 6 000 kilomètres par seconde et elle a une température d'environ 30 millions de Kelvins. L'expansion se produit très probablement dans le gaz qui a été soufflé par l'étoile bien avant l'explosion. Cassiopée A mesure maintenant environ 16 années-lumière de diamètre. Jacco Vink (Université d'Amsterdam) et son équipe ont analysé 19 ans de données enregistrées par le télescope X Chandra dans la bande d'énergie 4,2 - 6 keV.
Les chercheurs ont observé grâce au rayonnement synchrotron que sur le côté Ouest de Cassiopée A (à droite de l'image, inversée), les régions internes de la nébuleuse ne sont pas en expansion vers l'extérieur, mais se déplacent au contraire vers l'intérieur...
Le taux d'expansion moyen sur tout le résidu est de 0,218 (±0,029) % par an, ce qui fait une vitesse de 5800 km/s, mais dans la zone Ouest, le taux d'expansion est négatif : -0.0225 (±0.0007) % par an, correspondant à une vitesse moyenne de -1884 (±17) km/s, donc vers le centre. Dans cette zone, dans le référentiel de l'éjecta, on a donc une vitesse du choc inverse qui est supérieure à 3000 km/s, avec même un pic à 8000 km/s, ce qui, selon Vink et ses collaborateurs, explique la présence de filaments émetteurs de rayons X synchrotron à cet endroit. La théorie de l'accélération des chocs prévoit en effet que le rayonnement synchrotron n'apparaît que pour des vitesses supérieures à 3000 km/s.
Les chercheurs ont également mesuré l'accélération ou la décélération de l'onde de choc grâce à la combinaison de nombreuses images couvrant 19 années d'observations, ce qui leur a permis de considérablement augmenter la sensibilité de leurs observations. Cette onde de choc externe s'avère accélérer à l'ouest de la nébuleuse, au lieu de décélérer comme prévu, et cette accélération est mesurée à une valeur de 0,011%. an-2.
Selon Vink et ses collaborateurs, le mouvement de recul et l'accélération locale qui sont observés peuvent signifier deux choses. Soit il y a une sorte de vide dans l'ejecta de la supernova, ce qui fait que la coquille chaude se déplacerait soudainement vers l'intérieur, localement. Soit la nébuleuse est entrée en collision avec "quelque chose". D'après les modèles développés par Vink et ses collègues, le scénario de la collision semble le plus probable. Les modèles théoriques prévoient en effet qu'après une collision, la vitesse du choc diminue d'abord, puis augmente ensuite, ce qui est exactement ce qui est observé.
Le "quelque chose" à l'origine de ce rebond pourrait être, selon les chercheurs, une coquille de gaz qui aurait été expulsée par l'étoile longtemps avant son explosion. Vers la fin de sa vie, l'étoile aurait pu souffler un vent très irrégulier et très anisotrope qui aurait produit cette bulle gazeuse.
Des simulations qui ont été effectuées par une équipe italienne peuvent en effet reproduire l'inversion du mouvement du choc à l'époque actuelle de l'évolution du résidu de supernova. L'interaction du choc avec la coquille de gaz crée une augmentation de la pression dans la coquille, ce qui induit une réflexion de l'onde de choc.
Les astrophysiciens peuvent apporter une contrainte sur le moment où la rencontre avec la coquille putative a pu avoir lieu grâce aux premières cartes radio de Cas A : la région radio brillante dans la partie ouest, probablement associée au fort choc inverse rencontré à cet endroit, était déjà présente dans la première carte radio de Cas A obtenue en 1965 par Ryle et al. Il est donc probable le choc inverse soit apparu avant 1960. D'un autre côté, la morphologie optique a subi des changements au cours des 50 dernières années comme l'ont montré Patnaude & Fesen en 2014 : la coquille nord était déjà proéminente dans les années 1950, et la partie sud-est n'est apparue que dans les années 1970. Cela peut fournir une fenêtre sur l'histoire du développement du choc inverse et sa possible connexion avec la structure du milieu circumstellaire. Mais une complication vient du fait que la connexion entre l'évolution des structures observées dans le visible et en rayons X ou en radio n'est pas entièrement compris.
Il faut aussi rappeler que la nature de l'étoile progénitrice de Cas A est encore un mystère. En particulier, la cause de son important taux de perte de masse est souvent attribuée à un système binaire en étroite interaction, mais il n'existe aucune preuve de la présence d'une étoile compagne qui aurait survécu. Néanmoins, la dynamique des chocs qui est rapportée dans cette étude fournit des indices importants sur l'histoire de la perte de masse de l'étoile avant son explosion, que ce soit sous la forme d'une coquille partielle et asymétrique due à une perte de masse épisodique, d'une cavité créée par un bref vent stellaire d'une phase Wolf-Rayet, ou peut-être même une combinaison des deux
Cas A va continuer à être observée dans toutes les longueurs d'ondes, à commencer par les rayons X qui foisonnent dans ce type de résidu. On se souvient notamment qu'elle fut la première cible du nouveau télescope X américain IXPE en février dernier. Et il semblerait que du temps d'observation sur le JWST soit déjà prévu pour aller regarder de près ce beau résidu de supernova..., comme pour tous les objets intriguants.
Source
The forward and reverse shock dynamics of Cassiopeia A
Jacco Vink et al.
à paraître dans The Astrophysical HJournal
Illustrations
1.Image composite de Cassiopeia A basée sur des images de Hubble, Spitzer et Chandra (NASA/JPL-Caltech)
2. Mouvements de la matière formant Cas A (J.Vink et al.)
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