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lundi 25 avril 2022

Un voile levé sur la formation des trous noirs intermédiaires


Une équipe d'astrophysiciens a trouvé des signes tangibles de l'apparition de trous noirs de masse intermédiaire (entre 100 et 100 000 masses solaires) au centre d'amas d'étoiles très denses, ce qu'on appelle des amas d'étoiles nucléaires, qui forment le noyau central des petites galaxies. Ce serait la première preuve observationnelle d'une voie de formation tardive et locale pour ces trous noirs. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal.   

Les amas d'étoiles nucléaires se trouvent au centre de la plupart des galaxies de petite taille ou de faible masse et constituent les environnements stellaires connus les plus denses. Une étude récente de Stone et al. publiée en 2017 dans MNRAS montrait que les amas d'étoiles nucléaires suffisamment denses devraient être instables pour permettre la croissance rapide d'un trou noir massif via des captures. Comme c'est souvent le cas, les amas d'étoiles nucléaires apparaissent comme un environnement stellaire prometteur pour faciliter la formation et/ou la croissance de trous noirs de masse intermédiaire. Ces amas résident au centre de la plupart des galaxies qui ont une masse stellaire entre 100 millions et 10 milliards de masses solaires comme l'ont montré Côté et al. en 2006 puis Sánchez-Janssen et al. en 2019 et Hoyer et al. en 2021. Les amas d'étoiles nucléaires ont généralement une masse de l'ordre de 100 000 à 10 millions de M⊙ avec des rayons effectifs de quelques parsecs, ce qui en fait les environnements stellaires connus les plus denses. 
Deux principaux canaux sont proposés pour la formation des amas d'étoiles nucléaires : l'effondrement d'amas globulaires due à la friction dynamique et la formation d'étoiles in situ dans un environnement très dense. Il est plus probable que les deux canaux apportent une contribution car il a été constaté dans des études récentes en 2020 et 2021 que les amas stellaires nucléaires contiennent de multiples populations stellaires, et les chercheurs pensent que la contribution relative de chaque canal de formation dépend probablement de la masse et de l'environnement de la galaxie hôte.

Un modèle théorique stipule aussi qu'il doit il exister un seuil de dispersion de vitesse (40 km/s) au-dessus duquel les amas d'étoiles nucléaires devraient inévitablement former un trou noir massif. Dans ce modèle, une fois qu'il y a un trou noir de masse stellaire au centre de l'amas, il peut croître en un trou noir de masse intermédiaire par capture de marée par emballement, à condition que l'amas ait une densité centrale et une dispersion des vitesses suffisamment élevées. L'emballement des captures ralentira lorsque le trou noir atteindra 100 à 1000 M⊙. À ce stade, la croissance du trou noir se poursuivra par des captures de marée et des disruptions (et aussi des processus d'accrétion standard). Stone et al. ont calculé une échelle de temps pour ce processus, et constatent que de nombreux amas existants présentent des taux de capture indiquant qu'ils sont instables. En d'autres termes, pour un amas stellaire nucléaire suffisamment dense, les multiples captures et la perturbation par les marées entraîneront inévitablement la croissance d'un trou noir de masse stellaire en un trou noir massif en une durée plus courte que le temps de Hubble.

C'est pour tester ce modèle théorique que Vivienne Baldassare (Université de Washington State) et ses collègues ont étudié 108 galaxies dans le domaine des rayons X, le rayonnement préférentiel qui signe la présence d'un fort échauffement de matière lié directement à la présence d'un trou noir qui accrète de la matière. Ils ont effectué leurs observations avec le télescope spatial Chandra. Ce qu'ils ont trouvé dans leur échantillon, c'est 29 galaxies qui émettent des rayons X traçant la présence d'un trou noir massif actif et que les amas d'étoiles nucléaires qui dépassent le seuil de vitesse de dispersion de 40 km/s émettent des signatures X indicatrices d'un trou noir deux fois plus souvent que ceux qui se situent en dessous de ce seuil. Ces résultats sont donc cohérents avec le scénario dans lequel les amas d'étoiles denses et à haute vitesse peuvent former des trous noirs massifs, fournissant une preuve d'une voie de formation qui ne dépend pas des conditions trouvées seulement dans l'Univers jeune. Or la plupart des théories concernant la formation des trous noirs de masse intermédiaire reposent sur des conditions que l'on ne trouve que dans l'univers primitif, que ce soit via le collapse d'étoiles ultra-massives de population III, ou bien le collapse direct de nuages de gaz : il faut des étoiles ou du gaz à faible métallicité.
Trouver des signes disant que des trous noirs de plusieurs milliers ou dizaines de milliers de masses solaires peuvent se former tout au long de l'histoire cosmique dans des amas d'étoiles très denses est donc une nouveauté remarquable. Maintenant, pour approfondir ses observations, de meilleures contraintes sur la fraction d'amas actifs en rayons X en fonction de leur dispersion des vitesses et de leur taux de capture gravitationnelle pourront être obtenues par une meilleure modélisation morphologique des amas d'étoiles nucléaires (un échantillonnage plus fin des paramètres physiques) et surtout par des observations supplémentaires en rayons X.

Source

Massive Black Hole Formation in Dense Stellar Environments: Enhanced X-Ray Detection Rates in High-velocity Dispersion Nuclear Star Clusters
Vivienne Baldassare et al.
The Astrophysical Journal, Volume 929, Number 1 (14 April 2022)


Illustration 

La galaxie NGC 4525 imagée par Chandra à gauche et Hubble à droite, révélant l'activité d'un trou noir massif dans l'amas d'étoiles nucléaire (Vivienne Baldassare et al.)

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